Dimanche 10 mai 1812

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à ses parents François Jean Charles Duméril et Rosalie Duval (Amiens)

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N° 211

Paris le 10 mai 1812

Mes chers parents, je profite de l'occasion de M. Rigollot pour vous donner de nos nouvelles. Je suis beaucoup mieux. depuis huit à dix jours, je ne tousse plus du tout. j'avais besoin d'un peu de repos : c'est ce qui m'a fait retarder l'ouverture de mon cours au jardin des plantes jusqu'à la fin de ce mois. Ma femme[1] au contraire a la santé un peu altérée ; mais comme il y a une cause soupçonnée et qui date d'à peu près deux mois, ces malaises ne nous inquiètent pas. ils nous font au contraire bien plaisir et c'est une joie pour nous de vous l'annoncer[2]. notre petit Constant[3] continue de se très bien développer, il est très remarquable par sa physionomie régulière et son bon teint et quoiqu'il soit moins avancé au moral que ne l'était son aimable petite sœur[4] au même âge, il a assez d'intelligence et surtout il dénote une aptitude toute particulière à observer les plus petits détails des choses comme les couleurs et les objets nouveaux. il y a quelque temps, par exemple, que le trouvant nu près du lit je le pris par les pieds et le renversai en travers sur le lit en lui pliant les jambes et les cuisses sur le ventre : il me dit aussitôt tu me jettes comme la portière d'un fiacre. qu'est-ce que cela signifie ? oui tu sais bien le marchepied pour monter dans le fiacre qui nous a conduit chez bonne maman[5]. notez qu'il y avait plus d'un mois que nous avions fait cette course et que depuis il n'avait jamais ouvert la bouche pour parler de ce marchepied qui cependant l'avait beaucoup frappé. mais il faut que je compte bien sur l'indulgence des bons parents pour les entretenir si longuement de semblables vétilles.

L'affaire de mon Concours[6] a fait plus de bruit que je ne désirais. beaucoup de personnes très marquantes se sont expliquées de manière à me faire espérer que cette aventure me sera utile. Le grand maître[7] a dit en plein salon. il est fâcheux de voir de pareilles menées c'est comme cela qu'on perdra tous les avantages des concours. monsieur Corvisart qui était présent a dit alors Monsieur Duméril au reste a moins perdu que ses juges, car pour l’un il y allait d'une place et pour les autres de l'honneur. L'article de la gazette de santé dont on n'a inséré qu'un extrait dans le journal de l'empire est surtout foudroyant, aussi a-t-il mis les meneurs de cette intrigue dans une grande colère qui a excité les réclamations dont l'un des numéros suivants a contenu le résumé présenté de manière à montrer leurs bonnes intentions. on m'a dit qu'il devait y avoir ces jours-ci un article en ma faveur dans la gazette de france. je suis fâché de devenir ainsi un sujet de causerie mais puisque le mal est fait il est bon que la honte de ceux qui l'ont produit soit manifeste. beaucoup de membres de l'institut sont venus à cette occasion me donner de nouvelles preuves de leur bienveillance à mon égard.

Quand j'ai envoyé les thèses c'était pour les distribuer à qui vous croiriez que cela pouvait être agréable, cela allait sans dire. M. Rigollot m'a dit au reste que son fils en avait eu une. j'espère que vous en aurez remis également une à monsieur Barbier. Quant aux volumes de Condillac[8] ils étaient destinés à Montfleury[9] je l'avais mandé positivement à Désarbret[10] auquel par parenthèse je redevais 15 francs sur les soixante qu'il m'avait adressés pour l'achat d'autres livres. j'ai remis ces quinze francs à monsieur Rigollot.

j'ai causé de nouveau avec Monsieur Rigollot de votre pension de retraite. d'après ce que je vous avais mandé, je pensais que cette affaire n'éprouvait de retard que par la lenteur des bureaux. il faudra donc faire une nouvelle pétition, me l'adresser et j'en poursuivrai l'effet définitif en prenant toutes mes précautions pour avoir enfin une décision.

M. Defrance d’auxi le château[11] vient d'éprouver une affaire désagréable pour sa place. il avait d'abord sollicité son changement, ce que j'avais obtenu par M. Bally, puis il a changé d'idée, il a fallu détruire ce que nous avions fait. enfin une autre affaire à ce qu'il paraît le force de quitter auxi le château. il désire venir à Paris. il sollicite pour ce un congé, je lui ai mandé que je le recevrais avec plaisir ainsi que sa femme qu'il paraîtrait désirer de voir l'accompagner. il est probable qu'ils passeront par amiens. j'attends sa demande formelle d'un congé.

nous vous embrassons bien tendrement. j'ai reçu des nouvelles d'Auguste[12] il y a sept à huit jours. il vous a mandé qu'il vous avait fait sa provision de farines pour trois mois et qu'il avait le plaisir de donner à son hôpital de meilleur pain que n'en ont les bourgeois.

Votre tout dévoué fils

C. Duméril


Notes

  1. Alphonsine Delaroche.
  2. Auguste Duméril naîtra le 30 novembre 1812.
  3. Louis Daniel Constant Duméril.
  4. Caroline Duméril (l’aînée), décédée en 1811.
  5. Marie Castanet, épouse de Daniel Delaroche.
  6. André Marie Constant Duméril a concouru pour la place de professeur adjoint à la chaire de Zoologie de l’Institut. Voir la lettre du 16 avril.
  7. Louis de Fontanes.
  8. Condillac (1714-1780), philosophe, précepteur du fils du duc de Parme, est l’auteur entre autres de Cours d’étude pour l’instruction des jeunes gens.
  9. Florimond dit Montfleury (l’aîné), frère d’AMC Duméril ; il a alors quatre enfants dont l’aîné porte les mêmes prénom et surnom que lui.
  10. Joseph Marie Fidèle dit Désarbret, frère d’AMC Duméril.
  11. Louis Defrance ; son épouse est Basilice Leguay.
  12. Auguste Duméril (l’aîné), frère d’André Marie Constant.

Notice bibliographique

D’après l’original (il existe également une copie dans le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 3ème volume, p. 80-84)

Annexe

A Monsieur

Monsieur Rigollot

Pour monsieur Duméril père

Pour citer cette page

« Dimanche 10 mai 1812. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à ses parents François Jean Charles Duméril et Rosalie Duval (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_10_mai_1812&oldid=39288 (accédée le 21 novembre 2024).

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