Alsace : Les propriétés et entreprises de Charles Mertzdorff et de ses successeurs

De Une correspondance familiale


Dans les lettres familiales, il est fait allusion, parfois, à la marche des affaires de Charles Mertzdorff. D’autre part, certaines de ses propriétés sont mentionnées : l’établissement de Morschwiller que gère Louis Daniel Constant Duméril, beau-père de Charles Mertzdorff, ou bien « la ferme » et « le moulin », où l’on va en promenade.
A partir de 1877 les anciens établissements Mertzdorff évoluent et des sociétés successives assurent la production (voir les extraits des statuts de la Société en commandite Duméril, Jaeglé et Cie ainsi que la copie de l’extrait des statuts envoyé à Guy de Place le 17 décembre 1917). Les lettres de Guy de Place permettent de suivre la situation pendant la guerre de 1914-1918.

En 1813, Frédéric Mertzdorff et son frère Pierre (le père de Charles) venus de Magdebourg, s’installent en Alsace. Après son mariage avec Marie Anne Heuchel en 1817, Pierre se fixe à Vieux-Thann et exploite avec son frère un tissage de coton.

De 1818 à 1822, l’entreprise Mertzdorff connaît une période de prospérité. La propriété de Vieux-Thann s’agrandit par l’achat d’un pré le long de la Thur à François Kueneman et à Antoine Schilling. Outre leur usine du Vieux-Thann, les industriels exploitent des tissages à Wittelsheim, Burnhaupt-le-haut, Wattwiller, Leimbach, Remiremont, Plancher-les-mines. Ils font aussi travailler les particuliers des villages environnants ou des Vosges, selon les habitudes et les traditions de leurs confrères. Au total, les frères Mertzdorff sont à la tête de 349 métiers à tisser, dont 55 à Vieux-Thann. Différentes maisons où sont entreposés les tissus s’occupent de la vente à la commission. Ces maisons sont au nombre de quatre à Mulhouse, une à Remiremont, une à Thann (Liebach, Scherer et Cie), une à Saint-Amarin (Fischbauer), cinq à Paris (Bourgeois et Cie, Vautier, Rousseau fils, Hidelhoffer, et Deharvang).

Vers 1830, les frères Mertzdorff, tout en conservant la filature et le tissage, installent dans leur usine les machines nécessaires au blanchiment et à l’apprêt du tissu. Le 20 mars 1833, ils s’associent à Pierre Thierry de Mulhouse pour fonder une société en nom collectif pour la durée de six ans, sous le nom de « Thierry et Cie ». Le capital de la Société est de 36 000 F, la part de MM. Mertzdorff est de 24 000, celle de M. Thierry de 12 000. Les frères Mertzdorff acquièrent aussi divers terrains nécessaires au bon développement de l’établissement.

En 1835, cette société s’adjoint pour la vente des tissus Pierre Constantin Barbé, ancien fabricant de toiles peintes, demeurant à Paris. Celui-ci est chargé de prospecter le marché de la mode et de commercialiser les produits ; il réside cinq à six mois par an en Alsace.

La situation économique devenant difficile, Frédéric Mertzdorff se retire en 1836, en laissant ses fonds et sa part aux bénéfices comme aux pertes à son frère Pierre. Frédéric se fixe alors à Paris. Le 1er janvier 1837, quatre ans après la fondation de la Société Thierry et Cie, le bilan accuse un déficit de 162 000 F. Aussi, le 11 mars, la Société est dissoute. Pierre Mertzdorff se charge de la liquidation et en prend les risques. Il conclut un bail avec Constantin Barbé le 18 juin. Barbé sera seul gérant et Mertzdorff commanditaire.

L’inauguration d’une ligne de chemin de fer entre Thann et Mulhouse, la première d’Alsace, a lieu le 1er septembre 1839. Quelques années plus tard, Strasbourg est relié à Bâle. Le développement de liaisons rapides favorise les activités des industriels.

La Statistique de l’Industrie pour le Haut-Rhin, établie en 1841, donne le bilan suivant pour l’entreprise : le blanchissage et l’apprêt de toiles de coton à façon emploient 44 hommes payés 1, 50 F par jour et 30 femmes payées 1 F par jour. La filature de coton emploie 15 hommes payés 2 F, 10 femmes payées 1 F et 10 enfants payés 0, 50 F. La fabrique des tissus imprimés Barbé et Cie emploie 150 hommes payés 2, 25 F, 100 femmes payées 1, 25 F et 100 enfants payés 0, 50 F.

Suite à la crise de 1838, les affaires de la fabrique d’indienne de Barbé et Cie se dégradent et celui-ci doit cesser son activité en 1842. Pierre Mertzdorff s’engage personnellement et garantit à 50 % les pertes de la fabrique. Il prépare une convention avec Barbé mais ne peut la signer car il meurt brutalement le 13 mars 1843, à 54 ans, d’une fièvre typhoïde. C’est son fils Charles qui la ratifie le 8 avril et qui prend la lourde charge du rétablissement de la société.

En février 1856, Charles Mertzdorff, considérant que depuis 1843 l’usine a été profondément transformée rachète pour 134 000 F les différents immeubles de la fabrique. La Société Mertzdorff et Frères est alors dissoute et Charles devient sous la raison « Charles Mertzdorff » le seul chef de son établissement. Il y intéresse son oncle Georges Heuchel auquel il donne la procuration à partir du 1er janvier 1857. Il mène la Société sous sa seule responsabilité jusqu’en 1877 et assure à l’usine de Vieux-Thann un développement important, modifiant considérablement les plans et les machines (voir les lettres du voyage à Manchester en 1860). En 1858 l’usine de Charles Mertzdoff emploie 540 ouvriers et ouvrières.Un accident particulièrement dramatique marque ces transformations : l’explosion d’un appareil à vapeur le 14 août 1863.

Le Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse publie en septembre 1865 un rapport sur cet accident survenu dans l’usine de Vieux-Thann. Charles Mertzdorff avait fait venir d’Angleterre trois appareils extracteurs des couleurs de bois de teinture, pour sa blanchisserie. Conformément au règlement, la résistance à la pression des appareils est testée le 22 juin 1862 ; les pièces résistent à l’épreuve. L'atelier fonctionne pendant une année environ, sous la direction du chimiste Robert Hennon, venu de Manchester, engagé comme contremaître, et conduit par M. Stern, ouvrier spécialement chargé de ce travail. En juin 1863, des fuites sont détectées et réparées par un chaudronnier de Mulhouse, M. Legay. Le vendredi 14 août 1863, nouveaux incidents. Une discussion s’engage entre l’anglais Hennon et l’ingénieur M. Legay (du même nom que le chaudronnier de Mulhouse), le premier voulant poursuivre les activités de l’atelier et le second faire réviser l’appareil. C’est à ce moment que l’explosion se produit, l’appareil projeté en l’air emportant la toiture. Les trois personnes présentes, Hennon, Legay et Stern sont gravement brûlées par la vapeur. Un rapport de police (cité par Ludovic Damas Froissart, Un industriel alsacien : Charles Mertzdorff, p. 100) précise le prénom de M. Legay (Eustache) et sa profession (dessinateur), ainsi que celle de M. Stern (manœuvre). Hennon et Stern sont transportés à l’hôpital de Thann, et Legay dans une chambre de l'établissement. Charles Mertzdorff, absent au moment de l'accident, est rappelé d'Allemagne par dépêche télégraphique et revient dès le lendemain. Hennon décède le 26 août, Legay et Stern se rétablissent lentement l’un et l’autre. L’accident est déclaré dû 1° à la forme vicieuse de l'appareil ; 2° à la qualité défectueuse du métal ; 3° à l’imprudence de M. Hennon.

Entre 1848 et 1868, période sans inflation, Charles Mertzdorff multiplie par cinq son chiffre d’affaires. La participation à l’Exposition de 1867 contribue à la diffusion des produits et à la notoriété de la Société qui ne cesse de s’étendre.

Charles Mertzdorff achète en 1860 le moulin de l’Enchenberg, permettant l’extension du blanchiment et la disposition d’une nouvelle chute d’eau. Celle-ci est importante : 3, 90 m, alors que l’usine n’avait en tout que 2, 40 m. Au terme d’un procès-verbal d’adjudication, Charles Mertzdorff, pour 85 000 F, devient propriétaire du moulin de l’Enchenberg, sis sur le chemin de Cernay au Vieux-Thann. Cette propriété comprend le moulin proprement dit, un canal, du gravier, des prés, terres, vignes, jardin, sol, maison et foulon. Au printemps 1861, cette extension de l’entreprise de Charles Mertzdorff est confiée à ses beaux-parents Louis Daniel Constant et Félicité Duméril.

Charles Mertzdorff achète ensuite, le 18 avril 1862, une usine et une partie de ses dépendances à Niedermorschwiller. Niedermorschwiller, qui devient Morschwiller-le-Bas en 1924, est une commune de la banlieue de Mulhouse (département du Haut-Rhin), distante d’une quinzaine de kilomètres de Vieux-Thann. L’usine, dite « blanchisserie de Mulhouse » est rachetée à la société commerciale formée par les manufacturiers Frédéric Schlumberger et André Bernard Victor de Lamare-Thouron, au prix de 275 000 F. Cette blanchisserie se compose de bâtiments construits à des époques successives.

Parallèlement à cette expansion industrielle, Charles Mertzdorff hérite en 1851 de son oncle le docteur Toussaint Heuchel, frère de Marie Anne, une ferme dans la plaine de l’Ochsenfeld, à Cernay, appelée le Lutzelhof ou parfois « la ferme du grand Bon Dieu », en raison d’un grand crucifix qui y est placé[1]. Avec maison d’habitation et dépendances, la propriété couvre 92 hectares. Cette ferme est vendue en 1868 à Alphonse Zurcher ; elle est ensuite exploitée par Amélie Zurcher et son frère Albert.

Par ailleurs, Charles Mertzdorff a des intérêts dans les bains de Wattwiller.

Après la guerre de 1870, Charles Mertzdorff choisit de rester en Alsace, mais souhaite alléger ses charges d’industriel. Il s’associe avec Frédéric Seillière (1838-1889) et Charles Vincent (1817-1899), dont l’entreprise (filature, tissage, blanchisserie) est à Senones, dans les Vosges.

La Société Mertzdorff et Compagnie, créée en 1877 est modifiée en 1890 : elle devient « Duméril, Jaeglé et Compagnie » (D.J.C. dans les lettres de Guy de Place), gérée par Léon Duméril et Eugène Jaeglé. En 1894 Léon Duméril meurt et il est remplacé par son cousin Georges Duméril, revenu ses expériences agricoles en Normandie. En 1904 Eugène Jaeglé se retire ; sont nommés gérants son fils Georges Jaeglé et Guy de Place, époux d’Hélène Duméril (la fille de Léon Duméril). On pourra consulter un extrait des statuts de la nouvelle société dans les « papiers et documents divers » (Copie de l’extrait des Statuts de la Société DJC – 17 décembre 1917).

En 1914 et 1915 une partie de l’usine est détruite. Les lettres que Guy de Place adresse à son chargé d’affaires M. Meng permettent de suivre la gestion de cette situation difficile et la préparation de l’après-guerre. Dès le 1er juillet 1919 la production reprend.

L’affaire prend le nom de « Blanchisserie de Vieux-Thann », puis, en 1920 de « Société des Blanchiments d’Alsace » en s’associant avec la maison Schaeffer et Compagnie, de Pfastatt-le-Château, et Gros - Roman et Compagnie, de Wesserling ; cette société regroupe les établissements de Vieux-Thann, de la Mer Rouge à Dornach, du Breuil à Saint-Amarin.

[D’après Un industriel Alsacien : Charles Mertzdorff, Ludovic Froissart, 1983]

Notes

  1. Le « Grand Bon Dieu » ornait la chapelle de Birlingen. Lors de l’érection d’un nouvel autel, dans les années 1820, la statue est reléguée au grenier et cédée en 1838 au docteur Toussaint Heuchel par le curé Ulmer (d’après J. Depierre, Cernay, son passé, son présent).


Pour citer cette page

« Alsace : Les propriétés et entreprises de Charles Mertzdorff et de ses successeurs », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Alsace_:_Les_propri%C3%A9t%C3%A9s_et_entreprises_de_Charles_Mertzdorff_et_de_ses_successeurs&oldid=54497 (accédée le 23 novembre 2024).

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