Mercredi 7 juin 1916

De Une correspondance familiale


Lettre (incomplète) d’Émilie Mertzdorff (Paris), épouse de Damas Froissart à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-06-07 pages 1-4.jpg original de la lettre 1916-06-07 pages 2-3.jpg


Mercredi 7 Juin

Mon pauvre Lou,

Te voilà donc encore un peu fatigué, tout courbaturé, et, si je devine le fond de ta pensée, quelque peu découragé de te sentir si peu solide. J'imagine que ces circonstances te font un peu plus que de coutume sentir ton isolement et cela me peine d'autant plus que nous sommes ici dans une si heureuse réunion. La lettre de Michel[1] t'en fait part ; celle de ton papa[2] sera arrivée à propos pour te distraire en te mettant au courant de toutes les nouvelles ; je voudrais que celle-ci t'apporte quelque chose de l'atmosphère familiale que tu respirais avec tant de plaisir il y a quelque temps et te fasse sentir combien tous nous regrettons que tu manques à notre réunion, cher petit. Tout le monde le pense et chacun l'exprime à sa façon. « Quel dommage que ce petit ne soit plus ici ! » « Ce sacré Popo ne pouvait-il donc pas être malade 15 jours de plus !... » et ainsi de suite, ton imagination complètera.

Tes frères auraient eu grand plaisir à échanger avec toi leurs impressions de soldats et, je n'en doute pas, à compléter aussi ton éducation de « Bleu ». Ils sont tous deux pleins de vie, de santé, d'entrain, d'espoir. Leurs histoires de brigands ne manqueraient pas de t'amuser. A entendre Pierre[3], il est le plus grand cambrioleur de Verdun et s'honore d'une quantité de pillages. Les Anglais ne sont rien auprès des artilleurs français !

Moré s'est trouvé ici en même temps que Michel et Pierre : Co[4] aussi, mais c'est à peine si Pierre l'a vu ; il a dîné ici avec M. l'Abbé[5] et nous a conté son naufrage. Maître que Michel a vu 2 fois va mieux mais pas encore bien, il s’en faut !

Nous avons appris ce matin la mort d'Allaud[6] qui, fait prisonnier à Verdun, vient de succomber aux suites de ses blessures. Le chagrin de sa veuve sera peut-être d'autant plus grand qu'il y avait une frontière entre eux... Ce qu'il y a de certain c'est que la pauvre femme reste seule en face d'une lourde tâche ! On dit un service à Montreuil le 14 ; ton papa tâchera d'y aller. Je crains de ne pouvoir l'accompagner mais je me sens pourtant bien mieux et plus forte.

C'est la pauvre Suzette[7] qui ne va pas. Hier nous nous sommes vraiment inquiétés : elle paraissait si abattue, si anéantie, n'ayant goût à rien, ne parlant pas, réclamant l'obscurité complète, nous nous demandions si elle ne commençait pas quelque maladie grave et le Docteur Barth[8] qui la soigne depuis 10 jours pour de l'entérite était visiblement préoccupé ce matin. Il a accepté bien volontiers l'idée d'une consultation et va demander le Docteur Marfan, un spécialiste d'enfants. Mais aujourd’hui la chère petite reprend un peu de vie et d'intérêt à ce qui l'entoure, elle a mangé avec plaisir et même joué un peu. Son mal de tête dont elle se plaignait hier et qui nous ennuyait particulièrement paraît beaucoup diminué sinon complètement passé. Elle a encore les yeux très fatigués et réclame toujours l'obscurité.

Il va sans dire que le départ pour la Bourboule qui devait avoir lieu après-demain est remis sine die. Pauvre Lucie[9], elle n'a vraiment pas de chance et passe son temps à soigner des enfants malades. Hier elle pleurait, malgré tout son calme et nous en étions tous bouleversés. Aujourd’hui, je te le répète, il y a un vrai mieux.

Je t'ai envoyé hier du sirop iodotannique[10]. J'espère qu'il arrivera sans casse grâce à l'ingéniosité de mon emballage. Je t'envoie aujourd’hui de la bougie. Je t'embrasse tendrement mon petit, bon courage et soigne-toi

Emy

J'envoie un 27 centimètres de saucisson à Dagens.

Verrais-tu inconvénient à ce que je t'envoie un colis postal ? tes frères disent qu'on les apporte au camp et qu'il n'y a qu'à les prendre au Bureau du Vaguemestre. Je pourrais t'envoyer quelques pâtes (nouilles &) des pruneaux, légumes, que tu mettrais chez ta bonne femme. Les paquets [ ]


Notes

  1. Michel Froissart, frère de Louis.
  2. Damas Froissart.
  3. Pierre Froissart, frère de Louis.
  4. Possiblement Maxence de Colleville.
  5. L’abbé Marcel Pératé.
  6. Léon Allaud, époux d'Élisa Leseux.
  7. Suzanne Degroote, 7 ans.
  8. Le docteur Henri Barth.
  9. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote et mère de Suzanne.
  10. Iodotannique : qui contient de l’iode et du tanin (dépuratif et tonique).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 7 juin 1916. Lettre (incomplète) d’Emilie Mertzdorff (Paris), épouse de Damas Froissart à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_7_juin_1916&oldid=58816 (accédée le 18 décembre 2024).

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