Vendredi 15, mardi 19 et mercredi 20 octobre 1875
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 15 Octobre 1875.
Tu ne saurais croire, mon père chéri, le plaisir que m’a fait ta ravissante petite lettre je l’ai lue et relue, pauvre petit père, comment c’est toi qui laisse ainsi passer le train sans t’en apercevoir ? Je t’assure que nous aurions un peu ri sans le trajet en voiture découverte, pourvu que tu ne te sois pas enrhumé. Ici le concert des rhumes commence. Mardi Mlle Bosvy ne pouvait plus parler, aujourd’hui Mercredi elle allait mieux. Nous allons tous très-bien Emilie[1] a toujours sa mine superbe et moi tout le monde m’a trouvée engraissée. M. Edwards[2] va probablement partir demain avec Noël Dumas pour faire un voyage dans le midi, ils resteront une dizaine de jours. M. Edwards s’est décidé à cela pour occuper les vacances de Noël qui depuis son retour d’Ecosse est à Paris sans rien faire.
Que d’excuses j’ai à te faire, mon bien-aimé père pour cette espèce de griffonnage que je t’ai écrit Mercredi et qui a été fini sur la table des cours. Je voudrais tant pouvoir bien t’écrire. Mon cours s’est bien passé seulement Mlle Kleinhans professeur de géographie et le maître d’écriture ne sont pas venus. Nous avons fait à la place de la grammaire et du calcul. A propos de calcul je te remercie mille et mille …
Mardi 19 8bre 9h du soir. Mon bon petit père, c’est vraiment bien bien mal à moi d’être restée si longtemps sans t’écrire aussi si je reprends cette vieille feuille de papier tout au plus bonne à brûler c’est uniquement pour te prouver que si il y a longtemps que tu n’as pas reçu de mon écriture ce n’en ai pas moins pensé à toi-même bien bien souvent, mais c’est une chose, une autre, mes devoirs me prennent pas mal de temps d’autant plus que je cherche à les faire le mieux possible j’ai commencé des cahiers neufs que je m’applique le plus possible à bien écrire je me fais une fête de te les montrer mon bon petit papa chéri, c’est si bon de te raconter et de te faire voir toutes nos petites affaires.
Tu sais sans doute par Emilie que le cours d’hier Lundi s’est bien passé, les problèmes au tableau vont déjà beaucoup mieux pour tout le monde ; la grammaire m’intéresse beaucoup elle ne me donne pas de peine car nous ne faisons en quelque sorte que repasser ce que nous avons appris ; l’histoire aussi marche bien j’ai fait cette semaine un résumé de toute la leçon, je voudrais pouvoir faire cela chaque fois mais je ne sais si j’en aurai le temps car demain nous commençons enfin le fameux cours de géographie, voilà qui me sera utile car tu sais qu’à ma grande honte ma petite sœur m’a battue tout l’été à plate couture, Jean[3] même était plus fort que moi. Aujourd’hui nous avons eu Mlle Bosvy si tu savais comme mes leçons me sont utiles[4] sans elles je ne sais ce que je deviendrais que tu es bon, mon petit papa, de vouloir bien nous en faire donner ainsi.
Marthe Tourasse ne fait paraît-il que penser à son examen, elle en a une peur atroce à ce qu’elle me dit. Hier pendant la récréation nous voyons entrer chez Mlle Des Essarts un grand M. à l’air sévère avec un lorgnon elle se précipite vers moi et me dit : Bien sûr voilà un examinateur. Juge de mon fou rire lorsque le susdit personnage entre dans notre classe se baisse vers le calorifère et que Marthe me dit tout bas : Ah je respire l’examinateur s’est changé en fumiste. Moi je ne m’en agite pas tant j’attends pour avoir peur ou non d’en avoir vu. Seulement par exemple je ne peux plus passer devant la porte du Luxembourg sans penser pourquoi j’y entrerai.
C’est demain Mercredi que commenceront nos fameuses leçons de danse ah petit père te voilà content guerre à mes pauvres pieds ; heureusement encore que ma robe est un peu longue. Nous nous réjouissons toutes énormément ; le public composant ces augustes assemblées présidées par M. Fischer sera : Paule[5], Henriette[6], Marie Flandrin, Marthe[7], le petit Louis Arnould qui a l’âge de Jean et plus tard quand elle sera revenue Marie Des Cloizeaux. Tu nous demandes, dans ta gentille lettre qu’Emilie a reçue ce matin et dont elle te remerciera elle-même, si le jeune Arnould reçu à l’école polytechnique[8] est frère de Paulette[9]. Je te dirai que non le sien en est au contraire sorti cette année et est actuellement à l’école centrale. Je ne sais si nous t’avons dit que son petit frère Edmond[10] qui a 12 ans est très souffrant et qu’on est très inquiet il a eu des rhumatismes articulaires tout le temps des vacances qu’il a passées dans son lit ; il se lève maintenant mais il peut à peine marcher et a une mine atroce. Le reste de la famille se porte très bien.
Comme j’ai encore quelques petites choses à te dire je reprends cette feuille sur laquelle se trouvent des problèmes faits depuis longtemps déjà, je le relis, sais-tu que tes vignes te rapportent un joli intérêt mais est-ce que tu m’as donné là toute la récolte ?
Si tu savais mon bon père, comme nous pensons à toi dans tes ennuis domestiques, si j’avais là-dessus mon avis à donner je crois qu’il serait beaucoup mieux et préférable pour tout le monde que Nanette[11] s’en aille elle est vieille, ne fait plus grand’chose, peut être malade d’un moment à l’autre, ses enfants sont loin et de plus est-elle très franche puisqu’elle cache toujours ainsi ce qui la regarde ? Enfin mon petit papa fait ce que tu jugeras le mieux et surtout je t’en prie garde ces réflexions pour toi et comme si je te le disais dans le tuyau de l’oreille.
Bonsoir, mon petit papa chéri, Emilie me prévient qu’il est l’heure de me coucher, tu es en ce moment dans ton petit salon au coin du feu je t’embrasse de tout mon cœur et je vais à côté de toi me coucher dans mon petit lit bleu à demain matin mon bon mon cher petit papa. Je t’ai écrit ce soir parce que je me connais et je suis sûre que je ne l’aurais pas fait.
Bonjour mon petit papa chéri as-tu bien dormi ? il est 10h tante[12] est en train de me nettoyer la tête qui du reste va beaucoup mieux nous allons dans un instant partir au cours. A revoir mon bon petit papa je t’embrasse de tout mon cœur.
Ta fille qui t’aime
Marie
Problème[13]
J’ai fait 250 hectolitres de vin nouveau.
Il vaut 20 F – frais de culture 3 500 F
que produisent 4 hectares de vigne ? ____
2° L’hectare vaut 5 000 F quel est l’intérêt que rend la vigne ?
250 h x 20 F = 5 000 F – 3 500 F (frais) = 1 500 F
1° 4 hectares Produisent 1 500 F
1 500 F : 4 h = 375 F rapport d’un hectare
Si 5 000 F ou 1 hectare rapportent 375/50 = 7,50
1 000 F
100 F
L’intérêt que rendra la vigne cette année est de 7 F 50 c pour 100 F
Voilà mon petit papa chéri est-ce bien ? Je viens de faire des problèmes tout à l’heure et je t’assure qu’ils ne l’étaient pas. Que je voudrais donc les faire tous avec toi ! Tu es bien bon de m’avoir envoyé celui-là il m’a énormément amusée je voudrais bien que tu m’en envoies encore.
Notes
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas, 10 ans.
- ↑ Marguerite Geneviève Bosvy donne en plus des leçons à domicile.
- ↑ Paule Arnould (« Paulette »).
- ↑ Henriette Baudrillart.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Charles Mertzdorff fait probablement allusion à Georges André Lucien Arnoux (1856-1921, X 1875).
- ↑ Le frère de Paulette : Pierre Arnould (X 1873).
- ↑ Edmond Arnould le fils (né en 1860).
- ↑ Annette, cuisinière de Charles Mertzdorff.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Voir la lettre des 12-13 octobre.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Vendredi 15, mardi 19 et mercredi 20 octobre 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_15,_mardi_19_et_mercredi_20_octobre_1875&oldid=35789 (accédée le 8 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.