1861 - Discours prononcé dans la séance de rentrée de la Faculté de médecine de Paris, le 15 novembre 1861 par Alfred Moquin-Tandon

De Une correspondance familiale

Messieurs,

Il existe une alliance fort étroite entre la médecine et l’histoire naturelle. Quand on aborde l’étude si difficile de l’organisation, soit qu’on commence par l’anatomie humaine, soit qu’on débute par l’anatomie zoologique, on trouve toujours que ces deux sciences sont sœurs, que l’une conduit nécessairement à l’autre, et qu’elles se prêtent un mutuel appui. Aussi, Messieurs, la plupart des grands zoologistes ont-ils été médecins ou ont-ils passé pour l’être. Ils ont fait la force et l’ornement de nos écoles et de nos académies. Heureux de les posséder, ces grands corps leur ont rendu un juste tribut d’hommages dans leurs solennités publiques. C’est ainsi que Pariset[1] a prononcé l’éloge de Cuvier, et que M. Dubois (d’Amiens) faisait, il y a deux ans, celui de Geoffroy Saint-Hilaire.

Le peuple lui-même, dans sa pensée, confond le naturaliste avec le médecin ; pour lui, l’homme qui consacre sa vie à l’étude des êtres organisés est nécessairement initié à l’art de guérir. Lorsque Daubenton[2] fut frappé d’apoplexie, on courut chercher, en toute hâte, Georges Cuvier, pour lui demander les premiers secours. Le grand anatomiste, étonné, eut beau répondre qu’il n’était pas médecin ; sa résistance fut regardée comme un mauvais vouloir !...

Le savant et regretté collègue dont j’ai à vous entretenir est un des exemples les plus vrais et les plu frappants de ces rapports intimes, qui viennent d’être signalés, entre la médecine et la zoologie, et de l’heureuse impulsion qui donnent nos premières études sur l’anatomie de l’homme aux recherches sérieuses et suivies sur l’organisation des animaux.

André-Marie-Constant DUMERIL naquit à Amiens le 1er janvier 1774. Son père[3] était juge au tribunal de cette ville[4] ; il avait sept enfants[5] ; Constant était l’avant-dernier.

Le jeune Duméril accompagnait souvent sa mère dans une église de sa ville natale. Cette église abritait sous ses corniches plusieurs petits ménages d’hirondelles. Au-dessous des nids, gisaient sur le sol, çà et là, de malheureux insectes, meurtris ou mutilés, échappés au moment de la becquée. Constant remarqua ces insectes, il admira leurs couleurs ; il en recueillit un certain nombre… Le sentiment de la curiosité n’est pas toujours le mobile de l’étude ; mais, lorsqu’il est vif et durable, il peut conduire plus tard à la science en faisant naître un goût ardent et réfléchi ! Vers l’âge de 15 ans, notre jeune observateur montrait déjà pour l’entomologie une passion précoce peu ordinaire chez un enfant[6]. Il cultivait aussi avec enthousiasme les autres sciences naturelles, surtout la botanique. Il avait l’habitude de communiquer à ses amis, dans des causeries presque savantes, les résultats de ses petites découvertes, et préludait ainsi, sans s’en douter, aux fonctions si difficiles qui devaient honorer toute sa vie.

Dans ces occupations du jeune âge, les parents de M. Duméril voyaient un amusement plutôt qu’une carrière ; ils étaient fort embarrassés pour lui choisir une profession. Le jeune homme penchait vers la médecine[7] (car son amour pour l’histoire naturelle pouvait être regardé comme une des manifestations instinctives de sa véritable vocation), lorsqu’un ami de la famille[8], frappé de sa prédilection pour l’entomologie et de ses progrès en botanique, conçut la singulière idée…de la placer dans une maison de droguerie ! Il proposa de l’envoyer à Rouen pour son noviciat…

M. Duméril se soumit au caprice de son protecteur sans objection, partit d’Amiens sans résistance, et devint garçon de boutique avec résignation[9].

Heureusement pour lui et pour la zoologie, l’honnête droguiste était en même temps membre titulaire de l’Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Rouen ; il offrait un genre de cumul peu commun, même aujourd’hui, et possédait une riche bibliothèque, qui aurait fait envie à beaucoup de professeurs. Il reconnut, de prime abord, l’instruction soignée du jeune apprenti et son inclination pour les sciences médicales. Fort instruit lui-même, il favorisa loyalement les études du pauvres enfant déclassé, l’aida paternellement de ses conseils, de ses livres, de ses amis ; cachant sous le voile de la délicatesse la plus scrupuleuse tous les services qu’il s’efforçait sans cesse de lui rendre, et laissant ravir au magasin certaines heures de travail, qui étaient libéralement accordées à la science.

Ce Mécène de la bourgeoisie s’appelait Thillaye[10]. Il était peut-être parent du professeur de la Faculté de Médecine, son homonyme et son contemporain[11]. Ce que nous savons avec plus de certitude, c’est que M. Duméril parlait souvent du bienfaiteur qui avait encouragé ses premiers pas, et que ses paroles, profondément émues, exprimaient toujours son estime, son regret, et sa reconnaissance[12].

Pendant son bizarre apprentissage, M. Duméril remporta un des prix de botanique décernés par l’Académie royale des sciences de Rouen[13]. Ce premier succès aurait dû peut-être fixer son choix entre l’étude des plantes et celle des insectes, et le porter vers la première. Il n’en fut pas ainsi. On verra bientôt que l’entomologie obtint la préférence.

C’est vers cette époque que M. Duméril fut initié à la connaissance de l’organisation humaine par l’habile chirurgien Laumonier, correspondant de l’Institut de France et professeur à l’Ecole secondaire de Médecine de Rouen. L’anatomie ne tarda pas à devenir, pour lui, l’objet d’une véritable passion[14], qui fit oublier rapidement la botanique[15].

Cet abandon de l’aimable science avait encore une autre cause : c’était la dépense occasionnée par les herborisations, dépense en réalité fort peu considérable, et néanmoins trop élevée pour une petite bourse comme celle du jeune Duméril. Il écrivait à son père, le 10 juin 1791 : « Le cours de botanique… est dispendieux ici… On fait trois herborisations… qui coûtent chacune trois livres ; mais je ferai en sorte d’en éviter une ! »

Après quelques mois de dissections, M. Duméril fut nommé prévôt d’anatomie. On appelait ainsi l’élève d’élite qui était à la fois moniteur à l’amphithéâtre et chef de service à l’hôpital[16]. C’est alors qu’il commença de donner des leçons sur l’organisation humaine, d’abord devant quelques étudiants, bientôt devant un nombreux auditoire. Il obtint un grand succès, dans lequel il montra l’autorité d’un maître, malgré son extrême jeunesse, et dont il entrevit les conséquences, malgré sa modestie[17].

A l’âge de 21 ans, notre zélé prévôt fut choisi, par le district de sa ville natale, pour être envoyé à Paris, comme élève de l’Ecole de santé qui venait d’être fondée. Il arriva, au mois de janvier 1795[18], plein de zèle et riche d’avenir ; il avait une lettre de recommandation pour le professeur Fourcroy, l’un des hommes les plus célèbres de l’époque et les plus puissants dans la direction de l’instruction publique[19]. Bientôt M. Duméril prit rang parmi les meilleurs élèves de l’Ecole, et, après un an d’étude, il obtint au concours la place de prosecteur, place toujours très disputée, et par conséquent très difficile à conquérir.

Ce nouveau succès enflamma son courage ; Constant redoubla d’efforts, et fut nommé, encore dans un concours, aux importantes fonctions de chef des travaux anatomiques. Il avait eu pour concurrent non pas Bichat[20], comme on l’a dit et trop souvent répété, mais Dupuytren[21], athlète redoutable, qui déjà laissait entrevoir les brillants succès qui l’attendaient dans sa carrière.

Cette lutte mémorable offrit une circonstance peu commune dans l’histoire des concours. Les deux rivaux avaient l’un et l’autre de la science, de l’ardeur, mais n’avaient pas beaucoup d’argent… Ils étaient amis. Avant de descendre dans l’arène, les pauvres jeunes gens rédigèrent une convention d’après laquelle celui des deux qui sortirait vainqueur s’engageait à donner au vaincu le cinquième de son traitement. Il était réservé à M. Duméril d’exécuter le compromis.

L’étude de l’anatomie humaine avait admirablement préparé le nouveau chef des travaux anatomiques à celle de l’organisation des animaux. Il commença par les vertébrés, il finit par les insectes. Ses progrès furent rapides ; car ils étaient secondés par une intelligence prompte, par un coup d’œil sûr, et par une mémoire très facile. Il avait par-dessus tout cette passion du travail et ce mépris des obstacles, qui donnent de la considération aux moins habiles et qui conduisent les plus heureux à la célébrité.

Notre jeune anatomiste méritait de plus en plus les encouragements et les éloges de ses maîtres. Cuvier ne tarda pas à le distinguer et à l’accueillir dans son laboratoire ; il le fit participer à ses travaux, et lui confia la suppléance de sa chaire au Panthéon[22]. Bientôt il le pria de rédiger avec lui les deux premiers volumes de son Anatomie comparée'[23], ouvrage immense, sans modèle, qui devait poser les premières bases de la zoologie moderne[24]. L’idée de cette grande et belle publication semble même appartenir à notre savant confrère, si l’on s’en rapporte à un passage des mémoires de Cuvier[25].

En 1801, à peine âgé de 27 ans, M. Duméril fut nommé professeur d’anatomie et de physiologie dans cette Faculté[26], à la place de Leclerc, qui venait d’être appelé à l’enseignement de la médecine légale. Une seconde fois, il eut son ami Dupuytren pour concurrent[27], et le succès couronna encore ses efforts. A vrai dire, ce n’était plus dans un tournoi scientifique, c'est-à-dire dans un combat engagé publiquement ; mais dans une simple présentation.

Les connaissances de M. Duméril étaient très variées, on le savait ; c’est pourquoi, en 1818, on lui permit de passer de la chaire d’anatomie et de physiologie à celle de pathologie interne, devenue vacante par la mort du professeur Bourdier[28]. Après les déplorables destitutions de 1823, il fut chargé de nouveau de l’enseignement de la physiologie, et en 1830, lors du retour à la légalité, il reprit sa chaire de pathologie interne.

Ce qui prouvait bien plus encore les aptitudes nombreuses, dont la nature avait doué notre confrère, c’est que déjà, depuis 1803[29], il suppléait, au Muséum d’histoire naturelle, le célèbre continuateur de Buffon, dans l’enseignement de l’erpétologie et de l’ichtyologie. Il n’avait pas sollicité cette suppléance, qui lui fut confiée en quelque sorte malgré lui[30], à une époque où il ne s’était pas encore occupé d’une manière spéciale des reptiles et des poissons. A partir de ce moment, il se livre avec une ardeur infatigable à l’étude de ces deux grandes classes d’animaux, généralement peu recherchés et peu connus : les premiers, à cause du dégoût qu’ils inspirent et des venins qu’ils inoculent ; les seconds, à cause des profondeurs qui les recèlent et du milieu qui les protège. Il éclaircit, complète, perfectionne l’histoire et la classification des uns et des autres, mais en conservant toujours pour l’entomologie (sa chère entomologie !) le même amour et le même empressement.

M. Duméril réussit, du reste, en abordant son nouveau cours[31], comme il avait réussi en enseignant l’anatomie.

Il était encore chargé de cette même suppléance (1812) lorsque le gouvernement créa une chaire de zoologie et de physiologie à la Faculté des sciences de Paris. Un concours fut ouvert ; M. Duméril se présenta. Disons-le tout d’abord, il n’obtint pas la chaire. Cet échec fut-il déterminé uniquement par l’érudition féconde, par le savoir original, la verve oratoire, le mérite incontestable de son brillant compétiteur, ou bien, comme on l’a dit, par l’influence inattendue d’un protecteur illustre, qui avait entouré son adversaire de tous les moyens de succès'[32] ? Dans le doute, il serait peut-être plus convenable de croire à la sincérité des épreuves et à l’impartialité du jugement. M. Duméril aurait donc éprouvé, dans cette lutte avec Blainville, ce que, dans une autre circonstance, Dupuytren avait éprouvé avec lui.

Plus heureux au jardin des plantes (1825), il fut nommé[33] professeur en titre de la chaire d’erpétologie et d’ichtyologie. Ce choix n’eut pas lieu à la suite d’un concours, mais à la fin d’une suppléance qui avait duré… vingt-deux ans[34] ! Dans cette longue épreuve, l’ardeur de M. Duméril n’avait pas faibli un seul instant, et il avait montré un mérite bien rare à toutes les époques et dans toutes les carrières, celui de n’être pas pressé ! M. Duméril a conservé cet enseignement d’histoire naturelle jusqu’en 1856, époque où il a donné sa démission et où il est devenu professeur honoraire[35].

Ainsi, messieurs, vous venez de le voir, notre savant confrère a été professeur pendant cinquante-quatre ans au jardin des plantes, et pendant cinquante-neuf à la Faculté de médecine. Peu de membres de l’Université ont parcouru une carrière aussi longue et aussi belle. M. Duméril a connu parmi nous 87 collègues ; il en a vu mourir 61 ! Je n’ai pas compté le nombre de jeunes gens qu’il a interrogés !… Ses premières leçons ont été suivies par les pères de plusieurs professeurs actuels et par les grands-pères de beaucoup d’élèves qui m’écoutent !…

M. Duméril faisait donc marcher de front l’enseignement de la médecine et celui de l’histoire naturelle ; et, chose extraordinaire, il avait encore le temps de voyager, de se livrer à la pratique de notre art et d’organiser les collections du Muséum.

Le Gouvernement l’envoya avec Desgenettes, en 1801, à Pithiviers, pour déterminer la cause et conjurer les effets d’une épidémie qui causait de grands ravages ; et en 1805 en Espagne, pour étudier la nature et les progrès de la fièvre jaune, qui désolait l’Andalousie.

En 1812, il fut nommé médecin des hôpitaux[36] ; il en a rempli les fonctions avec un zèle scrupuleux durant quarante années[37].

Pendant tout ce temps, il voyait des malades et donnait des consultations. Sa pratique était prudente et heureuse. La justesse de son discernement était singulièrement favorisée par la maturité de son expérience. Notre confrère trouvait d’ailleurs dans cette douce habitude d’être utile à ses semblables un genre particulier d’occupations qui convenait merveilleusement aux besoins affectueux de son âme et de son cœur.

On l’a déjà dit, « le Muséum d’histoire naturelle lui doit la création non seulement de la plus belle collection erpétologique qui existe[38], mais aussi celle d’une ménagerie pour les reptiles[39], entreprise qui n’avait été tentée par aucun naturaliste, et qui est considérée aujourd’hui comme une partie nécessaire de tout grand établissement zoologique. » (Milne-Edwards)

Les exigences de l’enseignement et l’exercice de la médecine n’arrêtèrent jamais M. Duméril dans ses recherches d’histoire naturelle et dans la publication de ses travaux. Il est vrai qu’après vingt ans d’une pratique médicale très active, il crut devoir renoncer à sa nombreuse clientèle pour se consacrer tout entier à la science.

Ses ouvrages sont nombreux et variés ; son premier travail paraît être un mémoire sur la respiration des plantes, daté du 10 septembre 1792, et resté manuscrit. Sa première publication est le projet d’une nouvelle nomenclature anatomique, présentée en 1796 à la Société philomathique de Paris.

M. Duméril a rédigé, par ordre du premier consul, des Eléments sur les sciences naturelles. Ce livre destiné aux divers établissements d’instruction publique, est dédié à Cuvier ; il a eu cinq éditions.

Mais les ouvrages qui font sans contredit le plus d’honneur à notre savant collègue, ce sont la Zoologie analytique, l’Erpétologie générale, l’Ichtyologie analytique, et l’Histoire générale des insectes.

La Zoologie analytique est un exposé savant, fidèle, et concis du règne animal ; distribué en petits tableaux synoptiques, clairs et commodes, dans lesquels la filiation des genres est admirablement combinée avec la netteté des distinctions.

La Zoologie analytique, comme le dit l’auteur lui-même, présente, pour l’époque où elle a été publiée, le résumé ou le bilan de la science. Ce livre est un de ceux qui ont le plus répandu le goût et l’habitude des classifications régulières et qui ont le plus influé sur les progrès et sur l’enseignement de la zoologie[40]. Un illustre naturaliste a regardé la Zoologie analytique comme une des gloires de la France[41].

L’Erpétologie générale n’a pas moins de dix volumes. C’est l’ouvrage le plus considérable de notre laborieux confrère, c’est le plus complet et le plus important que l’on possède sur cette branche de la zoologie (Milne-Edwards)[42]. Il présente l’histoire de 1311 espèces de reptiles[43] ! L’auteur l’a rédigé avec le concours de son aide-naturaliste, M. Gabriel Bibron, et de son fils, M. Auguste Duméril. Le premier a été enlevé à la science par une mort prématurée, au moment où la solidité de ses recherches allait donner de l’éclat à sa réputation. Le second, d’abord notre collègue dans cette Faculté, occupe aujourd’hui, dignement, au Muséum d’histoire naturelle, une chaire importante, qui doit lui rappeler les plus doux souvenirs[44], offrant, en même temps, un nouvel exemple de l’utilité des études médicales pour les progrès de la zoologie.

L’Ichtyologie analytique embrasse tous les genres de poissons connus et les réunit en trois sous-classes et en quarante-trois familles. Une érudition choisie et une très heureuse combinaison de la méthode naturelle et du classement artificiel distinguent cet ouvrage capital de tous ceux qu’on a composés sur ce groupe d’animaux. L’auteur montre partout un jugement sévère, un tact exquis, et une connaissance approfondie de la structure des poissons.

L’Histoire générale des insectes ressemble à l’ichtyologie par l’esprit philosophique qui en a dirigé la classification ; mais, dans cette dernière œuvre, l’auteur, tout en s’occupant des formes et des rapports, insiste d’une manière spéciale sur les fonctions et sur les mœurs. Vous le voyez, Messieurs, l’entomologie a toujours occupé notre savant collègue ; amusement de son enfance, distraction de son âge mûr, elle est devenue le bonheur de sa vieillesse. L’Histoire naturelle des insectes peut être considérée comme son testament scientifique. Ce livre, composé par un octogénaire, est écrit avec beaucoup d’ordre, de concision et de lucidité ; il rend la science gracieuse et facile à ceux qui ne la connaissent pas encore, il la montre digne et respectable à ceux qui ne sont pas appelés à la connaître.

Tant de travaux devaient fixer sur M. Duméril l’attention des compagnies savantes. A l’âge de vingt-six ans il était déjà membre de huit académies[45]. Le 26 février 1816, il fut élu membre de l’Institut[46], et lors de la création de l’Académie de médecine, on s’empressa de l’inscrire parmi les titulaires. Vers la fin de sa carrière, il appartenait aux principales sociétés savantes de l’Europe[47].

M. Duméril était plutôt observateur ingénieux que hardi généralisateur. Les longs enchaînements d’idées, les larges vues d’ensemble, ne convenaient pas à son esprit. Il aimait mieux chercher des faits nouveaux, éclaircir des observations obscures, analyser, peser, coordonner les connaissances acquises, qu’associer philosophiquement par la synthèse les matériaux recueillis par les autres ou découverts par lui.

Cependant il n’était pas indifférent aux grands mouvements et aux transformations de la science, et savait à propos s’élancer dans les nouvelles voies. C’est ainsi qu’il a été le premier à distribuer par familles naturelles la classe si nombreuse des insectes, à une époque où les arrangements systématiques dominaient encore toutes les études et paralysaient tous les progrès.

M. Duméril appartenait à l’école de Linné par l’élégance et l’euphonie de sa nomenclature, par le choix et l’opposition de ses caractères, par l’économie et la clarté de ses descriptions. Il suivait, pour ainsi dire pas à pas, les admirables compositions de cet immortel modèle dans l’ordonnance rigoureuse des ensembles et dans l’enchaînement symétrique des détails.

Mais il était de l’école de Cuvier par le nombre et la variété de ses anatomies, par la sagacité avec laquelle il déterminait les organes, par la rigueur qu’il apportait dans leur comparaison, et surtout par les applications qu’il en faisait à la zoologie[48].

Moins concis que le grand naturaliste suédois, moins aphoristique et moins profond, il était plus zoographe que l’illustre anatomiste français, plus classificateur et plus élémentaire.

Malgré sa réserve habituelle, il s’est laissé entraîner une fois par les séduisantes méditations de l’anatomie philosophique. Il a démontré l’analogie de composition qui existe entre les os de la tête et les vertèbres, analogie remarquable déjà entrevue par un grand poète, mais rejetée comme une rêverie[49]. M. Duméril a donc contribué pour sa part au développement de ces belles et fécondes théories (et ici, messieurs, dans cet ordre d’idées, que le mot ne vous effraye pas), de ces théories qui ont exercé depuis cinquante ans une influence si heureuse sur l’anatomie comparée et sur l’histoire naturelle. Il fut malheureusement détourné de cette voie par les conseils et par l’exemple de son illustre maître[50]. Une mauvaise plaisanterie sur la vertèbre pensante était à cette époque un argument sérieux. Le moment n’était pas venu où l’érudition et l’éloquence devaient se trouver impuissantes pour arrêter la marche et le triomphe de la nouvelle anatomie.

Scrutateur de la nature, enthousiaste, consciencieux et plein de finesse, notre savant confrère se rattache aussi par plus d’un lien, à cette brillante et glorieuse phalange de naturalistes éminents qui compte dans son sein les Réaumur, les Lyonnet, les de Géer… Nous trouvons dans le grand ouvrage qui couronne sa carrière des observations patientes et délicates, quelquefois neuves, souvent piquantes, toujours exactes, sur ces petits animaux industrieux qui nous étonnent par leur instinct encore plus que par leur organisation, et dont nous ne saurions trop admirer les associations ou les travaux, les ruses ou les combats, les chants ou les amours !…

In his tam parvis… quae ratio ! Quanta vis ! Quam inextricabilis perfectio !'[51]

M. Duméril était doué d’une activité puissante et passionnée ; son ardeur pour l’étude et sa constance dans les investigations ont été les mêmes à toutes les époques de sa vie ; il semblait craindre le repos ! Son premier mémoire remonte à 1792, son dernier travail a paru en 1860. Il avait à peine dix-huit ans quand il écrivait sur la respiration des plantes, il en comptait quatre-vingt-sept lorsqu’il présenta son grand ouvrage sur les insectes à l’Institut.

On remarquait dans notre collègue un esprit réfléchi et, en même temps, une vivacité singulière, rarement contenue, souvent même accompagnée d’un peu de pétulance[52]. Sa conversation était variée, instructive, attachante, parfois animée d’une mimique expressive, qui n’appartenait qu’à lui. Il avait à un haut degré le sentiment de l’ordre ; il distribuait si bien ses heures de travail et classait si heureusement ses livres, ses extraits, et ses observations, qu’il pouvait suffire aux ouvrages les plus étendus et aux occupations les plus diverses. Comme Lacépède, il appliquait la méthode des naturalistes à l’emploi de son temps, à ses études… et même à ses distractions. Il observait très rigoureusement la règle et le devoir : c’était le plus exact des professeurs. Je me trompe ; il avait un rival de ponctualité dans un savant collègue[53], dont les années ne ralentissaient pas le zèle et dont le zèle honorait les années.

Naturellement bon, généreux et serviable, M. Duméril ne refusa jamais de seconder le travail des autres par de précieuses communications et de venir en aide aux médecins, aux naturalistes, et aux élèves malheureux. Il semblait supporter un revers quand il refusait un suffrage, et solliciter une grâce quand il plaçait un bienfait. Il encourageait quand il ne louait pas (I. Geoffroy Saint-Hilaire). La bienveillance régnait dans ses démarches, dans ses écrits, dans toutes ses paroles… et surtout dans les examens.

Il avait une modestie peu commune. Quelqu’un lui disait un jour : « Vous aviez dû faire des études bien profondes, pour l’emporter sur Dupuytren. » Il répondit avec bonhomie : Mais non ; j’ai réussi parce que, à cette époque, Dupuytren n’était pas fort[54]. Paroles remarquables, Messieurs, qui renferment un double enseignement : C’est d’abord une modestie naïve, qui a traversé intacte un demi-siècle de succès ; c’est ensuite une défaite méritée, qui n’a pas découragé, au début de sa carrière, un jeune homme plein d’ardeur, devenu bientôt une des plus grandes illustrations de l’art chirurgical.

M. Duméril avait une conscience droite et pure, et un cœur franc et ouvert. Homme de principes et de caractère, il savait vouloir et résister. Il se décidait vite, quelquefois même un peu trop vite, et portait l’énergie de ses résolutions jusqu’à l’inflexibilité.

Ses amitiés étaient solides. Il a vécu dans l’intimité des hommes les plus illustres de son temps, et a su leur inspirer des sentiments aussi vifs et aussi durables que ceux qui le rendaient lui-même si aimant et si affectueux.

Il chérissait par-dessus tout la Faculté tutélaire dans laquelle il avait complété son instruction, préparé ses travaux, reçu des encouragements, trouvé une carrière et rencontré de vrais amis ! Il aurait pu nous dire, et avec autant de vérité, ce que Fontenelle disait une fois de l’Académie française :

« Un demi-siècle passé parmi vous, Messieurs, m’a fait un mérite ; mais je me flatte d’en avoir un autre ; c’est mon attachement pour mes confrères. »

L’amour des distinctions et des honneurs n’a jamais été le mobile de ses écrits ni de ses actes, et son désintéressement a toujours marché de pair avec sa probité.

Lorsque Cuvier fut nommé secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, il laissa une place vacante dans la section d’anatomie et de zoologie. Le grand naturaliste était alors à Bordeaux. Il écrivit la lettre suivante à son élève et collaborateur :

« Je n’ai jamais été si embarrassé de ma vie que je le suis à présent entre vous trois, Geoffroy Saint-Hilaire, Alexandre Brongniart, et toi. Je voudrais que vous arrangeassiez entre vous lequel je dois servir. L’inclination me porte pour toi ; la reconnaissance pour Geoffroy, auquel je dois en quelque sorte toute mon élévation actuelle ; Brongniart, de son côté, ne se fâchera-t-il par contre vous et contre moi ?... Cela me tourmente…

Tout bien calculé, ne penses-tu pas que mon devoir est de donner les premières voix à Geoffroy ? C’est à ton amitié que je m’en rapporte. C’est sans doute la plus grande épreuve que je puisse te donner de mon estime, que de te consulter dans ta propre cause. » [55]

On ne connaît pas au juste la réponse de M. Duméril ; on sait seulement qu’il ne se présenta pas, et que Cuvier vota pour Geoffroy Saint-Hilaire ![56]

M. Duméril est arrivé à une vieillesse pour ainsi dire exceptionnelle ; il a dû cet avantage à la force de sa constitution et à la régularité doucement austère de sa vie.

Il me semble voir encore au milieu de nous ce Nestor de la science, à taille élancée et droite, à démarche ferme et assurée, à la figure à la fois grave et bienveillante. Ses beaux cheveux blancs commandaient le respect, et sa bouche souriante appelait la confiance. Il avait un air méditatif, mais enjoué ; des manières sérieuses, mais prévenantes ; de l’assurance sans contrainte et de la dignité sans froideur. Sa vie a été calme et heureuse ; il a éprouvé dans la société toutes les satisfactions de l’honnête homme ; il a goûté dans sa famille toutes les joies du cœur et de l’esprit[57]. Les angoisses de la maladie lui ont été épargnées ; après une vieillesse exempte de caducité, la Providence a voulu lui envoyer une mort exempte de souffrance. Admirable de résignation et de tranquillité, il s’est endormi paisiblement à l’âge de quatre-vingt-sept ans, avec toute la lucidité de son esprit, après quelques jours de malaise ou de difficulté de vivre.[58]

Messieurs, le souvenir de M. Duméril restera profondément gravé dans les annales de la science. La gloire de son nom est associée à une des plus mémorables époques de l’histoire naturelle. Il a été parmi nous le dernier représentant de cette génération puissante qui a illustré la fin du dernier siècle et le commencement du siècle actuel. Nous chercherons longtemps un esprit aussi positif, des convictions aussi généreuses et des conseils aussi utiles.

Le nombre, la variété et l’importance des travaux de M. Duméril l’ont rendu, sinon l’égal, du moins l’auxiliaire de Linné, de Réaumur et de Cuvier. Il est au-dessous de Gouan et de Bloch, et sur la même ligne que Fabricius et que Latreille.

Les grâces de son esprit, l’urbanité de ses manières et la sincérité de ses affections en ont fait un professeur chéri par ses collègues, par ses disciples et par tous ceux qui l’ont connu.

Puissent cette belle intelligence et ce noble cœur servir de modèle à la jeunesse d’élite réunie dans cette enceinte ; qu’elle s’efforce de marcher dans la voie studieuse que M. Duméril a si bien parcourue ; qu’elle imite son désintéressement, sa modestie et sa bonté ; elle honorera ainsi une des professions les plus utiles, une des écoles les plus célèbres, et méritera la même considération, les mêmes éloges, et les mêmes regrets[59].

[Les pages 29 à 43 contiennent la liste des ouvrages d’André Marie Constant Duméril, classés par thèmes (généraux, anatomie et physiologie, médecine et chirurgie, mammifères et oiseaux, reptiles, poissons, mollusques et annélides, insectes, végétaux, mélanges) ; et par années au sein de chaque thème (de 1796 à 1860)]

Notes

  1. Secrétaire perpétuel de la section de chirurgie de l'Académie des sciences à partir de 1822, Étienne Pariset (1770-1847) a été médecin à l’hôpital de la Salpêtrière, connu pour être le fondateur de la Société protectrice des animaux en 1845. [NDLR – en l’absence de cette mention, les notes sont celles de Moquin-Tendon.]
  2. Louis Jean Marie Daubenton (1716-1800), médecin et naturaliste, pionnier dans le domaine de l'anatomie comparée, auteur du Tableau méthodique des minéraux, suivant leurs différentes natures (1788). [NDLR]
  3. Jean-Charles-François Duméril, né à Abbeville en 1733 ; marié à Marie-Louise-Hélène-Rosalie Duval, née à Oisemont en 1735 ; mort en 1832. Sa femme est morte en 1829.
  4. Il avait été d’abord procureur, puis juge de paix. Sa fortune était très médiocre.
  5. Cinq garçons et deux filles.
  6. Sa mère fut obligée de faire à ses vêtements une poche de peau, parce qu’il trouait celles de toile en les remplissant de différents objets d’histoire naturelle qu’il recueillait autour de la ville.
  7. « Je vois plus que jamais lieu à être médecin. » (Lettre à sa mère, du 20 juin 1791). « Mes goûts m’ont toujours porté vers la médecine, tel a été toujours mon but ; c’est là que toutes mes vues ont été dirigées. » (Lettre à M. Deu, du 13 novembre 1791).
  8. M. Deu de Perthes. [NDLR]
  9. « Le premier pas est fait… je m’y accoutumerai. » (Lettre à son père du 6 octobre 1791) en fait, 1792, mais daté 1791 sur le livre de copie. « Je suis maintenant au courant de la boutique et je ne m’ennuie point. » (Lettre à sa mère du 30 juin 1791). « Je fais tout ce que je peux pour me rendre utile, et je sens que je suis nécessaire. Il faut voir tant de monde dans une boutique ! » (Lettre à son père du 26 octobre 1791).
  10. Jacques François René Thillaye. [NDLR]
  11. Jean Baptiste Jacques Thillaye (1752-1822) est son jeune frère. [NDLR]
  12. L’Académie de Rouen, le lendemain de sa rentrée (le 17 novembre 1791), envoya une députation à Mme Thillaye, pour lui faire un compliment de condoléances, à l’occasion de la mort de son mari. Un des membres de la députation chargea le jeune Duméril, de la part du secrétaire de l’Académie, de composer une notice sur tout ce que M. Thillaye avait fait et écrit en tous genres. (Lettre à son père du 18 novembre 1791).
  13. Ce prix lui fut remis dans la dernière séance de l’Académie, tenue à l’hôtel de ville, le 10 août 1791 (Précis analytique des travaux de l’Acad. Royale des sciences, etc., de Rouen, t.V, Rouen, in-8°, p. 52 ; 1821 (1781-1793).
  14. « Le chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu m’a remarqué parmi les élèves. Je vais l’aider quelquefois dans ses préparations anatomiques. » (Lettre à sa mère, du 21 janvier 1793) « Je commence à devenir fort en anatomie, mais, dame ! il faut travailler ! » (Lettre à sa mère du 8 décembre 1793) « J’ai travaillé cet hiver ; je n’ai pas perdu un seul instant. L’anatomie a été pour moi la même passion que celle de courir aux insectes. Jugez ! » (Lettre à sa mère du 9 mars 1794) « Je ne sais, n’entends, ne rêve qu’anatomie. Vous rappelez vous ce temps où la botanique et les insectes étaient ma passion favorite. Vous m’avez vu alors, vous avez pu remarquer si j’étais passionné ! Eh bien ! vous n’avez rien vu, vous ne me connaissiez pas encore. L’ardeur que j’y mettais n’est rien auprès de celle qui m’entraîne vers l’anatomie. C’est un grand bonheur pour moi !... » (Lettre à sa mère du 25 novembre 1794).
  15. On voit, par cette citation, qu’il étudiait encore la botanique pendant la première année de son séjour à Rouen. Il allait de temps en temps herboriser dans une propriété de M. Thillaye. « Voilà deux fois que je vais à la campagne de M. Thillaye, qui est éloignée de sept lieues d’ici. J’en suis revenu hier. Il y a un agrément, c’est qu’on fait cinq lieues dans un navire, pour six blancs ; mais il faut manger quand on est arrivé, et il faut revenir. Tout cela n’emplit pas la poche. » (Lettre à sa mère du 30 juin 1791). Il paraît, par une lettre de l’illustre de Candolle, datée du 5 octobre 1805, que M. Duméril s’était donné beaucoup de soin pour augmenter l’herbier de son savant ami. C’est probablement la dernière fois qu’il s’est occupé de botanique.
  16. Le 10 mai 1791 [date erronée :1794]. Cette petite place donnait 1 200 livres d’appointements ; on était de plus logé, éclairé et chauffé.
  17. « Ce ne serait pas à moi à vous le dire, mais il faut que vous le sachiez ; je démontre l’anatomie ave un succès qui n’est pas celui d’un jeune homme de 21ans et de trois ans d’études. Hier encore, j’ai reçu des compliments de vingt personnes capables d’en juger, au sortir de ma leçon. Si mes dispositions sont toujours les mêmes, et si j’ai la faculté de m’instruire autant que je le désire, je puis espérer une des premières places dans l’art de guérir. » (Lettre à son père du 20 décembre 1794).
  18. Il portait aussi un certificat de Rouëlle, officier de santé en chef de l’hospice de Rouen (3 janvier 1795). Il est dit, dans ce certificat, que l’élève Constant Duméril parcourt à pas de géant les diverses parties de l’art de guérir et qu’il possède toutes les qualités qui caractérisent un homme de génie (sic).
  19. « J’ai reçu, mon cher ami, ton épître par laquelle j’ai appris, avec un grand plaisir, le bon accueil que tu as reçu du citoyen Fourcroy. Je désire que ce premier pas te conduise à quelque chose d’utile et d’honorable. Tu ne jouiras jamais tout seul de ton bonheur, car je le partage d’avance. Te voilà enfin lancé au milieu des merveilles de la capitale ! Il me semble te voir faire autant de bonds et de ??... que tu rencontres d’objets. Le cabinet du citoyen Pinson a fait sur toi la même impression qu’il m’avait faite. Celui de Charenton t’aura présenté de plus grandes masses et quelques détails intéressants, surtout les connexions, certains vaisseaux lymphatiques, et des injections dont la peinture et le vernis ont un peu masqué les vaisseaux des tuniques vasculaires ; mais en grand, on n’y regarde pas de si près. J’y ai vu autrefois quelques pièces anatomiques de poissons ; je ne sais pas si cela est conservé. La soif de voir va te faire parcourir toutes les collections et tous les monuments ; mais, après avoir éteint la première ardeur et satisfait les yeux, il faut allonger la trompe et goûter au nectar ! Le bien et le mal serviront également à ton instruction, par le discernement et l’emploi que tu en feras. Songes bien que tu n’es pas un papillon éphémère, et qu’indépendamment de la nourriture du jour, il faut amasser pour l’avenir. Emploie sagement tes moyens, sans trop y compter ; c’est par là que tu en doubleras la solidité. De la méthode et de la tenue, voilà ce qu’il faut, quand on a ce que tu as. Pardonne à l’amitié les conseils qu’elle te dicte, et compte que tes succès seront mes jouissances, etc… » (Lettre de Laumonier du 2 février 1795).
  20. Xavier Bichat (1771-1802), médecin anatomiste, rénovateur de l'anatomie pathologique, auteur de Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1799). [NDLR]
  21. Accord entre le citoyen Dupuytren et moi pour la place de chef des travaux anatomiques : « Nous soussignés, forcés de concourir ensemble aujourd’hui pour la place de… ». [voir la lettre du 12 avril 1799]
  22. « Cuvier m’a fait, il y a dix jours, une espèce de déclaration par écrit qui contenait à peu près ces mots : « Je m’engage à remettre au citoyen Duméril les deux tiers des appointements de ma chaire au Panthéon (au fur et à mesure que je serai payé au Collège de France), tant qu’il voudra bien la remplir pour moi. Je lui promets, en outre, de donner ma démission en sa faveur, aussitôt que j’aurai la chaire d’anatomie du Muséum d’histoire naturelle. » J’ai cru que sa parole suffisait, et par honnêteté j’ai déchiré ce billet. » (Lettre à son père du 30 mars 1800) [date erronée : 9 avril 1800].
  23. « Tous mes moments sont employés, de manière que je n’ai pas un instant à moi. Le matin, je prépare ma leçon de l’Ecole centrale, et je passe à l’Ecole de Médecine. A dix heures et demie jusqu’à midi, je fais ma leçon. Depuis midi jusqu’à quatre heures, je travaille à la rédaction de l’ouvrage d’anatomie comparée du citoyen Cuvier, chez lequel je dîne. A cinq heures jusqu’à dix heures et demie ou onze heures, je travaille à l’Ecole de Médecine, dans mon laboratoire. Et tous les jours, la même besogne ! » (Lettre à sa mère du 16 décembre 1800).
  24. « Cuvier se plaisait à reconnaître que M. Duméril l’avait activement secondé dans ses investigations, et qu’il devait à la perspicacité de ce collaborateur zélé une multitude d’observations curieuses. » (Milne-Edwards, Discours aux funérailles.) « Ces leçons ont été rédigées, comme le titre l’indique, d’après mes démonstrations orales, par un de mes plus chers élèves et de mes meilleurs amis, le citoyen Duméril, dont les talents viennent d’être récompensés par la place importante de chef des travaux anatomiques de l’Ecole de Médecine, qui lui a été décernée après un concours solennel. Ayant suivi mes cours pendant quatre ans, il a recueilli si exactement tout ce que j’y ai développé, qu’il aurait été difficile à moi-même de le faire mieux. Au reste, ce n’est point de sa plume seulement que le citoyen Duméril a contribué à cet ouvrage. Il m’a toujours secondé dans les nombreuses dissections qu’il m’a fallu faire ; il en a suivi plusieurs d’après des vues qui lui sont propres et que lui suggéraient ses connaissances étendues en histoire naturelle et en physiologie, et je dois à sa perspicacité une multitude d’observations piquantes et de faits curieux qui m’auraient échappé. » (Cuvier, Leçons d’anat. Comp., 1805, t. 1, p. XIII.)
  25. « Un de mes amis, élève d’anatomie comparée, M. Duméril, qui avait suivi mes cours dès l’origine, me demanda de publier les notes qu’il avait prises… Nous y travaillâmes pendant tout 98 et 99… Les deux premiers volumes parurent en ventôse an VIII » [mars 1800] (Cuvier).
  26. Il n’était pas encore docteur, mais ce titre n’était pas nécessaire. M. Duméril a soutenu sa thèse le 29 août 1803 ; elle avait pour titre : Essai sur les moyens de perfectionner et d’étendre l’art de l’anatomiste. Sa nomination est datée du 6 mars 1801. Six ans plus tard, un de ses meilleurs amis, Richerand, arriva comme lui au professorat, à peine âgé de 27 ans (le 31 mai 1807).
  27. Le 28 février 1801. « Sur 19 votants, j’ai obtenu 15 suffrages au premier tour de scrutin. Parmi les trois candidats, est mon mi Dupuytren… Quand j’y pense, je crois rêver !... Ce qui flatte surtout mon amour-propre, c’est de pouvoir vous reprocher les conseils que, par de bonnes intentions, vous me faisiez donner si souvent, de ne point tant me livrer aux sciences accessoires ! Il faut avouer aussi que je suis bien heureux ; tout ce que j’ai entrepris m’a réussi. J’espère que Dupuytren aura ma place. » (Lettre à son père, du 28 février 1801)
  28. Il avait fait le cours de son collègue pendant la maladie de ce dernier. « J’ai été chargé par la Faculté de faire à la place de M. Bourdier, qui est affecté d’une maladie longue, mais mortelle, un cours dit de pathologie. J’ai accepté dans l’espoir de quitter la chaire d’anatomie, qui est beaucoup plus fatigante… Je n’avais aucune note pour commencer mes leçons ; il me faut passer une partie des nuits pour les préparer. Heureusement mon zèle est couronné du plus grand succès. J’ai jusqu’à 1200 auditeurs !... » (Lettre à son père, du 9 mai 1818).
  29. Et non pas en 1802, comme l’ont avancé plusieurs biographes. Cette suppléance a été autorisée par l’assemblée des professeurs administrateurs, le 6 prairial an XI (16 juin 1803).
  30. « Qui m’eût dit, il y a neuf ans : Etudiez l’histoire naturelle, cela vous conduira à Paris ; vous y arriverez aux premiers emplois, on vous donnera à choisir les premières places ; vous remplacerez Lacépède !!! Voilà pourtant ce qui arrive.J’étais avant-hier fort embarrassé quand on me fit cette proposition. Pourquoi ? Il y en a beaucoup de raisons. Les principales ? les voici en peu de mots : Il s’agit de professer, au Muséum d’histoire naturelle, les reptiles et les poissons. Or je n’ai jamais étudié les poissons épineux, qui composent près des deux tiers de la seconde partie… Daudin, Brongniart, Geoffroy, suivent la même carrière ; ils ont écrit sur ce sujet ; ce sont mes amis ; ils vont me regarder comme un intrigant, qui aura cherché à leur enlever une place que je ne devais pas même désirer… Cependant il fallait se décider, et voilà comment Cuvier, qui était chargé par Lacépède de me faire la proposition, répondait à mes observations : « Je te donnerai tous mes manuscrits… Lacépède te communiquera toutes ses notes. Ce n’est point la place en elle-même que tu dois considérer, c’est le pied que tu mets dans l’établissement, c’est la confiance dont on t’honore ; c’est la préférence qu’on te donne, sans que tu l’aies sollicitée… Il faut accepter. » J’ai accepté. » (Lettre à un de ses frères, du 2 juin 1803).
  31. « Mon cours est extrêmement suivi, plus qu’aucun de ceux qui se font dans les galeries, lesquels n’ont qui cinq ou six personnes. J’ai habituellement plus de soixante élèves, et cela me fait une sorte de réputation dans l’établissement. » (Lettre à sa mère, du 13 septembre 1806).
  32. « Lorsque la Faculté des sciences eut à se donner un professeur d’anatomie et de zoologie, il (Cuvier) fit mettre la chaire au concours, et entoura son candidat de tous les moyens de succès ; Blainville fut nommé. » (Flourens, Eloge historique de Ducrotay de Blainville, 1854, p. 19). Voici ce que dit M. Duméril lui-même, dans trois lettres adressées à ses parents : « Je concours, dans ce moment, pour la place de professeur adjoint à la chaire de zoologie, seulement pour l’honneur. Je vous envoie quelques exemplaires de la thèse que j’ai soutenue le 28 mars. Je n’ai qu’à me louer des deux actes publics où j’ai paru. » (Du 2 avril 1812) ; « Mauvaise nouvelle ! Je n’ai pas été nommé, mais je m’y attendais, et ce résultat ne m’a été en aucune manière sensible. Je me suis tiré avec le plus grand honneur de toute cette affaire. Sachant à peu près l’issue de ce combat, j’avais engagé toutes les personnes auxquelles j’avais pu me confier, à solliciter le plus grand silence de la part de l’auditoire au moment du jugement, comme une parque de bienveillance à laquelle je serais très sensible. Mais quelques applaudissements indiscrets, partis naturellement de la part des amis de mon compétiteur, ont excité une sorte de sifflement de rage et des huées qui ont accompagnée les juges jusqu’à la porte. Le président a eu la sottise d’en prendre acte, et les huées ont recommencé de plus belle. J’ai été très peiné de cette nouvelle, quoiqu’elle ait réellement soulagé un peu ma déconfiture. J’ai été blessé, il est vrai, dans cette affaire ; mais j’ai montré au moins que je savais le métier et que j’avais du courage… Il n’est maintenant bruit que de ce jugement, auquel personne ne s’attendait plus que moi, d’après le choix des juges, dont aucun ne pouvait en conscience se dire compétent. » (Du 16 avril 1812) ; « L’affaire de mon concours s fait plus de bruit que je ne désirais. Beaucoup de personnes très marquantes se sont expliquées de manière à me faire espérer que cette aventure me sera utile. Le grand maître a dit en plein salon : Il est fâcheux de voir de pareilles menées ; c’est comme cela qu’on perdra tous les avantages des concours.  M. Corvisart, qui était présent, a ajouté alors : M. Duméril au reste a moins perdu que ses juges, car pour lui, il y allait d’une place, et pour les autres, de l’honneur. L’article de la Gazette de santé, dont on n’a inséré qu’un extrait dans le Journal de l’Empire, est surtout foudroyant ; aussi a-t-il mis les meneurs d’intrigues dans une grande colère, qui a excité les réclamations dont l’un des numéros suivants a contenu le résumé, présenté de manière à montrer leurs bonnes intentions. On m’a dit qu’il devait y avoir, ces jours-ci, un article en ma faveur dans la Gazette de France. Je suis fâché de devenir un sujet de causerie ; mais, puisque le mal est fait, il est bon que la honte de ceux qui l’ont produit soit manifeste. Beaucoup de membres de l’Institut sont venus, à cette occasion, me donner de nouvelles preuves de leur bienveillance à mon égard. » (Du 10 mai 1812).
  33. Le 23 novembre.
  34. En novembre 1811, après huit ans d’exercice, l’administration du Muséum l’autorisa à prendre le titre de professeur adjoint de la chaire des reptiles et des poissons.
  35. Le décret est daté du 21 janvier 1857.
  36. Cette place était destinée à François Delaroche, son beau-frère, savant naturaliste, et habile physicien, mort peu de temps après.
  37. M. Duméril n’a jamais servi comme chirurgien militaire, ainsi qu’on l’a dit dans un des discours prononcés sur sa tombe.
  38. « Aucune collection n’égale celle que M. Duméril remettait, il y a quelques années, dans les mains filiales d’un successeur digne de lui. » (I. Geoffroy Saint-Hilaire, [[Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne (1772-1844) et sa familleInstitut national, Académie des sciencesMuséum, Jardin des Plantes, Jardin du roi, Cabinet d’Histoire naturelle du roiMuséum, Jardin des Plantes, Jardin du roi, Cabinet d’Histoire naturelle du roi.|discours]] aux funérailles).
  39. « Malgré l’insuffisance du local dont il avait fallu provisoirement se contenter, la collection des reptiles vivants était digne de prendre place à côté de la grande ménagerie instituée un demi-siècle auparavant…, et qui depuis a été imitée par toute l’Europe. La ménagerie erpétologique ne manquera pas de l’être à son tour. » (I. Geoffroy Saint-Hilaire).
  40. Dans une pétition adressée au ministre de l’intérieur (8 décembre 1793), M. Duméril parle de deux tableaux d’ostéologie distribués méthodiquement. On voit qu’à cette époque il composait déjà des classifications par tableaux. La Zoologie analytique est de 1806.
  41. « Parmi les gloires de la France, en histoire naturelle, on ne peut s’empêcher de rappeler la mémorable zoologie analytique de Duméril, vrai fil systématique d’Ariane dans le labyrinthe de la méthode. » (Ch. Bonaparte, Comptes rendus des séances de l’Institut, t. XLIV, 1847, p. 646.) ; « Mon cher maître (car vous l’avez été par votre incomparable zoologie analytique), je vous réitère mes excuses de l’impossibilité où j’ai été hier de vous recevoir. J’espère que vous ne m’en punirez pas, et que vous vous rendrez à mon invitation de dîner pour demain soir, lundi, à six heures et demie. Amenez-moi surtout votre fils, dont j’apprécie si bien le zèle et les talents. Tout à vous de cœur. » (Billet de Ch. Bonaparte du 7 janvier 1855) ; « Votre admirable zoologie analytique a été mon premier guide dans l’étude de cette science » (l’ichtyologie). (Lettre de M. Richard Owen, du 9 octobre 1856).
  42. « Je lis et relis ave un plaisir toujours nouveau notre grand ouvrage sur les reptiles. Quelle précision, quelle érudition, que de recherches minutieuses ! Vous avez allié le travail le plus opiniâtre à la diction la plus entraînante. Voilà comment il faut faire l’histoire naturelle. » (Lettre de M. Agassiz, du 9 avril 1841).
  43. L’ouvrage de Lacépède (1790) n’en contient que 292 ; celui de Daudin (1803), que 556, et celui de Merrem (1820), que 580. Dans ces 1311 espèces, il y a 120 chéloniens, 445 sauriens, 528 ophidiens et 218 batraciens.
  44. M. Auguste Duméril a succédé à son père, le 21 janvier 1857 ; il fait le cours depuis 1853.
  45. « J’ai reçu un diplôme de membre correspondant de la Société d’émulation de Poitiers. Ce qu’il y a de singulier, c’est que je ne connais personne dans cette ville-là. La lettre qui l’accompagnait est des plus honnêtes. Je suis maintenant de huit sociétés savantes : la Société de médecine, la Société médicale d’émulation, la Société philomatique, la Société des naturalistes, à Paris ; la Société d’émulation de Rouen, celle de Poitiers, celle d’Abbeville, et celle d’agriculture de Rouen. » (Lettre à son père, du 6 octobre 1799).
  46. A la place de Tenon. Voici l’ordre de la présentation : 1° Duméril et Savigny ex aequo, 2° Blainville, 3° Levaillant, 4° Desmarets, 5° Vieillot. Au premier tour de scrutin : Duméril, 24 voix ; Savigny, 16 ; Magendie, 7 ; Chaussier, 6, et Blainville, 1. Au second tour : Duméril, 28 voix ; Savigny, 23 ; Magendie, 2, et Chaussier 1.
  47. Il était commandeur de la Légion d’Honneur.
  48. « J’apprécie, dans votre dernier ouvrage, les caractères de cette grande école d’histoire naturelle, qui porte le nom immortel de Cuvier, et qui doit tant aux travaux incessants de ce contemporain distingué. » (Lettre de M. Richard Owen, du 9 octobre 1856).
  49. On a dit que Burdin l’avait précédé de deux ans dans son cours d’étude médicale (t. 1, Paris, 1803 ; discours préliminaire, p. XVI), mais on sait aujourd’hui que ce dernier avait été son élève. M. Duméril avait revu, à sa prière, la préface de son livre, et ajouté la phrase relative à l’indication de cette analogie. Voir mém. Acad. Scienc., 1808. Rapport de Cuvier sur les travaux de la classe.
  50. Dans une lettre à M. Agassiz, il parle en ces termes de ses travaux philosophiques : « Sans flatterie aucune, ce qui n’est pas dans mon caractère, j’ai toujours apprécié l’étendue et la variété de vos connaissances, et je fais le plus grand cas de la nature, de la direction et des beaux résultats de vos études. Je vous avouerai même que, dans plusieurs de vos travaux et en particulier dans ceux qui ont rapport à l’ichtyologie, j’ai reconnu avec plaisir une sorte d’accord tacite avec des opinions que je m’étais formées, et que vous avez si bien fait valoir. Je n’ai moi-même rien publié sur ce sujet, quoique j’aie eu l’occasion de le traiter oralement et avec franchise dans mes leçons publiques au Muséum, en opposition avec les idées de mon savant ami G. Cuvier. Cette conformité dans les vues philosophiques de la science m’a constamment fait mettre beaucoup de prix à vos recherches et à vos publications. » (Du 1er décembre 1841. M. Duméril avait gardé copie de ce passage de sa lettre.)
  51. Pline, Histoire naturelle, XI, 2.
  52. « Vous connaissez mon caractère vif et impatient : j’ai besoin de le dompter souvent. » (Lettre à sa mère, du 23 juin 1794).
  53. M. Adelon.
  54. Voici un passage d’une lettre écrite le lendemain de sa nomination : « J’ai été nommé hier soir. Je ne l’ai emporté que d’une voix. J’ai eu à combattre beaucoup de faveur, car, modestie de côté, je l’avais emporté dans toutes les épreuves. » (Lettre à son père, du 1eraoût 1799).
  55. Ce passage est extrait d’une lettre du 27 mars 1803.
  56. L’Académie nomma Pinel (le 11 avril 1803). Voici l’ordre de la présentation : 1° Bosc, 2° Pinel, 3° Geoffroy Saint-Hilaire, 4° Latreille, 5° Palisot de Beauvois. Voici les votes : Pinel, 30 voix ; Geoffroy Saint-Hilaire, 23. Ce dernier fut élu quatre ans plus tard, en remplacement de Broussonnet. Après lui vint Latreille, puis M. Duméril.
  57. Il avait épousé Mlle Alphonsine Delaroche, fille du célèbre médecin de ce nom (Daniel Delaroche, né à Genève en 1743, et mort à Paris le 9 décembre 1812), jeune veuve de M. Say, chef de bataillon du génie (frère de J.-B. Say), mort dans l’expédition d’Egypte. Il a eu deux fils, MM. Constant et Auguste Duméril, qui ont épousé deux sœurs, leurs cousines germaines.
  58. Il est mort le 14 août 1860.
  59. Le conseil municipal de la ville d’Amiens a décidé, dans sa séance du 29 juin 1861, de placer une inscription sur une plaque de marbre, à la maison de la rue Saint-Rémy, où est né M. Duméril, et de donner son nom à une rue au centre de la ville (la petite rue de Beauvais).

Notice bibliographique

D’après l’original : Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle, cote : BETA 866 (Paris, Rignoux imp., s.d., 43 pages)


Pour citer cette page

« 1861 - Discours prononcé dans la séance de rentrée de la Faculté de médecine de Paris, le 15 novembre 1861 par Alfred Moquin-Tandon », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=1861_-_Discours_prononc%C3%A9_dans_la_s%C3%A9ance_de_rentr%C3%A9e_de_la_Facult%C3%A9_de_m%C3%A9decine_de_Paris,_le_15_novembre_1861_par_Alfred_Moquin-Tandon&oldid=58144 (accédée le 26 avril 2024).

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