Mardi 25 novembre 1794, 5 Frimaire an III
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)
n°77
Rouen le 5 Frimaire an troisième de la république française
Maman,
Pardon de l'espèce de négligence que vous devez remarquer dans mes lettres, Mes occupations sont tellement continues que je ne sais m'entendre et ne rêve qu'anatomie. Vous rappelez-vous de ce temps, où la botanique, et les insectes étaient ma passion favorite, vous m'avez vu alors ; vous avez pu remarquer si j'étais passionné, eh bien ! vous n'avez rien vu. Vous ne me connaissiez pas encore. L'ardeur que j'y m'étais alors, n'est rien auprès de celle qui m'entraîne vers l'anatomie ; c'est un grand bonheur pour moi : l'exaspération des premières difficultés sera par ce moyen adoucie, et il me restera pour la science un goût épuré et réfléchi, qui me procurera des jouissances plus longues et plus réelles. Je suis au milieu de mon cours, je finis demain la seconde partie qui traitait des insectes. Je vous avoue que mon amour-propre est entré pour beaucoup dans l'aiguillon qui m'excite. Car, j'ai la satisfaction de voir préférer ma leçon à celle du Démonstrateur de l'hospice militaire. Maman, quand j'y réfléchis, je m'y perds : écolier, anatomiste de deux ans d'étude, entrer en concurrence avec un professeur de 18 ans de démonstration publique ! Qui l'eût osé ? à tout cela j'y joins depuis quelques jours une bien douce espérance, celle d'être appelé à l'école normale. Mais cela n'est encore que fumée, et je ne m'en flatterai véritablement qu'au moment même. Le citoyen Legendre a eu la complaisance de m'apporter la paire de souliers et de bas de laine. Je vais vous faire pour les souliers et les bas deux remarques auxquelles je vous prierai de faire attention. Les souliers sont de longueur, mais trop larges d'environ six lignes, je veux parler de l'empeigne seulement. Je désirerais que ceux que vous me ferez passer soient bordés en cuir, et que les attaches pour boucles aient un pouce et demie de large. Quant au bas, j'ai la jambe mieux faite que vous ne l'avez pensé jusqu'ici à ce qu'il paraît, car dans le bas de la jambe, on pourrait diminuer cinq ou six mailles de chaque côté à partir du coin ou de la fleur. J'ai reçu aussi les bas que vous aviez remis au petit Deruault.
Je vous rends grâce de l'attention affectueuse que vous portez à ma santé. Je me porte mieux que jamais, n'ayez nulle inquiétude j'ai soin de moi. Je suis en correspondance avec le citoyen Biston fils. Malheureusement mes occupations ne me permettent pas de m'y livrer autant que je le désirerais, je sens autant que vous combien cette connaissance m'est précieuse et j'ai bien le dessein de la cultiver, c'est le temps qui me manque.
Quelle épine vous m'avez tirée du pied en voulant bien faire vous-même la proposition à la citoyenne[1]. C'est un acte de complaisance dont je vous sais le plus grand gré. Je suis impatient d'apprendre quelle sera sa réponse, elle ne m'a parlé de rien, pas même de la lettre qu'elle a reçue, quand elle se sera expliqué faites m'en part je vous prie. Vous trouverez ci-inclus une lettre pour mon oncle de Quevauvillers[2], que j'ai en portefeuille depuis près d’un mois. Comme je ne pouvais la lui faire passer que par occasion j'ai attendu.
Embrassez tout le monde pour moi, et continuez de m'aimer comme vous aime et vous aimera toujours
Votre fils Constant Duméril
J'aurai peut-être à écrire à papa[3] ces jours-ci, en attendant que je puisse lui dire par écrit que je l'embrasse de tout mon cœur. Je vous prie de vous charger de ma procuration ad hoc.
Notes
Notice bibliographique
D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 1er volume, p. 163-165
Pour citer cette page
« Mardi 25 novembre 1794, 5 Frimaire an III. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à sa mère Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_25_novembre_1794,_5_Frimaire_an_III&oldid=40896 (accédée le 21 novembre 2024).
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