Jeudi 13 avril 1916

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-04-13 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-04-13 pages 2-3.jpg


29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]

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Mon cher Louis,

Je prends connaissance de ta lettre du 11 à ta mère[2]. Je voulais y trouver des nouvelles intéressantes au sujet de ta candidature à l’Aspirance : N’as-tu rien su de tes notes de maths ? Celles d’aptitude au commandement ont-elles pu réparer ? Ta mère t’a dit que, bien que je ne connaisse pas personnellement le général Abinal, je lui ai écrit il y a 15 jours : il me répondait le 2 avril qu’il était disposé à te marquer de l’intérêt mais que ton examen d’élève aspirant étant passé
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« il n’y a qu’à attendre le résultat déterminé par le Ministre » ce qui pourrait vouloir dire qu’il est dessaisi pour le moment ?

Ne sachant à quel degré tu es connu du capitaine Labisse[3], je lui écris pour lui dire que je suis heureux de te savoir sous ses ordres et je profite de l’occasion pour lui faire mes compliments surses hauts faits notamment à Douai qu’il a défendu (et dont il s’est retiré à temps) et on se souviendra de lui : si j’avais été sûr qu’il sache le latin, je lui aurais dit qu’on donnerait son nom à une 2ème rue « Labisse repetita placent ».

J’ai su par Jacques[4] qu’il a été blessé sérieusement depuis, du côté de [Rambures[5]] où il était voisin de Jacques et qu’il avait une très bonne presse au corps d’armée Hély d’Oissel[6].
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Tu sais qu’il est le beau-frère du docteur Boutin d’Auxi-le-Château (médecin et ami de Alexandre [F  [7]]) avec qui l’on chassait toujours et dont le fils a été aussi (et est probablement encore) à La Braconne. Vois-le.

Si ma lettre de recommandation ne te vaut que certaines facilités pour une permission à Pâques, ce sera toujours cela de bon à prendre.

En attendant, soigne ton bobo au [Jarret] inférieur : ne monte pas à cheval avec une cuisse enflée : peut-être as-tu une plaie envenimée par quelque saleté ? Crains l’inflammation des ganglions de l’aine : il vaudrait mieux peut-être que tu t’arrêtes tout à fait, maintenant surtout que le drapeau ayant été
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solennellement escorté pour ta pièce à une revue, tu dois pouvoir respirer.

Je vois que tu découvres tous les jours quelque nouvelle connaissance qui relie ta vie à celle de tes frères.

Apprends d’eux

1° que Michel[8] est allé dimanche surprendre René de Nazelle[9] adjoint à un Colonel Commandant une brigade sur la Butte de Souain si près du front que sa femme le considérait comme inaccessible. Je pense qu’il y allait d’ailleurs pour raison de ligne téléphonique à Installer et qu’il continue à ne pas redouter les aventures de ce métier qui lui a valu sa croix de guerre (nous ne connaissons cette visite que par Jeanne de Nazelle : nous avions des raisons de croire Michel jouissant d’une « cagnat » assez confortable à 15 ou 20 km de là vers Mourmelon et s’y prélassant !

2° que Pierre[10] tire efficacement d’une batterie très blindée (et non [repérée]) et que les massacres ne se font pas du tout dans son entourage : il arrive pourtant
(voir page 5)
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de gros obus dans un rayon assez voisin de la très confortable maison où il loge pour que les vitres commencent à en souffrir beaucoup. Il vient aussi des nuages de gaz lacrymogènes assez désagréables bien qu’ils aient eu le temps de se diluer en se mélangeant à l’air.

Ils se consolent de tout cela en apprenant que leurs tirs savants avec renfort d’avions et de saucisses d’observation font souvent du très bon travail, à 10 ou 12 km.

Pierre est, je crois, l’Ingénieur militaire de sa Batterie, son capitaine ayant, de son côté, des aptitudes administratives très appréciées.

Henry Degroote continue à mener de nombreux convois à Verdun, tout en ayant le temps de souffler maintenant.

Enfin Guy Colmet Daâge a reçu enfin sa citation du corps « a été grièvement blessé en entraînant ses hommes à l’assaut des tranchées ennemies ». C’est apparemment cette citation qu’on avait envoyé à [Laval] du front pour un caporal Michel Colmet Daâge au commencement d’octobre car elle est du 1er octobre : quelque scribe aura pris le prénom de Michel à un autre cité, le grade de caporal au même et a affublé de tout cela (Guy) Colmet Daâge. Tout est bien qui finit bien : il n’y a plus qu’une formalité à accomplir pour que la Croix de Guerre fasse suite à cette citation.

Ton tour aura le temps de venir de te couvrir de gloire au train dont nous allons à [Berlin] ! Patience !

Ta mère t’envoie du lait concentré.

Nous avons ce soir à dîner Mme Legallais[11] et ses 2 filles : le Général a le même secteur postal que Michel qui ne l’a pas encore vu, je crois : il est aussi peu accessible. Mais Michel y ira bien. Sais-tu que le colonel Moraillon et le commandant [Goujan] ont quitté [le IIIe] je le regrette pour lui.

On nous écrit de Brunehautpré que l’on n’a pas encor reçu [ ] des augustes hôtes dont les lits sont faits. En revanche, Mlle de Sainte Maresville[12] est revenue au bercail avec … ses espérances ! Le complice est toujours au Ménage : je crois qu’elle le laissera tranquille, cette fois.

Guy de Place nous a surpris hier matin : il arrivait en permission de 6 jours dont il ira sans doute passer une partie à Barbizon où sa femme[13] s’est installée avec ses enfants qui s’en trouvent bien. Guy commande maintenant un « secteur de réparation » automobile vers Crépy-en-Valois.

Charles de Fréville est ici en permission, attendant de se transporter pour un autre genre d’exercice à Châteauroux : à Etampes le pilote opère seul : à Châteauroux on lui donne un observateur. 3 copains de Charles se sont tués successivement pendant son stage à Etampes. Ce n’est pas une instruction de tout repos !

De Jacques rien d’intéressant à te dire : il va mieux, sans aller bien : le médecin ne veut pas le laisser partir, lui disant que ce serait une sortie fort provisoire.

D’Elise[14] je puis te dire au contraire que sa situation est des plus intéressantes, comme celle de Madeleine[15] d’ailleurs !!!

Je t’apprends la mort de M. de [Beaumont] avoué à Montreuil qui était dans son lit depuis 2 ans. Son fils est en traitement à Berck et a un pied tout retourné avec chance qu’il ne se redressera pas, après je ne sais quel accident dû à un obus mais peut-être sans qu’il ait été blessé : je ne sais plus au juste.

Mille amitiés

D. Froissart


Notes

  1. Adresse imprimée.
  2. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  3. Probablement Marcel Alphonse Victor Joseph Labisse (Douai, 1898-Romagne dans la Meuse, 21 octobre 1918).
  4. Jacques Froissart, frère de Louis.
  5. Commune de la Somme, près d'Oisemont.
  6. Le général Alexis Roger Hély d’Oissel.
  7. Possiblement Alexandre Froissart.
  8. Michel Froissart, frère de Louis.
  9. René du Cauzé de Nazelle, époux de Jeanne de Fréville.
  10. Pierre Froissart, frère de Louis.
  11. Marie Adèle Gabrielle de la Fouchardière, épouse du général Alexandre Le Gallais, mère de Anne Marie et Marie Madeleine Le Gallais.
  12. Yvonne de Sainte Maresville (voir la lettre du 21 mars 1916).
  13. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place et mère de Anne Marie, Henry et Jeanne de Place.
  14. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart et enceinte de Marc Froissart.
  15. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge et enceinte de Hubert Colmet Daâge.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 13 avril 1916. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_13_avril_1916&oldid=57424 (accédée le 22 décembre 2024).

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