Mercredi 25 novembre 1914

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)


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BRUNEHAUTPRÉ[1]

le 25 novembre 1914

Mon cher Louis,

La superposition de timbres ci-contre soulève un problème que tu pourrais soumettre à l'académie, quand tu auras récupéré l'aptitude à écrire une lettre ? pourquoi les boîtes où se ravitaillent les tampons donnent-elles un excès de jus pendant une partie de l'année qui paraît prendre fin en octobre et donnent-elles des traces de siccité désespérante à partir de cette date ? faut-il croire que les hirondelles viennent mystérieusement soutirer ce jus, pour ne le restituer qu'au printemps ?

La difficulté à laquelle tu vas te heurter est de ne pas savoir si tu dois soumettre la question à l'académie des sciences, à celle des sciences morales et politiques, à celle des inscriptions et belles-lettres. Il faudra peut-être faire un congrès de ces 3 académies.

Ceci dit je voudrais (pour ne pas l'oublier) faire, sans plus de retard, une commission de Michel[2], c'est de te dire de te faire donner un certificat établissant que tu as été vacciné contre la fièvre typhoïde, que tu as réagi etc. afin qu'on ne te soumette pas, à ton arrivée au Régiment, à de nouvelles inoculations. Il sera, sans doute, bon que la signature du médecin qui t'aura vacciné soit légalisée par son commissaire de police ou par son maire.

Sur ce, que puis-je te dire que ta chère mère[3] ne t'ait pas dit, à toi ou à Lucie[4] malgré la vilaine bronchite qui l'a tenue près de 3 semaines au lit et malgré la « chiffarnée » qui tient encore ses muqueuses les plus cérébrales au point d'empêcher toute respiration par le nez.

Voilà ! si tu avais suivi ta vocation d'être médecin, tu pourrais, au moins, nous apporter quelque soulagement, nous trouvant aux prises avec les misères de la vieillesse tandis que maintenant tu nous abandonnes, de toutes manières, à notre malheureux sort.

Le mien est d'être tenu par une patte qui à certains jours ne peut plus pénétrer dans une bottine sans y souffrir immédiatement d'y être comprimée. Tu dois peut être cette lettre d'aujourd'hui à ce que j'ai enfin suivi, par nécessité, les conseils de ta mère et du docteur Hallette, sans quoi je serais allé aujourd'hui à Boulogne faire renouveler (ou prolonger) mon permis de circuler en Auto qui expire demain et qui ne se donne qu'en juxtaposant les raisons les plus sérieuses dont la seule qui ait été prisée est que privé par la réquisition de ceux de mes chevaux qui trottent un peu, je ne peux assurer les réquisitions diverses auxquelles est soumise ma ferme de Dommartin qu'en ayant une auto. Mais ça pourrait [cesser] !

Nous voudrions être sûrs que les bras qui se tendent vers toi au camp de la Braconne n'auront pas la pénible surprise de ne pas pouvoir te serrer contre les cœurs multiples que Michel a si bien disposés pour son petit frère. Je recevais, il y a 15 jours, du Commandant Vandame[5] à Boulogne un mot par lequel il t'engageait à devancer l'appel, avant de passer la révision, faute de quoi il te croyait voué à l'infanterie. Je lui ai répondu qu'il était trop tard parce que tu avais passé la révision, mais que, trouvé bon pour l'artillerie de campagne puisqu'aucune protestation n'a été élevée contre ta demande d'y être affecté au conseil de révision (j'ai pu m'assurer de mes yeux que le commandant de recrutement t'avait, il y a 3 semaines, affecté à l'artillerie l'état m'ayant été communiqué par un planton en l'absence du commandant), tu as le droit strict, de par la loi, d'être affecté à l'artillerie de Campagne. Je ne serais pas étonné qu'il nous faille lutter pour obtenir que ce droit soit respecté. On nous dira que l'application de la loi n'a pas sa raison d'être puisque de toutes façons le but du législateur, qui est de réunir les frères ne peut être atteint. C'est ce que j'ai écrit à Vandame (à qui je demanderai de me fixer sur les circulaires ministérielles qui ont pu lui donner l'idée de m'écrire), pour voir s'il y a lieu de protester avant ou seulement après qu'on t'aurait appliqué une circulaire concernant des dispositions illégales. Je conserve bon espoir d'aboutir

Corpet semble dire dans une lettre de la même époque que le ministre[6] ne s'étant pas encore prononcé, il y aurait lieu de lui demander (à Corpet) de vérifier s'il y a du nouveau depuis un mois.

Quand tu reviendras parmi nous, munis-toi du texte de la loi : nous n'avons ici qu'un Commentaire.

Je viens d'écrire en même temps aux 2 sociétés qui se sont cru des droits à toucher mon loyer au 15 octobre, à savoir l'Industrielle Foncière et la « Société civile immobilière de Sèvres et Raspail » que ce loyer envoyé à l'Industrielle Foncière 29 rue de Sèvres m'est revenu et je les invite à se mettre d'accord, faute de quoi je verse à la Caisse des dépôts et consignations, ce qui est un enterrement de 1re classe pour les gens qui ont quelque chose à attendre du dit loyer

Tu pourrais avant de revenir tâcher de savoir par le concierge ce que font les autres locataires du 29 rue de Sèvres en face de ce conflit.

Quand nous reviens-tu ? tu pourrais apporter tes patins. C'est un entraînement comme un autre Nous t'attendons bientôt. Le dégel est ajourné. Ça regèle ce soir.

Je voudrais bien apprendre que les Russes sont victorieux sur la Vistule après leur [ ] d’avant-garde [  ] d’une manière un peu inquiétante ce combat-là ?

J’espère que Lucie est débarrassée de tous les rhumes, maux d'oreilles, etc. qui réclamaient ses soins[7], concurremment à ceux qu'elle t'a donnés. Fais-lui nos amitiés : avez-vous les poires et le poulet envoyés par maman samedi comme bagages ?

Tu sais, certainement, que les renseignements donnés à Hélène[8] par son capitaine d'André[9] militent en faveur de l'opinion qu'il est prisonnier quelque part. Nous nous en réjouissons.

mille amitiés

D Froissart

Nous n'avons aucune nouvelle [ ] à la lettre d'Elise[10] du 31 octobre au sujet de Jacques I[11]


Notes

  1. Tampon apposé sur la feuille en en-tête.
  2. Michel Froissart, frère de Louis.
  3. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  4. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote, sœur de Louis.
  5. Georges Vandame.
  6. Probablement Alexandre Millerand, ministre de la Guerre depuis le 26 août 1914.
  7. Lucie Froissart-Degroote a 4 enfants.
  8. Hélène Duméril, épouse de Guy de Place.
  9. André Duméril (†), frère d’Hélène.
  10. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  11. Jacques Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 25 novembre 1914. Lettre de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_25_novembre_1914&oldid=55455 (accédée le 20 avril 2024).

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