Mercredi 4 avril 1917

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)


original de la lettre 1917-04-04 pages 1-4.jpg original de la lettre 1917-04-04 pages 2-3.jpg


4 Avril[1]

Mon cher Louis,

Nous avons lu ta bonne lettre du 29 avec un vif intérêt, car nous étions avides de recevoir de tes nouvelles. Je me suis empressée de faire tes commissions ce qui est toujours un grand plaisir pour moi et nullement une corvée, crois-le bien, mon petit. Je suis si contente quand j’ai l’occasion de m’occuper de l’un de vous.

Je t’ai expédié hier un peu de beurre de Dommartin, un peu de chocolat que j’avais ici, car le Mardi et le Mercredi toutes les boutiques sucrées sont fermées et la vente du chocolat interdite même dans les épiceries. J’y ai joint un saucisson et des sardines pour le Vendredi Saint !...

Aujourd’hui je t’envoie 1° dans une boîte de fer blanc un camembert, un couteau et des ciseaux, plus un petit pâté de volaille.- 2° dans un autre paquet, recommandé celui-là, une montre et un autre couteau, anglais.

Michel[2] m’a aidée car j’étais fort embarrassée pour choisir couteaux et montre. C’est à son instigation que je t’ai envoyé 2 couteaux afin que l’un d’eux, l’anglais, te reste propre pour te servir de couteau de table : il comporte une grande lame, une lame pour les conserves et un fort poinçon. L’autre a une lame recourbée, une scie, un tire-bouchon et sera ton instrument de travail.

Michel a trouvé aussi que la montre phosphorescente à couvercle était une anomalie puisque, pour rendre la lumière, il faut que le cadran l’ait emmagasinée. Si on le tient toujours dans l’ombre d’un couvercle, il cessera vite d’être lumineux. Il a donc pensé pouvoir concilier tes desiderata en prenant une montre bracelet, à cadran et aiguilles phosphorescents et recouvert d’un petit treillage métallique qui le rend moins vulnérable sans empêcher la lumière d’y arriver. Une montre phosphorescente doit être forcément portée en bracelet. Si les ciseaux ronds ne font pas ton affaire, je t’en enverrai de pliants, mais je n’ai pas trouvé bien ce que je voulais dans ce genre.

Demain je t’enverrai un morceau de veau que l’on fait cuire pour toi et qui se conservera bien jusqu’à son arrivée, étant dans une boîte métallique. Mange bien surtout, mon petit, tu as besoin de forces pour la besogne que tu vas faire et je voudrais bien que tu ne manques pas du nécessaire les jours où le ravitaillement pourrait faire défaut.

Nous avons vu passer ce matin Defoort[3] revenant de permission. Il est maintenant attaché au 32e et non plus au 15e. Il nous a parlé de Pouilly[4], de Breuil, qu’il connaît bien ; il nous a dit avoir observé qu’à Fismes le terrain était « sableux » et se laissait travailler facilement. Les Decauville, dit-il, facilitent parfois leur tâche et ne paraît pas surmené, il est en parfait état. Nous avons vu aussi passer Pottier[5] qui regagne Campagne définitivement. Il a bien maigri lui, il tousse et paraît fatigué. Jacques[6] vient d’être chargé de la direction des tracteurs à travers champs, ce sont ses essais de motoculture qui lui valent cet emploi. Il paraît ravi.

Ton papa[7] se joint à moi pour t’embrasser tendrement.

Emy

Je n’ai pas encore les Pensées de Pascal mais je ne les oublie pas.

Ton papa a couru toute l’après-midi hier pour trouver des cartes, il t’a envoyé des cartes d’Etat Major que, par faveur, on lui a données au service géographique. On n’en donne plus à personne, aussi fais-en du cas.


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Michel Froissart, frère de Louis, en convalescence.
  3. Georges Defoort, ancien employé des Froissart.
  4. Plutôt Prouilly dans la Marne, à l’ouest de Reims, à proximité des deux autres communes citées : Breuil et Fismes.
  5. Raymond Pottier.
  6. Jacques Froissart, frère de Louis.
  7. Damas Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 4 avril 1917. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_4_avril_1917&oldid=56179 (accédée le 21 novembre 2024).

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