Mardi 12 et mercredi 13 octobre 1875

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1875-10-12 pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-10-12 pages 2-3.jpg


Mardi 12  8bre 75
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Ma chère Marie

Je ne m’attendais pas à avoir le plaisir de te lire ce matin. Aussi bien [douce] surprise pour un solitaire !

Tu savais que Dimanche nous devions être réunis ici aux Morschwillois & malgré une pluie battante bons-maman & papa[1] & Léon[2] sont venus. Cette journée s’est passée doucement sans que je sache en parler avec beaucoup de détail, toutes ces réunions se ressemblent bien & les conversations aussi.

Le soir j’ai visité MmesHeuchel[3] & Stoecklin[4], cette dernière était seule ; ses deux petites filles[5] ont passé leur journée de Dimanche à Thann chez le Docteur Bornèque, où l’on fait toujours beaucoup de musique à ce qu’il paraît.

Hier Lundi j’ai quitté la maison à 6h du matin & trouvant mon compagnon de voyage M. Oscar Scheurer à la station nous avons entrepris le fameux Voyage à Munster. Arrivés à Lutterbach la Salle d’attente était comble & réellement l’air se trouvait trop grossièrement vicié pour nos faibles organes, aussi avons-nous trouvé sage de nous mettre à l’abri dans le couloir, tout en causant. Je ne dirai plus que les petites filles sont bavardes, car nous deux l’étions si bien, que lorsque nous nous informons de l’heure du train l’on nous répond qu’il a passé il y a ½ h. Stupéfaction ! que faire... dans une heure un train omnibus passe, le prendre, arriver à Colmar à 10h au lieu de 8. Ce qui fut fait.

A la station nous avisons une petite voiture à un cheval qui doit nous conduire à Munster de manière à arriver avant midi à Haupt Zoll amt[6] Ce qui fut fait grâce à un bon pourboire. A Midi & quelques minutes notre besogne se trouve terminée & pouvons reprendre le train de 1h qui nous ramène à Colmar. La faute a été réparée, nous n’avons pas perdu de temps, mais le voyage de Colmar à Munster dans un voiture découverte n’a pas été agréable, malgré la charmante vallée que nous parcourions, les montagnes étaient couvertes de neige & il faisait un petit froid dont je ne me suis pas encore réchauffé entièrement.

J’ai passé quelques heures avec les Zaepffel[7] qui sont très affairés dans leurs préparatifs de déménagement pour Nancy. Ils font réparer leur Kiosque & un des ouvriers menuisier est si malheureusement tombé qu’il s’est cassé la jambe. Il est vrai que nous sommes sous le règne du vin nouveau. Vin nouveau à 4 sols le litre, aussi quel despote & que de misère allons-nous avoir à supporter ! Les vendanges viennent de se terminer ici, c’est à dire que l’on pressera la dernière mesure. Heureusement car il paraît qu’il n’y avait plus un vase libre pour l’y loger.
Beaucoup de gens ont dû vendre faute de tonneaux aussi à un prix ruineux. L’Ochsenfeld a bien rendu à tous & Mme Berger[8] en particulier.

Il était convenu que les Zaepffel viendraient ce matin, mais la voiture est rentrée à vide & peu après une dépêche me dit que l’on ne viendra que demain Mercredi. Cette nuit l’école Normale, grand bâtiment qui se trouve comme tu sais non loin du Jardin Zaepffel a brûlé entièrement[9] probablement qu’ils ont passé toute la nuit debout, le bâtiment était assez rapproché pour avoir à veiller chez eux. Encore une bonne brèche à la caisse départementale !

J’avais compté t’écrire ce Matin mais absent hier j’ai passé plus de temps à la fabrique & au bureau, M. Jeaglé manque, il est à Bâle.

Cet après-midi j’avais bien Léon pour mettre ma lettre à la poste, mais elle n’était pas écrite & cela un peu par ma faute, il y avait du feu au salon, je trouvais la chose bonne & m’y suis oublié à lire jusqu’à [2]h.!!! mais aussi, le feu n’était pas pour moi. C’est pour les Zaepffel que la bûche brûlait ce matin, il ne fallait pas perdre le produit de cette combustion. Et il faisait si froid hier matin entre Colmar et Munster.

Nos santés à tous sont bonnes. Je vais tout à fait bien. Je ne suis pas du tout fixé sur ce que fera Nanette[10], elle nous boude tous & ne dit rien & ne veut rien dire. Est-elle décidée ou ne l’est-elle pas ? Je crois qu’elle ne s’en va pas avec plaisir si elle s’en va.

Tu diras à Oncle Alphonse[11] que M. Jeaglé rentre de Bâle & suivant certains avis, ce n’est pas le moment d’acheter du St Gothard. Il faut attendre & généralement je me méfie du chemin de fer suisse, on en fait trop, beaucoup trop. Les bons doivent devenir mauvais.

Problème à résoudre. J’ai fait 250 hectolitres vin nouveau
il vaut 20 F
frais de culture 3 500 F
que produisent 4 hectares de Vignes ?
l’hectare vaut 5 000 F, quel est l’intérêt que rendent la vigne ?
C’est la récolte de cette année.

Mercredi. J’attends les Zaepffel je ne puis continuer mon griffonnage mais il me reste assez de place pour vous embrasser tous de tout cœur

ton père   CharlesMertzdorff


Notes

  1. Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril.
  2. Léon Duméril, leur fils.
  3. Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
  4. Elisa Heuchel, épouse de Jean Stoecklin.
  5. Anne et Marie Stoecklin.
  6. Hauptzollamt : bureau de douane principal.
  7. Emilie Mertzdorff (sœur de Charles) et son époux Edgar Zaepffel.
  8. Joséphine André, épouse de Louis Berger.
  9. Une photographie de Gerst et Schmidt « Incendie de l'Ecole normale de Colmar », 11 octobre 1875, est vendue au profit des familles des victimes.
  10. Annette, cuisinière chez Charles Mertzdorff.
  11. Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 12 et mercredi 13 octobre 1875. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_12_et_mercredi_13_octobre_1875&oldid=51773 (accédée le 21 novembre 2024).

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