1860 - Discours de M. Henri Milne Edwards, vice président de l’Académie, prononcé aux funérailles de M. Duméril, le jeudi 16 août 1860.

De Une correspondance familiale

Institut impérial de France

Académie des sciences

Funérailles de M. Duméril

Messieurs,

La mort vient d’enlever, au milieu de nous, un des derniers représentants d’une époque glorieuse pour les sciences, celle où la France, rajeunie et reprenant possession du riche héritage que lui avaient légué les siècles passés, s’appliqua de nouveau aux travaux de l’intelligence et donna de dignes successeurs à Descartes, à Pascal, à Réaumur, à Lavoisier et à Buffon. Ce temps est déjà loin de nous ; mais, hier, encore, l’Académie voyait dans son sein un des contemporains de cette phalange nouvelle d’hommes de génie, un médecin qui avait été l’émule de Bichat, l’illustre fondateur de l’anatomie générale, un naturaliste qui fut l’ami et le collaborateur du grand Cuvier, lorsque celui-ci, au début de sa carrière, posait les bases de la zoologie moderne et prenait rang dans la société à côté de Geoffroy Saint-Hilaire[1], d’Haüy, de Laurent de Jussieu, de Berthollet, de Monge, de Lagrange et de Laplace.

En effet, M. Duméril, né à Amiens le 1er janvier 1774, et déjà prévôt d’anatomie à l’école de Rouen en 1793, eut le rare bonheur de pouvoir aider au monument intellectuel qui, malgré le bruit des armes et les enivrements de la victoire, marqua en France les premières années du XIXe siècle.

En 1801, M. Duméril fut chargé de l’enseignement de l’anatomie à la Faculté de médecine de Paris, et pendant sa longue carrière il occupa successivement plusieurs chaires dans cette école, dont la célébrité est si légitime. Il consacra aussi une partie de son temps à l’exercice de la médecine, et, en 1805, on le vit, dans le midi de l’Espagne, affrontant les dangers d’une épidémie cruelle pour contribuer aux progrès de son art. mais il aimait trop la culture des sciences naturelles pour s’en laisser détourner par le soin de sa fortune, et, tout en remplissant avec zèle les charges de ses fonctions, il ne cessa jamais de s’occuper d’études zoologiques. Ses premières publications eurent pour objet la classification naturelle des insectes ; elles datent de 1797, et, soixante-trois ans après, peu de jours avant sa mort, nous l’avons vu poursuivant encore avec une ardeur juvénile des travaux du même ordre.

En 1800, M. Duméril rédigea, sous la direction de Cuvier, les deux premiers volumes des Leçons d’anatomie comparée de ce grand naturaliste, et ce ne fut pas seulement de sa plume qu’il contribua à cet ouvrage qui fait époque dans la science : Cuvier se plaisait à reconnaître que M. Duméril l’avait activement secondé dans ses investigations, et qu’il devait à la perspicacité de ce collaborateur zélé une multitude d’observations curieuses.

Ainsi, M. Duméril fut le premier à entrevoir l’analogie de structure qui existe entre les vertèbres et les os du crâne. On peut donc le considérer comme un des fondateurs des théories anatomiques qui, depuis quarante ans, exercent une puissante influence sur la direction des études du naturaliste.

Vers la même époque, M. Duméril succéda à Cuvier comme professeur à l’Ecole centrale du Panthéon, où il avait pour collègue un géologue illustre dont le nom est également cher à l’Académie, Alexandre Brongniart. Puis, en 1802, Lacépède lui confia, au Muséum, le cours d’erpétologie et d’ichtyologie. Pendant plus de cinquante ans, M. Duméril a rempli cette mission, d’abord comme suppléant, ensuite comme professeur titulaire, et le Muséum lui doit la création, non seulement de la plus belle collection erpétologique qui existe, mais aussi d’une ménagerie pour les reptiles, chose qui n’avait été tentée par aucun naturaliste, et qui est considérée aujourd’hui comme une partie nécessaire de tout grand établissement zoologique. Enfin, les études persévérantes faites par M. Duméril sur cette partie du règne animal lui ont permis d’écrire, en collaboration avec son disciple, M. Bibron, l’ouvrage d’erpétologie le plus complet et le plus important que l’on possède.

Tant de zèle pour le service de la science, une instruction si variée, et des droits fondés sur divers travaux zoologiques dont l’énumération serait trop longue ici, ne pouvaient manquer d’être appréciés par l’Académie, et, longtemps avant la publication du grand ouvrage que je viens de citer, M. Duméril obtint de ce corps savant la récompense que tous les hommes voués à la culture des sciences ambitionnent le plus.

En 1816, il fut élu, par le suffrage de ses pairs, membre de l’Institut de France.

Ce n’est pas sur les bords d’une tombe encore entr’ouverte qu’on peut analyser froidement les ouvrages d’un confrère qu’on vient de perdre, et d’ailleurs c’est à ses secrétaires perpétuels que l’Académie donne mission de juger les travaux de ses membres décédés. Mais, s’il m’était permis de chercher à caractériser en peu de mots les écrits de M. Duméril, je dirais qu’à certains égards ils réunissent les caractères propres à ceux de l’école de Linné et des disciples de Cuvier. En effet, M. Duméril s’appliquait toujours à donner à ses classifications la précision, la netteté si précieuse des systèmes linnéens, tout en les rendant l’expression de l’ensemble de nos connaissances sur le mode d’organisation des animaux, ce qui est l’objet principal de la méthode de Cuvier. En marchant dans cette voie, ses efforts ont été souvent couronnés de succès, et son nom ne sera pas oublié par les historiens de la science.

Du reste, ce n’est pas seulement comme savant que M. Duméril sera regretté de l’Académie. Par son caractère loyal et ferme, sa franchise naïve, son désintéressement, la douceur de son commerce et la solidité de ses amitié, il a su conquérir le respect et l’affection, non seulement de ses collègues, mais de tous ceux qui le connaissait. Sa vie fut calme et heureuse ; il goûta toutes les joies pures de cœur que la piété filiale pouvait lui offrir, et, en allant rendre compte à Dieu de l’emploi de ses jours nombreux, sa confession sera facile, car il pourra dire : « Ma conscience a toujours été la règle de ma conduite, et j’ai constamment cherché à agir envers autrui comme j’aurais voulu que l’on agît envers moi. »

En effet Duméril fut, avant tout, homme de bien.

Notes

Notice bibliographique

D’après l’original : BNF Ln276650(A). La plaquette contient aussi les discours prononcés par Achille Valenciennes et Isidore Geoffroy Saint-Hilaire (Imprimerie Firmin Didot frères, fils et cie, rue Jacob, 56).


Pour citer cette page

« 1860 - Discours de M. Henri Milne Edwards, vice président de l’Académie, prononcé aux funérailles de M. Duméril, le jeudi 16 août 1860. », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=1860_-_Discours_de_M._Henri_Milne_Edwards,_vice_pr%C3%A9sident_de_l%E2%80%99Acad%C3%A9mie,_prononc%C3%A9_aux_fun%C3%A9railles_de_M._Dum%C3%A9ril,_le_jeudi_16_ao%C3%BBt_1860.&oldid=58127 (accédée le 26 avril 2024).

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