Samedi 14 novembre 1914
Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)
BRUNEHAUTPRÉ
Brimeux
Pas-de-Calais[1]
14 9bre
Mon cher Louis,
J'espère que nous aurons de tes nouvelles aujourd'hui. Je t'envoie la copie que j'ai faite de la lettre de Pierre[2], elle t'intéressera ainsi que Lucie[3] mais je pense que vous frissonnerez comme moi en voyant à quoi le rôle d'éclaireur et d'agent de liaison expose notre pauvre Pierre et combien il serait possible qu'il disparût un jour ou plutôt une nuit, qu'il tombât dans quelque guet-apens et qu'on n'entendît plus parler de lui ! L'histoire du cycliste m'a fait frémir. Je pense à sa famille qui attendra de ses nouvelles et s'épuisera en recherches comme on le fait pour André[4]. Et encore celui-là Pierre l'a vu et a peut-être remarqué le n° de son régiment, combien d'autres qui pourrissent dans quelque lieu abandonné et dont on ne saura jamais rien ! C'est affreux de penser à cela ! Crois-tu qu'il sera un homme débrouillard notre Pierre quand il reviendra de sa campagne et que quelque chose sera encore susceptible de l'épater ? (le mot est adopté par l'Académie). C'est une rude école pour tremper les caractères et les énergies.
Nous attendons aujourd'hui les Alfred Dupont[5] qui sont à Boulogne depuis 2 mois sans que nous en sachions rien. Ils passeront la journée de demain avec nous ; Jeanne sans nouvelles de Douai depuis plus d'un mois fait des démarches pour retrouver la trace d'Henry[6], disparu depuis le 25 Août. Elle a appris qu'il avait disparu avec quelques hommes. Sont-ils prisonniers ? sont-ils parmi les malheureux dont on ne saura jamais rien ? Quelle angoisse pour sa pauvre femme[7] et pour ses parents[8] ! Et ainsi de suite ! c'est de tous les côtés l'inquiétude, le deuil, la souffrance sous toutes ses formes. Jacques[9] m'apprend la mort du fils aîné des Vaillant[10] marié depuis peu de temps, lui aussi.
Victor[11] est tombé dans l'escalier de la cave avant-hier et est assez souffrant ; la semaine dernière c'est Marie (la femme d'Al.[12]) qui s'était tordu le pied et a dû rester 2 jours au lit ; Louise[13] a passé 48 h chez sa mère avec ses filles qui sont revenues fort enrhumées ; Pauline[14] en convalescence nous formons une assez triste maison et le système forcément si boiteux des remplacements et des provisoires ne paraît pas près de prendre fin. Mais j'avoue que toutes ces choses-là me sont indifférentes. On a l'esprit tendu sur un seul point de l'horizon, ou plutôt une ligne qui s'étend de la mer du Nord à Thann ! Lucie te dira les démarches que nous faisons pour avoir des nouvelles d’Élise[15]. Je voudrais tant procurer cette consolation à notre pauvre Jacques.
Quand vous aurez lu la lettre de Pierre, envoyez-la à Made[16] qui me la retournera. J'ai envoyé la copie de cette copie à Jacques qui la passera à Michel[17]. Si Lucie peut aller la lire à Cécile[18], je crois que ces aventures de guerre l'intéresseront beaucoup.
Je t'embrasse bien affectueusement espérant recevoir bientôt de tes nouvelles. Amitiés à tous
Emy
J'apprends que J. d'Aillières vient de partir pour Ypres
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Pierre Froissart.
- ↑ Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote ; elle héberge son frère Louis Froissart.
- ↑ André Duméril.
- ↑ Probablement Alfred Dupont et son épouse Jeanne Descat.
- ↑ Henry Parenty.
- ↑ Yvonne Jaspar, épouse d’Henry Parenty.
- ↑ Henri Parenty et son épouse Madeleine Decoster.
- ↑ Jacques Froissart.
- ↑ Albéric, fils de Léon Vaillant et Henriette Jeanne Hovius.
- ↑ Victor Blaud.
- ↑ Marie Wicart, épouse d'Alexandre Baudens, au service des Froissart.
- ↑ Louise Bruche, épouse de Georges Bénard, est domestique chez les Froissart. Elle est la fille de Marie Justine Brebion, épouse de Louis Bruche. Louise a alors deux filles : Laure Bénard et Clara Marcelle Louise Bénard.
- ↑ Pauline Levecque (veuve de Philibert Vasse), concierge à Brunehautpré.
- ↑ Élise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
- ↑ Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.
- ↑ Michel Froissart.
- ↑ Cécile non identifiée.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 14 novembre 1914. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Campagne-lès-Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_14_novembre_1914&oldid=59419 (accédée le 18 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.