Mercredi 17 août 1870 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris)


original de la lettre 1870-08-17B page1 (avec mentions ultérieures).jpg original de la lettre 1870-08-17B page2.jpg original de la lettre 1870-08-17B page3.jpg original de la lettre 1870-08-17B page4.jpg


CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX-THANN

Haut-Rhin[1]

16 17 août

Ma chère Nie  Depuis quelques jours je reçois tes lettres très régulièrement, mais non les Journaux qui sont retenus à Vesoul. Pourquoi ?

M. Jaeglé a été en voiture à Bâle quittant Lundi, il est rentré hier au soir ; rapportant 30 mille F ce qui fait que j'ai maintenant quelques paies assurées.

Hier est arrivé une dépêche non officielle qui nous donne un commencement de succès. Attendons sa confirmation. L'on nous assure que la réserve allemande n'est pas encore entrée en France ! C'est un peuple qui se rue sur un autre. Les invasions [des] anciens Germains.

Pour avoir quelques nouvelles je me fais adresser le journal de Bâle qui lui est plus allemand que français. Cependant l'attitude réellement très énergique de la Suisse a beaucoup gêné l'Allemagne. c'est probablement à elle que nous devons de ne pas être envahi de nos côtés. Aujourd'hui un Suisse ne peut passer en Allemagne sans être insulté & généralement à Bâle, le peuple & le monde des affaires est plutôt français qu'allemand. D'après Jaeglé qui a vu pas mal de monde, ayant passé toute sa journée à Bâle.

D'après dépêche allemande, Roi à Reine, il annonce un avantage & dit se porter sur le champ de bataille. Voilà bien deux nouvelles, laquelle croire ; D'après les quelques paroles de Bazaine à la troupe, le départ de Napoléon & son fils[2], son adieu à Metz, il est à craindre que nos troupes se retirent à Châlons. Quelle terrible leçon pour la France. D'après un jeune homme, qui, rentré à Mulhouse après avoir passé ici quelques jours sur le champ de bataille de Wissembourg & Woerth Les allemands ont perdu bien plus de monde que nous. Ce jeune homme a été piqué, il est rentré main & bras enflés. Impossible de donner une description de ce champ de carnage, ce sont les progrès du 19e siècle.

D'ici rien. Il y a un beau corps d'armée à Belfort, mais l'on assure que pas un soldat ne se trouve de l'autre côté du Rhin. Ici on laisse les Allemands tranquilles, j'ai parlé à Kreisler qui n'a pas été inquiété, je lui ai bien recommandé de ne pas écrire. Le fait est que le prussien paraît être bien mieux renseigné dans notre propre pays que nous-mêmes. Cela n'est pas étonnant lorsqu'on voit l'ignorance de nos officiers & leur peu de souci de savoir.

Nous travaillons aujourd'hui & peut-être ces 3 jours qui suivent pour finir ce qui est là. Tout naturellement nous ne recevons rien. Hier Koechlin est venu m'emprunter 4 voitures de houille. Il n'y a plus ni coton ni combustible.

Toutes les maisons de Mulhouse expédient leurs toiles & objets de valeur à Bâle. Quant à nous, nous sommes encombrés de marchandises ne pouvant expédier. Nous recevons force lettres de gens très inquiets & avec raison. Mais qu'y faire.

Que d'années de travail pour réparer ce que quelques jours ont détruit.

Le village est très calme, quoique Dimanche & Lundi il y ait eu beaucoup de gens ivres. J'ai réuni mon nouveau conseil municipal pour lui annoncer le Don de 2 000 F de Mme Kestner[3] & l'organisation de la garde nationale & trouver des engagés volontaires francs-tireurs etc. Nouvelle réunion pour le même objet Jeudi.

Pour ce qui est de ma personne, je vais bien & me soigne comme je peux. Un peu fatigué, absolument rien pour mes affaires, je fais ce que je peux pour m'arracher à mes préoccupations, mais n'y réussis pas souvent.

J'ai engagé & encouragé l'oncle[4] à t'écrire.

Emilie[5] me dit qu'elle t'a écrit mais adressé sa lettre à Launay. Elle va réparer & t'écrire un de ces jours. Ils sont aussi très effrayés des conséquences de cette guerre.

Si Julien[6] m'a écrit, je n'ai pas reçu sa lettre ; en lui écrivant tu voudras bien lui serrer la main du plus profond de ton cœur. Que Dieu le protège.

Faut-il donc un million de tombes pour creuser plus profond encore la haine entre 2 peuples qui ne devraient avoir que de l'estime l'un pour l'autre, puisque l'amitié est impossible.

Il y a toujours quelques départs de volontaires. Le monde ne manquerait pas. Mais la tête, mais la tête ?!

Je vais faire faire travailler au fusil les jeunes conscrits de l'année passée & cette année ; tâchant que les industriels les paient le temps qu'ils y mettent. La garde mobile de Belfort n'est pas encore entièrement équipée.

Bon-papa[7] a été ici hier. Léon[8] n'insiste pas du tout pour se faire remplacer ; mais à moins de fermer Morschwiller & ses 250 ouvriers il faut qu'il reste. Je pense qu'il s'occupera sérieusement d'un remplaçant & qu'il ira demain à Colmar. L'on demande 6 000 F pour cela. Il le faut ! M. Gibert voulait se marier vite & vite avant de prendre le fusil, il se fait remplacer puisque c'est possible. Ces dames Stoecklin & Galland sont à Neufchâtel depuis quelques jours jusqu'à la fin de la guerre. Il y a fort peu de Dames & enfants dans ces environs. Presque tout le monde est en Suisse. Ne crois pas que tu sois la seule absente.

Bon-papa me dit que sa femme[9] a bon courage, elle voit beaucoup la mère Tachard[10]. Lui ici je ne t'ai pas écrit.

Je viens de recevoir lettre d'Edgar[11]. Léon n'est pas appelé, les instructions sont dit-il positives. J'ai envoyé immédiatement Stern[12] à Morschwiller.

Demain j'enverrai un exprès à Colmar pour quelques pauvres jeunes gens mariés que je voudrais retenir. Par contre je vais faire activer & travailler les jeunes dont on ne sait pas tirer parti. Il y en a 200 mille à prendre. 2 classes.

Toujours pas de dépêches ! Toujours quantité de bruits & pas de nouvelles certaines.

Les parents de Mme Oscar Scheurer[13] sont occupés par les Prussiens, il ne se commet aucun vandalisme, vol etc. mais les réquisitions sont tellement nombreuses, réitérées & fortes, que tout le pays se trouve ruiné. & sera lui-même forcé de quitter pour trouver sa nourriture.

MmeBuffet[14] doit aussi être inquiète pour sa famille. Je ne sais rien des Vosges ; si ce n'est que les fabriques se ferment faute de matières premières.

Thann pas plus que moi avons nos lits en fer, les sommiers sont là, mais lits manquent & sommes sans nouvelles. Il paraît que la demande a été trop forte, ou le chemin de fer, qui ne prend rien ; bref, rien ne peut se faire sans cela. l'atelier de couture continue, le [ ] avec. Mais comme tu dis les blessés sont expédiés en Allemagne & l'intérieur ; Plus tard l'on peut un peu les disperser. 3 jours sans un seul Journal !

Tu voudras bien embrasser Enfants[15] & tous ceux qui t'entourent. tout à toi

CharlesMertzdorff

Tu me demandes pour te retirer à Launay, je ne sais trop que conseiller; je ne crains pas les Allemands à Paris ; mais je crains Napoléon impossible, le peuple furieux à la recherche d'un autre Néant. Voilà ma crainte. Attendons encore devant Châlons, si l'on [ ]


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Napoléon III et le prince impérial Louis Napoléon Bonaparte.
  3. Marguerite Rigau, veuve de Charles Kestner.
  4. Georges Heuchel.
  5. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  6. Julien Desnoyers.
  7. Louis Daniel Constant Duméril.
  8. Léon Duméril.
  9. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  10. Marie Koechlin, veuve de Pierre Tachard.
  11. Edgar Zaepffel.
  12. Stern, domestique chez les Mertzdorff.
  13. Catherine North, épouse d’Oscar Scheurer, fille de Jean North et Eve Scheer.
  14. Marie Pauline Louise Target, épouse de Louis Joseph Buffet.
  15. Marie et Emilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 17 août 1870 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_17_ao%C3%BBt_1870_(B)&oldid=43252 (accédée le 22 décembre 2024).

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