Samedi 3 juin 1916

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


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29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]

Le 3 Juin 1916

Mon cher Louis,

A défaut d’autres événements heureux (d’un refoulement des boches sur quelques km de profondeur à Verdun, de l’entrée en action de ton ami les Roumains, à l’entrée des [Russes] à Constantinople, d’un vaste noyade de la flotte boche), événements qui nous auraient peut-être fait oublier que tu venais de Nous quitter pour aller reprendre la suite de tes opérations à la Braconne, ta lettre du 29 mai est venue heureusement combler un vide. On avait rappris à s’intéresser à toi en Gros et dans les plus modestes détails, chaque jour ; et tu ne nous donnais pas le moindre renseignement sur ce que tu étais devenu ! Bien que tu fusses parti, paraît-il, de Paris confié à une jeune mère de famille, ne t’était-il pas arrivé dans ce pays où les locomotives prennent, seules, la clef des champs, d’en rencontrer une, intempestivement ??

Ta mère[2], un peu nerveuse parce que convalescente, et moi un peu déçu de ne pas te retrouver ici (bien que j’approuve beaucoup que tu n’aies pas tiré sur la ficelle), nous sommes également réjouis en voyant 4 grandes feuilles consciencieusement griffonnées par tes soins.

Tu sais apprécier le printemps de la Braconne (à défaut de celui de Fontainebleau) tant mieux, tant mieux aussi que tu aies retrouvé comme chefs (de tous les jours) des gens bien disposés soit par le souvenir du passé (comme Jean [Lecoeuvre]) soit [fait] de sympathie tenant à ce que « les amis de nos amis sont nos amis » comme pour le mdl[3] Dupont.

D’un bout de conversation par téléphone avec Madeleine Dupont[4] (revenue de son récent voyage Suisse où elle était chez une belle-sœur je crois, du mdl Gonzague Dupont, à moins que ce ne soit chez une tante ?), il résulte que ce doit être Gonzague, qui est venu de Valenciennes, je crois, en passant par la Hollande, il y a 7 ou 8 mois, ce qui est très chic de sa part.

En rentrant de mes 8 jours passés dans le Pas-de-Calais, j’ai écrit longuement à Pierre[5] (le 29) en lui disant de t’envoyer la lettre qui t’apprendra toutes les petites nouvelles du pays. J’avais envoyé aussi le jaune[6] de cette lettre à Michel[7].

(Voir suite)

Suite

qui nous est arrivé avant-hier soir (sans l’avoir reçu le jaune) très inopinément, et pour « 6 jours + les délais de voyage », ce qui nous console de ne plus t’avoir. Pierre ne désespérait pas, dans sa dernière lettre, de venir vers le milieu de Juin : son groupe est quelque part entre Bar-le-Duc et Toul, en train de se refaire.

Michel va très bien : il est très convenablement bronzé et paraît se trouver bien de sa vie au grand air de la Champagne. Son voisin, René de Nazelle[8], (et son corps d’armée) seront partis, pour une destination inconnue quand il retournera là-bas.

Michel trouve de passage ici votre ami de Colleville (qui a déjeuné ici avec M. l’abbé Pératé[9]).

Nous avions à déjeuner aussi ce matin M. Gustave Debavelaere, l’ex-pharmacien et actuellement vice Président de la Société d’agriculture de Dunkerque (dont M. de Warenghien[10] est le Président). Il a vécu 4 jours désagréables à Dunkerque il y a 10 jours pendant que des flottilles de bombes y faisaient des visites quotidiennes. Une bombe est tombée à 150 m de la [ferme] de Jules Debavelaere. La maman venait me voir pour que sa fille (veuve d’un assureur tué à [Taloire]) ait l’assurance de notre ferme.

Ta mère fait des progrès marqués : elle fait encore des cures de soleil, quand le soleil s’y prête : elle sort un peu tous les jours.

On est heureux de savoir que tu as découvert un gîte où tu peux avoir et faire cuire des œufs. On s’occupera de te faire parvenir des conserves.

Ta tante Marie Léon[11], toujours gênée pour la déglutition et la conversation, par quelque chose dans la région de la gorge, a été se faire explorer par le docteurLuc qui l’a renvoyée à un spécialiste de l’œsophage, (dont l’exploration a été franchement pénible). A défaut d’Hélène[12] retenue toujours à Barbizon (où elle a loué), c’est ta tante Marie[13] qui l’a, seule, assistée, ta mère ne pouvant y être. Je ne suis pas sûr que l’on sache encore bien ce qu’elle a ?

Suzette[14] est au lit depuis 5 ou 6 jours avec un peu d’entérite : le départ pour la Bourboule a dû être reculé.

Je finis par l’heureuse nouvelle que Guy C.D.[15] a reçu hier sa croix de guerre.

Mille amitiés et promets-nous de nous envoyer souvent quelques mots. Es-tu bien guéri ?

D. Froissart

Vos copains, élèves aspirants, sont-ils partis pour Fontainebleau. Ça ne fera pas, je crois, un grand vide au 41?

On n’est pas sans inquiétude sur le lieutenant Le Gallais [16]qui aurait disparu à Verdun. Guy C.D. a vu une fiche par laquelle on demande aux « Nouvelles du Soldat ».

Sais-tu qu’on a démonté des tas de régiments de cuirassiers pour faire des fantassins [ ] Maurice Vandame maréchal des logis et Jean d’Aillières[17] Lieutenant.

Michel a pris connaissance du topo où tu décris la charnière qu’il te faudrait et a promis de s’en occuper.

Jacques[18] ne reçoit aucune nouvelle au sujet du concours d’élève-officier pour le service automobile qui devait avoir lieu à la fin du mois dernier : je crois qu’il n’a aucune hâte d’en recevoir, d’ailleurs.

Si tu vas à Angoulême un dimanche, fais mes compliments aux Maure. Dis-leur que les filles d’H. Parenty ne reçoivent rien de Lille.

Une lettre de Jean Froissart (pour avoir des nouvelles de ta mère) nous dit qu’il est en train de recevoir l’instruction spéciale de mitrailleur ; après un mois, il ira à « la Courtine » pour un mois.

Nous avons vu passer M. [Defoort[19]], allant en permission dans le Nord : il se porte à merveille et n’a pas écopé, ni lui ni sa section de [Munitions] en ravitaillement à Verdun pendant 15 jours.


Notes

  1. Adresse imprimée.
  2. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  3. Mdl : maréchal des logis.
  4. Madeleine Piérart, épouse de Maurice Dupont.
  5. Pierre Froissart, frère de Louis.
  6. Copie sur papier jaune.
  7. Michel Froissart, frère de Louis.
  8. René du Cauzé de Nazelle.
  9. Marcel Pératé.
  10. Amaury Philippe de Warenghien (1851-1920). On pourra lire ses Souvenirs et fragments, 1925.
  11. Marie Stackler, veuve de Léon Duméril.
  12. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place.
  13. Marie Mertzdorff, veuve de Marcel de Fréville.
  14. Suzanne Degroote.
  15. Guy Colmet Daâge.
  16. Pierre Le Gallais.
  17. Jean Caillard d’Aillières.
  18. Jacques Froissart, frère de Louis.
  19. Hypothèse : Georges Defoort (inhabituellement appelé "M.") ou son frère Marcel (pas encore 18 ans) ?

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 3 juin 1916. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_3_juin_1916&oldid=59693 (accédée le 18 décembre 2024).

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