Lundi 17 juin 1918

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1918-06-17 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-06-17 pages 2-3.jpg


17 Juin 18

Mon pauvre petit,

Nous avons reçu ce matin ta lettre qui se croise avec celle de ton papa[1]. Reçois toutes nos sympathies pour ta pauvre gorge ypéritée et toutes nos félicitations pour ton changement de linge ! C’est vraiment ennuyeux que d’innocentes fraises des bois puissent se trouver contaminées et qu’elles t’aient amené ce désagrément. Je veux espérer que ce ne sera rien de plus, mais surveille-toi et porte-toi malade si tu éprouves quelques autres symptômes car c’est très empoisonnant ces drogues-là et traître.

Tes effets sont bien arrivés de chez le tailleur récemment, et sont rangés dans ton armoire. Je viens de peser la veste Kaki car j’ai pu envoyer celle de Pierre[2] par la poste, mais le tissu de la tienne est un peu plus lourd et elle dépasse de 100 g le Kilo. Il faut donc renoncer à ce procédé. A plus forte raison la veste bleue ; la culotte seule pourrait aller facilement par la poste, mais c’est probablement elle qui te manque le moins. Si tu la veux dis-le-moi. Le tout est très joli.

Pour les vestes, je crains le transport par chemin de fer. Tâche de trouver un permissionnaire de bonne volonté quand les permissions seront rétablies. Il serait facile de lui porter le paquet chez lui ou à la gare, au moment de son départ, à condition qu’il soit convenu avec lui que l’on se trouverait à tel endroit.

Je n’ai pas oublié la confiture d’orange, mais mes courses ne m’ont jamais menée par-là. Maintenant que je suis moins bousculée, je pourrai y aller. J’avais un tel retard avec mes huit jours d’absence que je n’arrivais pas à mettre ma correspondance et mes autres occupations du train ordinaire à jour. Ton papa t’a dit que nous avions eu hier Marthe et Georges[3], celui-ci très maigri pendant son séjour à Bourges. Il était insuffisamment nourri et a traîné en outre quelques jours une petite angine qui lui a donné une forte fièvre précisément le jour de l’examen, de sorte qu’il est assez inquiet du résultat. Le voilà revenu à Saint-Cyr pour deux mois encore.

Les sœurs ont enfin quitté Campagne et ont évité de passer par Paris pour ne pas courir le risque d’être bombardées dit-on, et peut-être aussi pour éviter de se trouver en contact avec nous. Le nouveau régime s’est établi à l’abri d’une petite distribution de viande aux enfants du catéchisme, et je pense que les potins vont se calmer. C’est pour faire des économies, dit-on, que nous renvoyons les Sœurs et l’on n’est, paraît-il, pas tendre pour nous ce qui m’est d’ailleurs parfaitement indifférent. Les élections nous ont cuirassés[4].

Je t’embrasse tendrement mon cher enfant.

Emy


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Pierre Froissart, frère de Louis.
  3. Marthe Pavet de Courteille, veuve Jean Dumas et son fils Georges Dumas.
  4. Damas Froissart s'est présenté sans succès dans le Pas-de-Calais aux élections législatives en 1910 puis en 1914.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 17 juin 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_17_juin_1918&oldid=53113 (accédée le 21 novembre 2024).

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