Samedi 10 et dimanche 11 février 1877

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

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Samedi soir & Dimanche 11 février 77

Ma chère Marie.

Bon-papa[1] vient de me rendre tes bonnes lettres qui ne respirent que fêtes et plaisirs. Te dire qu’elles m’ont fait grand plaisir, tes lettres, n’est guère utile ; car qu’est-ce qui peut me donner une plus grande joie que de vous savoir contentes et heureuses.

Ce soir, samedi, c’est le tour des amies Berger[2] qui sont au bal que donne la Concordia[3] à Mulhouse. Elles aussi ne pensent que fêtes & danses & elles s’en donnent.
leur Maman, faute de nouvelles toilettes pour les petites danseuses ne voulait pas aller à ce bal à Mulhouse ; trouvant aussi qu’une nuit d’hôtel n’a pas grand charme ; mais une conspiration où les petites [ ] avaient les Dames Gros[4] de Cernay pour complices, il a fallu céder. & l’on y est.
Je sais tous ces petits détails car Mercredi j’ai voyagé avec Mme & M. Berger[5] & ai même dîné en tiers avec ces amis au buffet de Mulhouse, laissant mon oncle Georges[6] aller dîner seul à l’hôtel.

Demain soir je serai avec vous toute la soirée & très probablement me coucherai en même temps que vous. Je n’en dirai pas autant pour le lendemain Lundi où l’on rentrera un peu plus tard ; sans [ ] chorégraphiques de ces pays-ci. Mme Stackler[7] est un peu souffrante donc fiancée et fiancé[8] restent auprès de la Maman. L’on ne sait toujours pas pour quelle époque aura lieu le voyage à Paris dont l’on parle depuis si longtemps ; ce doit encore être ce Mois-ci & cependant rien encore n’a pu être décidé à cause de la santé de Mme Stackler.

Mercredi j’étais à Mulhouse pour assister à une réunion d’actionnaires & c’est pour cela que j’y étais le matin. D’ordinaire une après-midi suffit bien au-delà pour mon plaisir. Après la bourse j’ai fait visite à MmesMiquey[9] & Stackler. Je n’ai fait qu’entrer & sortir chez ces dernières Dames[10] ayant passé trop de temps chez la première.
Il paraît que Mme Miquey tourmente Mme Stackler pour qu’elle renonce à son projet de se fixer à Paris auprès de son fils[11] ; prétendant qu’elle serait infiniment mieux auprès de sa fille à Vieux-Thann, elle voudrait la voir occuper une maison non loin de celle de sa fille.
Aura-t-elle du succès je n’en sais rien ; Mme Stackler n’en parlant pas, je me tiens coi, & cependant si l’on se décide à ce dernier projet je n’en serais pas fâché, nous ne sommes déjà pas trop de monde ici & comme Mme Stackler est très gaie, comme sa fille il y aurait ici un petit noyau de société. Qui sait, cela pourrait me faire sortir un peu de ma tanière où je me renferme [ ] & beaucoup trop, pour sûr !!

Jeudi j’étais au Moulin. Bonne-Maman[12] bouge toujours & réellement elle n’a pas bonne mine, il paraît qu’elle est toujours très agitée la nuit, dort mal & pendant le jour, en mouvement perpétuel, elle a deux bonnes qu’elle ne laisse rien faire & s’agite de tout. C’est une existence fiévreuse qui n’est pas faite pour lui donner bonne mine.
Je trouve de même que bon-papa[13] vieillit beaucoup malgré ses grandes promenades qu’il fait journellement. Et cependant les deux paraissent contents, mais ne sont occupés que du Mariage du fils[14] ; Cependant de ce côté rien de préoccupant, quoique l’on ne sache pas encore où, dans quel pays l’on pourrait bien se marier. Voilà la question remise pour après le voyage à Paris. Mon avis n’a pas prévalu & je n’y puis plus rien.

Voilà ma future bibliothèque avec son papier, ce soir l’on a récuré & Lundi l’on videra la maison voisine de sorte que les maçons peuvent s’y mettre ; car jusqu’à ce jour rien n’a été fait, mais je pense que tout est décidé comme l’on veut avoir son nid.
Tu sais que la table de repassage & la petite cave du billard ne forment plus qu’une longue salle qui sera bibliothèque & en même temps passage pour aller au billard par l’ancienne porte de la petite cave que vous connaissez & qui est restée. Pour le moment ma maison est bien encombrée. Vous devriez voir votre pauvre salle d’étude comme elle est encombrée. Depuis 3 jours j’y dessine des plans de cadastre & que je range en ordre les titres de propriétés, comme je tiens à les remettre au Notaire. Du reste je ne suis pas le seul à y travailler, j’ai envoyé du Monde à Morschwiller pour en lever les plans & à Cernay pour le Moulin.

Voilà que l’on parle beaucoup de ce que notre ancien bon curé doit quitter Thann pour être coadjuteur de Monseigneur de Strasbourg[15] qui est trop vieux & que ce serait celui de Vieux-Thann[16] qui passerait de nouveau à Thann. Ou encore celui de Thann[17] allant à Mulhouse & celui-ci qui est toujours notre représentant à Berlin serait mis à côté de l’évêque. attendons

Mme Oscar Scheurer[18] est toujours à Paris auprès de l’un de ses fils qui a la rougeole, mais ne va pas mal, il est à l’école Monge depuis la rentrée, tandis que son frère est encore ici pour un an ou deux. Le sénateur Scheurer[19] est ici aussi, mais en garçon & pour quelques jours seulement.

Il y a longtemps que je n’ai plus de nouvelles des Zaepffel[20], je crains fort que ma sœur ne soit malade, car il y a assez longtemps que j’ai écrit & n’ai pas de lettres.

{{[21]}}

Tu vois que je suis au bal avec vous, si j’étais plus artiste sans doute je me ferais mieux comprendre.

Thérèse[22] est en grande jubilation son frère vient de tirer à la conscription en France & a tiré un excellent n° gagnant, il ne peut naturellement plus rentrer en Alsace, mais il trouvera du travail pour son entretien.
Ma bonne se fait maintenant toujours aider par la petite Emilie Sussenthaller surtout pour les raccommodages pour nous tous. Il y a 4 jours une assez grosse lessive qui est presque entièrement dans les armoires. Je suis toujours très content d’elle, la maison s’entretient bien & sans bruit & sans que j’aie jamais à faire une observation. Mon Michel[23] se rend utile où il peut, mais je ne veux pas l’avoir souvent dans la maison & seulement pour les travaux que les femmes ne peuvent pas faire.

Je t’écris du petit salon, il est 10; je suis tout seul (samedi) mes deux compagnons[24] sont à Mulhouse. Je n’avais pas grande envie de travailler & c’est pour me donner une bonne petite récréation que je t’écris. Si seulement j’avais plus de nouvelles à te raconter, mais du jour au lendemain j’oublie régulièrement ce que MessieursJaeglé[25] & Oncle[26] se racontent au bureau.

Mon jardinier[27] a encore gardé la chambre plusieurs jours cette semaine, il est réellement malheureux qu’il soit si faible de poitrine, car s’il n’est pas travailleur il est bien tranquille.

Il paraît qu’il y avait encore pas mal de neige dans les montagnes ; mais il fait si doux depuis quelques jours, il pleut assez souvent ce qui fait fondre ce pauvre petit manteau blanc & nous donne des Eaux assez grosses dans la rivière. Les gazons du jardin sont d’un beau vert comme en Mai les bourgeons des arbres poussent comme si nous ne devions plus avoir de froid ; il ne nous manque plus que les cigognes pour se croire au printemps. Vous avez le même temps & cependant l’on m’assure qu’il y a toujours pas mal de malades.

Les petites Zeller d’Oberbruck[28] sont en deuil d’un oncle, il vient de mourir à Pfastatt M. Haeffely[29] qui distribue assez follement ses 4 millions par testament. C’est un évènement dont je suis sûr bien des personnes parlent.

La fabrique est assez occupée, même un peu trop pour le nombre d’ouvriers que nous avons encore car l’on veille presque tous les soirs, ce qui ne m’est jamais agréable parce que le travail est mauvais & mal surveillé. Cependant tout le monde se plaint beaucoup, peu d’usines travaillent en plein.

J’ai depuis 15 jours 20 francs pour chacune de vous deux, de bonne-Maman, que j’ai dû accepter bon gré mal g. C’est à l’occasion du Nouvel an que ce petit cadeau vous revient, à vous de m’en faire souvenir lorsque je serai auprès de vous.

Voilà ma lampe qui baisse, j’ai oublié de la remonter. Bonsoir à demain la fin.

Il est bien tard pour la poste, que je me dépêche ! c’est toujours ainsi.

Jeudi dernier l’on est venu prévenir les chasseurs que 5 sangliers viennent de passer dans le village poursuivis par femmes & enfants, un chasseur plus diligent que les autres, mieux doué à la course, parvient à en blesser un, qui toutefois continue sa course vers l’Oxenfeld. Grande rumeur, dans la population comme tu penses.
Mais hélas une heure après arrive l’abbé Schnoll de la ferme de l’Oxenfeld qui vient demander des dommages pour l’un de ses Cochons que l’on a blessé & qu’il est forcé d’abattre. Grande confusion pour le pauvre chasseur cabaretier du village. Heureusement que nous sommes près du Carnaval & ce fait peut bien en faire partie.

tu voudras bien embrasser Oncle & tante[30], deux bons becs à Emilie[31], qu’elle te rendra pour moi.
Il est entendu que je vous vois danser ce soir & demain soir, ce sera [le cas] de se reposer pendant carême ;
ton père qui t’aime
ChsMff

Ce matin tout le village a été forcé de venir dans la cour chercher de l’Eau de la source, c’était une vraie procession, la conduite Kestner n’en fournissant plus & la rivière est café au lait par suite de pluies. Il est fâcheux que je ne puisse pas donner partie de mon Eau au village ; mais ce serait un travail assez coûteux, & j’ai reculé jusqu’à présent.

J’espère que je te donne de la quantité de ma prose si la qualité n’y est pas.


Notes

  1. Louis Daniel Constant Duméril.
  2. Marie et Hélène Berger.
  3. La Concordia, société chorale de Mulhouse.
  4. Alice Gros, épouse James Gros, et ses quatre filles : Lucile, Blanche, Suzanne et Clémentine Gros.
  5. Joséphine André et son époux Louis Berger.
  6. Georges Heuchel.
  7. Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
  8. Marie Stackler et Léon Duméril.
  9. Joséphine Fillat, épouse d’Étienne Miquey.
  10. MmeStackler et sa fille Marie.
  11. Henri Stackler.
  12. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  13. Louis Daniel Constant Duméril.
  14. Le futur mariage de Léon Duméril avec Marie Stackler.
  15. André Raess, évêque de Strasbourg de 1842 à 1887.
  16. Louis Oesterlé, curé de Vieux-Thann de 1875 à 1881.
  17. François Xavier Hun, curé de Thann de 1875 à 1890.
  18. Catherine North, épouse d'Oscar Scheurer, et mère de Jean et Ferdinand Auguste Scheurer.
  19. Auguste Scheurer-Kestner.
  20. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles, et son époux Edgar Zaepffel.
  21. Croquis représentant « L de Q & Melle E.M. au bal » Léonce de Quatrefages dansant avec Emilie Mertzdorff.
  22. Thérèse Neeff, bonne chez Charles Mertzdorff.
  23. M. Michel, engagé comme cocher.
  24. Léon Duméril et Georges Duméril.
  25. Frédéric Eugène Jaeglé.
  26. Georges Heuchel.
  27. Édouard Canus.
  28. Le lien entre les familles Haeffely et Zeller n'a pu être établi. Il y a plusieurs familles Zeller à Oberbruck. Une seule ne compte que des filles (la lettre ne mentionne pas de neveu), celle de Charles Zeller et Céleste Rébillet : Hélène (1860-1929), Marcelle (1861-1945) et Gabrielle (1870-1910) Zeller.
  29. Henri Haeffely.
  30. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  31. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 10 et dimanche 11 février 1877. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_10_et_dimanche_11_f%C3%A9vrier_1877&oldid=60341 (accédée le 21 novembre 2024).

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