1914-1918 - L’argot et le lexique des tranchées
Dans les lettres des Froissart des années 1914-1918, certains termes caractéristiques de la période de la guerre sont employés.
Agent de liaison
L’agent de liaison est chargé de transmettre ordres et informations au sein de l’armée, en particulier lors d’une opération qui rend impossible l’usage du téléphone.
« vous frissonnerez comme moi en voyant à quoi le rôle d'éclaireur et d'agent de liaison expose notre pauvre Pierre et combien il serait possible qu'il disparût un jour ou plutôt une nuit, qu'il tombât dans quelque guet-apens et qu'on n'entendît plus parler de lui ! (14 novembre 1914)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Au bout de trois quarts d’heure, un sergent couvert de boue jusqu’au casque, dégringola du parapet et remit au colonel un papier froissé : le commandant du bataillon de gauche faisait savoir que l’attaque progressait lentement (…) de très rares agents de liaison arrivaient de l’avant, entre deux rafales, avec des renseignements pratiquement nuls » (16 avril 1917, André Zeller, Dialogues avec un lieutenant, Plon, 1971, p. 117)
Bataillon
Un bataillon compte 1 000 hommes environ. Deux ou trois bataillons composent un régiment ; chaque bataillon est subdivisé en plusieurs (4) compagnies. Le bataillon est en général commandé par un capitaine ou un commandant.
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Notre bataillon, puis le 6e bataillon, furent quelque temps commandés par un capitaine qui était un grossier personnage et un pleutre. » (Marc Bloch, « Souvenirs de guerre », L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Gallimard, collection « Quarto », 2006, p. 160)
Batterie
Dans un régiment d’artillerie, une batterie est un ensemble coordonné de canons, commandé par un capitaine secondé par deux lieutenants. Outre les quatre canons avec leurs servants et les téléphonistes (la batterie de tir proprement dite), la batterie comprend aussi les échelons, installés plus loin en arrière, sous les ordres d’un adjudant, qui rassemblent les chevaux et tout le matériel autre que les canons.
« Jacques ne prenait pas part au combat et a reçu l'ordre de se retirer en arrière de Poperinghe avec la batterie contre aéronefs à laquelle il est attaché. » (28 avril 1915)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Trois batteries ennemies tirent ensemble sur la nôtre. Nous les avons bien reconnues au bruit des explosions: 77, 105 et 150 » (Paul Lintier, Avec une batterie de 75. Le tube 1233. Souvenirs d’un chef de pièce 1915-1916, L’Oiseau de Minerve, 1998, p. 200)
Bertha
Surnom d’une pièce d’artillerie lourde allemande, nommée d’après le nom de l’héritière du groupe Krupp, Bertha. On appelle « grosse Bertha », ou « Bertha », le canon lourd allemand à très longue portée installé en forêt de Crépy-en-Laonnois, qui tire 370 obus sur Paris en 1918.
« Je suis rentrée hier avec 2 heures de retard pour entendre le premier coup de la Bertha. Ce n’est pas très terrible jusqu’ici. On dit cependant qu’il y a eu hier plusieurs victimes. » (16 juillet 1918)
Bleu
Soldat inexpérimenté, n’ayant pas ou peu vu le feu.
« Tes frères auraient eu grand plaisir à échanger avec toi leurs impressions de soldats et, je n'en doute pas, à compléter aussi ton éducation de « Bleu » » (7 juin 1916).
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Nous ne sommes pas des bleus dans le métier. » (Lettre de Marcel Papillon à ses parents, « Si je reviens comme je l’espère » Lettres du front et de l’arrière 1914-1918, Grasset, 2004, p. 114)
Boche, Bochie
« Boche », c’est ainsi que des Français désignent des Allemands. Il s’agit probablement d’une abréviation de l’argotique « alboche » (« allemand »). Cette désignation n’est pas obligatoirement injurieuse. La Bochie est le pays des Boches.
« A défaut d’autres événements heureux, d’un refoulement des boches sur quelques km de profondeur à Verdun [ ] (samedi 3 juin 1916)
« H. Parenty de Douai est revenu de La Bochie où, comme otage il en a vu de dures paraît-il » (30-31 juillet 1918)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Les Boches ne sont pas plus vaches que nous, ce sont les chefs qui le sont » (Graffiti de soldats permissionnaires sur des trains, en 1917, Rapports de l’inspection des Chemins de fer du Nord)
Brigade
La brigade est une unité constituée par deux ou trois régiments réunis sous le commandement d’un général.
Cagnat ou cagna (Damas Froissart écrit : caña)
Abri léger, dans la terre ou fait de boisages, où peuvent se tenir les combattants en cas de bombardements ou d’intempéries ; le terme s’applique plutôt aux secondes lignes et en deçà.
« Nous avions des raisons de croire Michel jouissant d’une « cagnat » assez confortable à 15 ou 20 km de là vers Mourmelon et s’y prélassant ! » (13 avril 1916)
Citations hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Je t’écris d’une petite cagna en planches, élevée sur une pente de gazon, seule au milieu des bois et d’où l’on voit la ligne marmitée des tranchées allemandes. » (Abel Ferry, Carnets secrets 1914-1918, Paris, Grasset, 2005, p. 373, lettre du 9 mars 1916)
« L’obus est tombé juste sur la cagna ; tout a cédé : les poutres, les étais, les rondins sont en poudre. La terre a comblé tout ça. Les malheureux ont un mètre de débris au dessus d’eux ! ». (Carnet de Raoul Pinat, in Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front, Radio France/Librio, 1998, p. 52)
Le gourbi a un sens proche.
Croix de Guerre, citation
La Croix de Guerre récompense des actes de courage des combattants ; cet insigne accompagne la citation individuelle (signalement d’un acte valorisé). La Croix de Guerre est instituée en avril 1915. Elle se décline en plusieurs modèles, avec palmes ou étoiles par exemple, selon la valeur de la citation accordée. Plus de deux millions de croix de guerre individuelles ont été attribuées pendant la Grande Guerre.
« Nous avons été bien heureux de la visite de Michel, quoiqu'elle ait été très courte. Il est vraiment bien avec sa croix de guerre. Mais ne serait-ce pas justice d'en voir aussi une à Guy ? Sais-tu que Jean a la médaille militaire et la croix de guerre avec palmes ? il les a bien méritées. » (8 novembre 1915)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« et il n’y eut pas un décoré qui eut le courage , la pudeur de refuser avec le plus grand dédain ces croix de guerre ridicules, ces citations mensongères, ces félicitations burlesques » (Louis Barthas, Les carnets de guerre de Louis Barthas, Toulouse, Privat, édition 2003, p. 80).
Decauville
Pendant la guerre, l’usine Decauville de Corbeil-Essonnes se met à fabriquer des armes de guerre et des voies de chemin de fer légères, de faible écartement (60 cm, voire 40), pratiques pour faciliter le transport du matériel dans la zone du front, en particulier avant une offensive. Les wagonnets peuvent être tirés par des chevaux ou par de petites locomotives, les « Decauville », nom qui désigne également la « voie Decauville ».
« il nous a dit avoir observé qu’à Fismes le terrain était sableux et se laissait travailler facilement. Les Decauville, dit-il, facilitent parfois leur tâche » (4 avril 1917).
Gotha
Le Gotha est un avion allemand, un bombardier biplan en service à partir de fin 1916.
« Plus d’un, au bruit de la détonation avait cru à l’arrivée de quelque Gotha sur Paris » (16 mars 1918)
Jus
Dans l’argot des combattants, désigne le café.
« Il faudrait absolument que tu t’arranges pour manger quelque chose avant 11h ½. Ne peux-tu donc pas prendre quelque chose avec le « jus » ? vous avez toujours bien celui-ci en vous levant ? » (13 août 1916-B)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Mes hommes ne tardent pas à revenir avec une provision de biscuits et du café chaud. À la vérité, ce « jus » est bien clair. Il provient de marcs qui ont déjà servi. » (Ivan Cassagnau, Ce que chaque jour fait de veuves, journal d’un artilleur 1914-1916, Paris, Buchet-Chastel, 2003, p. 119)
Marmite
Les marmites désignent les projectiles allemands.
« Les marmites sont tombées à quelques mètres de leur cantonnement. » (28 avril 1915)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Une marmite s’est écrasée sur le parapet, enterrant mes fusées, brisant un fusil-mitrailleur, blessant plusieurs hommes. » (Jean-Pierre Biscay, Témoignage sur la guerre 1914-1918 par un chef de section, Montpellier, Causse, 1973, p. 77)
Permission
La permission est une autorisation d’absence provisoire (d’une durée habituelle de huit jours) accordée aux combattants français à partir de juin 1915. Elle est attendue et espérée avec impatience par les soldats et leur famille.
Les permissions agricoles sont apparues en septembre 1915. Elles sont accordées pour aider les propriétaires exploitants, fermiers, métayers, domestiques agricoles et ouvriers agricoles. Le même homme peut obtenir deux permissions non consécutives de 15 jours (par exemple pour les labours, puis pour les semailles). Ces permissions sont indépendantes de celles accordées pour fenaison, moissons et vendanges.
« Si ma lettre de recommandation ne te vaut que certaines facilités pour une permission à Pâques, ce sera toujours cela de bon à prendre. » (13 avril 1916)
« Jean Froissart qui n’a pas obtenu de prolongation à Boulogne a, en revanche, obtenu une permission agricole de 15 jours à son dépôt à Bergerac. » (21 janvier 1916)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Le temps de ma permission écoulé, je me retrouve le 13 juin au soir sur le quai de la gare de Bayon. A l’aller, comme au retour, j’ai été frappé par l’indiscipline qui règne dans les trains de permissionnaires et les gares régulatrices. » (Fernand Laponce, Journal de marche d’un artilleur de campagne, première période: la guerre de position, 1915-1917, Bois-Colombes, F. Laponce, 1971, p. 213, été 1917)
Régiment
Un régiment regroupe 3 000 à 4 000 hommes, sous le commandement d’un colonel. Trois ou quatre régiments composent une division. « Le régiment est l’unité qui dispose sans doute des plus forts marqueurs identitaires : surnom (le 152 e RI devient le « quinze-deux » par exemple), drapeau, hauts faits consignés dans des historiques, attachement possible des combattants à un chef emblématique. »
« te faire donner un certificat établissant que tu as été vacciné contre la fièvre typhoïde, que tu as réagi etc. afin qu'on ne te soumette pas, à ton arrivée au Régiment, à de nouvelles inoculations. » (25 novembre 1914)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Je crois que la guerre va bientôt finir car les régiments se révoltent et ne veulent plus marcher du tout ; il n’est pas trop tôt. » ( Fernand Maret, Lettres de la guerre 14-18, Nantes, Siloë, 2001, p. 211, 16 juin 1917)
Saucisse, Zeppelin
La « saucisse » est un ballon d’observation ; son nom lui vient de sa forme allongée.
Le Zeppelin est un ballon aérien allemand, du nom du général et aéronaute allemand Ferdinand von Zeppelin (1838-1917). La carcasse rigide des zeppelins est en aluminium ou en duralumin, recouverte d’une enveloppe de toile imperméabilisée. Les dirigeables sont actionnés par plusieurs moteurs ; ils peuvent atteindre 180 mètres de longueur, et transporter jusqu’à 30 hommes d’équipage.
A Paris, 30 janvier 1916 : « incursion du zeppelin dont nous avons été prévenus hier soir. Nous avons très distinctement perçu le bruit de la chute des obus, mais nous avons cru à une canonnade contre le zeppelin. Par le fait il n’y en a pas eu. »
« Ils se consolent de tout cela en apprenant que leurs tirs savants avec renfort d’avions et de saucisses d’observation font souvent du très bon travail » (13 avril 1916)
Citation hors du site « S’écrire au XIXe siècle » :
« Plusieurs zeppelins ont survolé Paris et lancé des bombes. Il y a des victimes. » (Albert Anterrieux, « Journal de route de la guerre », 22 mars 1915, Revue du Rouergue, n° 79, automne 2004, p. 377).
Taube
Ce mot allemand, qui signifie pigeon, désigne un avion allemand monoplan dont la forme générale rappelle celle d’un oiseau en plein vol.
« Il n’est que trop vrai que le boulanger, fils de la vieille Mme Level, a été tué par un Taube en descendant du train à Dunkerque, retour de permission. » (25 mai 1916)
Ypérite
L’ypérite est le surnom du gaz de combat mis au point en 1917 par l’Allemagne et utilisé pour la première fois dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917 dans la région d’Ypres (Belgique). Il est surnommé également « gaz moutarde » en raison de son odeur. Ce gaz asphyxiant passe à travers la peau et entraîne des accidents corrosifs ; il contamine durablement les zones dans lesquelles il est utilisé.
« Mon pauvre petit [ ] Reçois toutes nos sympathies pour ta pauvre gorge ypéritée et toutes nos félicitations pour ton changement de linge ! C’est vraiment ennuyeux que d’innocentes fraises des bois puissent se trouver contaminées et qu’elles t’aient amené ce désagrément. Je veux espérer que ce ne sera rien de plus, mais surveille-toi et porte-toi malade si tu éprouves quelques autres symptômes car c’est très empoisonnant ces drogues-là et traître.» (Lundi 17 juin 1918).
[Source : Lexique des termes employés en 1914-1918]
Pour citer cette page
« 1914-1918 - L’argot et le lexique des tranchées », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=1914-1918_-_L%E2%80%99argot_et_le_lexique_des_tranch%C3%A9es&oldid=53636 (accédée le 23 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.