Samedi 2 avril 1831

De Une correspondance familiale

Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)


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Paris ce 2 Avril 1831.

J’aurais bien désiré, mon cher Henri, pouvoir t’écrire avant aujourd’hui, mais cela m’est réellement impossible, et je vois qu’il faut que je fasse habituellement ma correspondance pendant les jours de congé, que nous procurent les grandes fêtes, qui sont un peu rares, et, de là, il s’en suit, que je n’écris pas aussi souvent que je le voudrais.

Au collège, on a l’habitude de faire des examens à cette époque-ci de l’année, et quoique l’on nous en ait fait un, pas bien redoutable, il est vrai, il y a à peu près un mois, nous allons en avoir encore un, mardi et mercredi prochains. On ne nous fait, à l’ordinaire, que quatre heures de classe, par jour, mais, à cause de cette cérémonie, on en fera six, ce qui n’est pas bien amusant, et tu comprends qu’en douze heures, on aura bien le temps d’interroger tous les élèves : nous sommes 54. La dernière fois, on m’a fait expliquer du latin : je m’en suis assez bien tiré, mais je me suis un peu blousé à l’article grec : je crains encore cette fois, cette partie-là : pour le latin, cela m’est égal : je crois pouvoir expliquer, pas trop mal. Il faudra aussi réciter quelques leçons, ce qui est ennuyeux, car quoique je les aie, presque toutes, apprises, il me faudra apprendre de nouveau les morceaux que je voudrai réciter, car il suffit de faire preuve de bonne volonté, et pouvoir réciter quelque chose de chaque auteur, que l’on a appris. Enfin, nous avons cinq jours, pour nous préparer à cet examen : tu vois cependant que je ne donne pas tout mon temps à cette préparation, puisque je t’écris, que j’écris aussi à mon oncle Désarbret[1] d’Amiens, et que je lis assez. A propos de lecture, je m’en vais te dire une chose, que tu sais peut-être déjà, c’est que je me chagrine d’avoir si peu lu, jusqu’à ce jour, car cela me manque souvent, et, en outre, d’avoir si peu le temps de le faire.

Je suis privé dans ce moment, de la compagnie de mon cousin Auguste[2] de Lille : il a fait comme toi, lorsque tu étais à Paris : il a été passer les fêtes de Pâques dans sa famille. Nous avons eu la visite de Constant[3] de St Omer. Il fait le commerce de commission, et il est venu ici pour ses affaires : il est toujours bien drôle, par la manière dont il dit les choses, et surtout, par le sérieux qu’il conserve, lorsqu’il fait rire tous ceux qui l’écoutent.

Alphonse Defrance est, dans ce moment, dans une position bien malheureuse. Eugène[4], il y a environ un mois, apprit, je ne sais trop comment, qu’il y avait une place vacante, dans un des plus grands magasins de Paris : « Aux deux Magots »[5] : il y alla aussitôt, parla à un Monsieur, s’arrangea avec lui : Alphonse ne devait pas payer, comme il faisait dans l’autre maison, où il était précédemment : on s’engageait à le nourrir et à le loger. Tout cela était fort beau, et charma Eugène, qui écrivit aussitôt, à son frère, de revenir : celui-ci ne se fit pas attendre, et, au bout d’une huitaine de jours, il se rend dans cette maison mais cette fois-ci, ce n’est plus à la même personne que l’on s’adresse : c’est au chef de l’établissement, et il dit, au pauvre cousin, qu’il n’avait pas besoin de commis, et que son associé avait eu tort de faire ces arrangements, sans lui en parler, car son intention n’était pas de prendre, dans ce moment-là, de nouvelles personnes chez lui. Cet événement est arrivé, il y a deux ou trois semaines, et, depuis ce temps, on ne peut pas trouver de place pour lui. Les affaires vont si mal, que tous les marchands répondent, lorsqu’on leur demande s’ils veulent d’un commis, qu’ils en renverraient plutôt qu’ils n’en prendraient. Tout cela est bien fâcheux, car ce pauvre Alphonse, qui est obligé de se ménager extrêmement sur la dépense, doit pourtant être obligé d’en faire un peu : ce n’est pas malheureusement, je crois, soit dit entre nous, Eugène, qui est maintenant en état de lui faire une bien forte subvention, d’autant plus qu’il n’est pas, comme tu dois le savoir, payé, à la Charité.[6]

Depuis que je t’ai écrit, j’ai vu quelques élèves de nos anciennes connaissances[7], entre autres, Claus, qui est grand et bon vivant, m’a dit d’aller chez M. Delabarde, prendre des leçons de danse, qu’y prennent aussi Begnier, Vigoureux et une de ses sœurs[8]. Ce dernier a 20 ans, et ne peut, par conséquent plus entrer à l’Ecole Polytechnique ; il est pourtant chez M. Courtial, lequel M. Courtial a, dans l’artillerie de la garde nationale, à la même batterie que M. James Parry, l’associé d’Horace[9], le même grade qu’avait, dans l’armée, le père Ménagé : il est maréchal des logis : ce grade le dispense de tout service, il n’a que les billets de garde à faire. Quant à M. Ménagé, dont je viens de te parler, je ne sais pas s’il est encore à Fontenay, et si le nouveau possesseur de l’établissement fondé par M. Morin[10], car il l’a décidément vendu, a continué les leçons d’équitation. Cet acheteur est, à ce qu’il paraît, un M., qui s’est enrichi en Russie : je ne sais aucun détail là-dessus : si je voyais quelque élève, encore à présent, à Fontenay, je pourrais en savoir ; mais je n’en n’ai pas vu, depuis fort longtemps, si ce n’est Thurneyssen[11], dont je n’ai rien pu tirer : c’est bien un véritable allemand, pour la froideur : il ne m’a répondu que par des oui et par des non. Il est maintenant à la pension de Paris, parce qu’il se prépare pour sa première communion. D’Andigné, dont je t’ai raconté le départ, un peu brusque, de Fontenay, est à la pension de Paris. Je l’ai vu, l’autre jour à la Sorbonne, où je vais quelquefois, parce qu’il y a une bibliothèque. Il m’a dit qu’il venait, pour voir un de ses camarades, passer son examen de bachelier : je ne l’ai pas sondé, mais je m’imagine que ce camarade n’était autre que lui, et qu’il a voulu, par là, me cacher le but réel qui l’amenait à la salle d’examen. Il est possible que je me trompe, mais s’il en est ainsi que je le crois, j’ai bien peur qu’il ne se soit fait refuser, ou il faudrait qu’il eût bien travaillé cette année, ce dont je ne le crois pas capable, car tel qu’il était, lorsque nous nous sommes quittés, il était impossible qu’il pût songer à se faire recevoir.

Après le bal qui a eu lieu chez Chatoney[12], j’ai beaucoup tardé à y aller faire ma visite, j’y ai enfin été, il y a trois semaines, et le jeune homme était en retenue, je ne sais pour quelle cause. Je ne suis pas monté chez lui. J’ai trouvé sa sœur[13] au bas de l’escalier, à laquelle j’ai parlé.

Nous avons rencontré aujourd’hui Eusèbe Dumaine, que tu te rappelles, sans doute : il a pris une figure d’homme fait, et a l’air beaucoup plus vieux qu’il ne l’est : il est à peu près de l’âge de Constant[14], et semble plus âgé que lui. Il a obtenue une assez jolie place : c’est celle de Receveur particulier, dans un bourg, d’un département du midi : c’est un commencement.

Tu me demandes des détails sur M. Hoche, mais je n’en sais aucun : je ne l’ai pas vu depuis la visite que nous lui avons faite en son hôtel : je pense, comme toi, qu’il a repris du service ; si la guerre est déclarée, il pourrait se faire qu’il obtînt quelque grade élevé, et ce serait bien heureux.

Nous venons d’avoir la visite de Raoul et de sa femme[15] : ils avaient un congé de dix jours, et après en avoir passé quatre, ici, ils vont terminer leur temps de vacance à Amiens : les deux époux ont l’air fort heureux. Je te remercie beaucoup ainsi que tout le monde ici, car cela nous a extrêmement intéressé, sur tous les détails de cette belle loterie, qui s’est tirée chez vous. Maman[16] a gémi de voir sa boîte passer aux mains de l’étranger, ce pouvait être un barbare, peu admirateur des produits des arts ; mais nous avons été charmés d’apprendre qu’il savait apprécier le butin que la fortune s’était plu à lui accorder. Nous avons appris avec bien de la peine les ennuis et le chagrin de Matilde[17] : il serait malheureux qu’elle perdît cette bonne, qui est un bon sujet, à ce qu’il paraît. Veuille lui dire, je te prie, de notre part, que nous prenons part à ses tourments, et que nous souhaitons qu’elle puisse bien remplacer Rose.

Nous voyons avec grand plaisir, par les dernières lettres reçues, que vous vous portez, du reste, tous bien ; tes neveux et tes nièces[18] viennent, à ce qu’il paraît, à merveille. Élise[19] doit être fort contente de vous voir arriver : les descentes en ville devaient commencer à la fatiguer, et elle se réjouit sans doute de n’avoir plus à les faire ; fais-lui je te prie, nos tendres amitiés ainsi qu’à M. Latham.

Quant à nous, nous sommes très bien portants ; maman éprouve seulement un peu de fatigue, d’avoir dessiné avec suite, ces temps-ci. Papa[20] ne tousse pas, ou du moins, presque pas, ce qui est on ne peut plus heureux, puisqu’il va commencer mardi prochain, son cours, à l’école de médecine. Ma tante[21], à part la toux et le manque de mémoire, qui va toujours en croissant, et son caractère, qui semble devenir chaque jour plus irritable, va bien : elle a bon appétit, et si elle ne dort pas toujours merveilleusement, c’est qu’elle a trop l’habitude d’anticiper sur la nuit, en se livrant presque toute la soirée au culte de Morphée.

En voilà bien long, mon cher Henri, mais puisque mes lettres ne se suivent qu’à une grande distance, il se trouve toujours un grand nombre de choses à te dire.

Adieu donc ; mes alentours se joignent à moi, pour t’embrasser tendrement, ainsi que tous les tiens.

Tout à toi ton cousin et bon ami.

A. Aug. Duméril.

Pardon de ce griffonnage, mais mon taille-plumes est chez le coutelier. Tu pourras, d’après cette lettre, donner de nos nouvelles à Constant ; fais-lui, je te prie, toutes nos amitiés, et dis-lui que maman est bien fâchée, mais qu’elle n’a pas le temps de lui écrire, cette semaine. Quant à lui, c’est de son devoir de le faire, car il y a quinze jours que nous n’avons de ses nouvelles par lui-même.

Voudrais-tu, je te prie, dire à Elise qu’on a été, pour le cidre, à l’adresse indiquée, et qu’il n’était point arrivé ; qu’on a promis de nous avertir aussitôt qu’on le recevrait, et que nous n’avons pas reçu d’avis.


Notes

  1. Joseph Marie Fidèle Duméril, dit Désarbret, frère d’André Marie Constant.
  2. Charles Auguste Duméril.
  3. Constant Duméril, fils de Florimond (dit Montfleury) l’aîné.
  4. Eugène Defrance, frère d’Alphonse.
  5. Magasin de nouveautés fondé en 1812, à l’angle de la rue de Buci et de la rue de Seine et transféré en 1873 place Saint-Germain. Vers 1885, le magasin est remplacé par un café.
  6. Probablement Édouard d'Andigné.
  7. Auguste Duméril et son cousin Henri Delaroche sont anciens élèves de la pension Morin à Fontenay-aux-Roses.
  8. Paul et Julie Vigoureux.
  9. Horace Say (1794-1860).
  10. Prosper Henri Morin.
  11. Probablement Georges Alexandre Charles Thurneyssen.
  12. Jules Chatoney.
  13. Laure Chatoney.
  14. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  15. Charles Edmond Raoul-Duval a épousé Octavie Say en 1830.
  16. Alphonsine Delaroche.
  17. Matilde Delaroche, épouse de Louis François Pochet et sœur d’Henri.
  18. Enfants Pochet et Latham.
  19. Pauline Élise Delaroche, sœur d’Henri et épouse de Charles Latham.
  20. André Marie Constant Duméril.
  21. Élisabeth Castanet.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in Lettres de Monsieur Auguste Duméril, p. 757-765

Pour citer cette page

« Samedi 2 avril 1831. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_2_avril_1831&oldid=60873 (accédée le 25 avril 2024).

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