Lundi 5 et mardi 6 juin 1876

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1876-06-05 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-06-05 pages 2-3.jpg


Lundi Soir 5 juin 76

Merci, ma grosse Marie, pour ta bonne lettre, & remercie ta sœur[1] chérie pour celle que je viens de lire tantôt. Deux bonnes missives qui viennent me dire que l’on est heureuses à Launay ce que je crois facilement. En effet il y a bien des souvenirs là-bas comme ici. Je vis avec ceux qui me sont laissés ici & n’aurais pas aimé aller rechercher ceux de là-bas.

Je pensais vous écrire encore une fois à Launay pendant votre séjour, mais cela ne m’a pas été possible. Le jour que vous quittiez Paris pour le Perche, j’allais à Mulhouse où j’avais rendez-vous avec M. Girault[2], oncle des Paul[3], pour prendre M. Laroze qui désirait passer quelques jours avec moi à Vieux-Thann. Mais le pauvre malade est a si peu de tête qu’il est imprudent de le laisser seul & c’est lui qui a pris tout mon temps. Ce que le malheureux s’est égaré dans la maison est imaginable, toujours à la recherche de sa chambre. à toutes les heures du jour & de la nuit.
Un jour à 4h du matin Georges D.[4] l’entend dans les chambres de Mme Zaepffel[5] au-dessus de lui. Se lève, le conduit jusqu’à sa chambre où il ne se reconnait plus & prétend que ce n’est pas là qu’il reste, force est de le conduire par toute la maison pour lui prouver que c’est bien là qu’il doit rester. Le contredire c’est le mettre en colère, & c’est la patience qu’il faut user & abuser.
Dix fois Thérèse[6] l’a cherché sur la terrasse pour le reconduire à sa chambre, où il demandait aller. Tu comprends quelle fatigue pour toute la maison & pour moi-même. Vendredi j’avais encore la visite de M. Vincent[7] qui cause beaucoup & vers la fin du repas est-ce que M. Laroze ne lui dit pas qu’il cause bien, mais que lui trouve qu’il cause beaucoup trop & ferait mieux de se taire. Comprends-tu mon embarras & celui de nous tous.
Je n’ai pas pu le reprendre & dire que M. Laroze était malade, qu’il ne fallait pas faire attention à son dire. Aussi avons eu un moment pénible, jusqu’à ce qu’après le repas j’ai pu excuser le pauvre malade.
Enfin Samedi il m’a dit qu’il désirait rentrer à Ribauvillé, tu comprends que je n’ai pas cherché à le retenir & comme il était de toute impossibilité de le laisser aller seul j’ai dû sacrifier mon Dimanche (d’hier) & l’accompagner auprès de l’Oncle Girault où j’ai passé ma journée. Nous avons quitté la maison dès 6h matin pour ne rentrer que par le dernier à 10h soir. Pauvre femme que Pauline Laroze & je me demande ce qu’elle va faire, car enfin ce malade ne peut plus rester bien longtemps à Ribauvillé & cependant il n’est pas possible de le mettre dans une maison de santé. & moins encore ne peut-elle le garder à la maison car il a des moments où il n’est pas commode à manier. Il a des moments où il n’a souvenir de rien, d’autres où il se rend parfaitement compte de sa position.
Tu vois que pendant que vous aviez raison de profiter de votre séjour à Launay, je ne m’amusais pas avec mon pauvre hôte. C’est une bien lourde charge pour ce M. Girault qui n’est plus jeune, car il a 75 ans, & cependant il s’y prête de bien bonne grâce.

Je viens d’avoir la visite de MessieursBerger d’ici & de Lauwe[8] qui sont venus m’annoncer le mariage de M. Jules André.
Ce jeune troubadour est auprès de sa Mamsel[9] à Gisors. & Madame Berger Louis[10] est à Paris composer la corbeille de noce. L’heureuse fiancée est la sœur de Madame Emile Stehelin[11] qui est établie à Gisors, les parents[12] habitent Marseille mais la Demoislle se trouve avec sa sœur où auront lieu les noces le 27 de ce mois.
C’est comme tu vois au triple galop que la chose se conduit. Mme Berger doit rentrer demain, mais l’heureux Jules restera auprès de sa Donzelle qu’on dit très bien comme instruction & éducation. quelle chute ! & que dira Minery ?
Voilà la grande nouvelle du pays, personne ne veut y croire & les commentaires suivent leurs cours comme tu penses.

En rentrant du Moulin avec Laroze Samedi j’ai rencontré vos deux amies Marie & Hélène[13] qui sortaient de l’église, elles m’ont dit que leur frère Charles était aussi souffrant, comme l’avait été Hélène, mais ce n’est pas grave.

Il paraît que Louis[14] est ici en ce moment. Les Dames Scheurer K.[15] avec le sénateur[16] sont ici en ce moment, c’est l’Oncle Georges[17] qui m’a porté cette nouvelle, ayant rencontré ces Dames couchées dans leur voiture & M. le Sénateur fumant son brûle-gueule au Casino. ce qu’il ne veut pas admettre d’un sénateur. Ce bon oncle oublie que nous sortons du suffrage universel.

Je m’aperçois que je deviens mauvaise langue & je m’arrête un peu tard. ma lettre vous trouvera à votre retour pour vous dire que je vous aime bien & pense souvent à mes grandes chéries que je verrai bientôt. tout à vous.
ChsMff     (à demain la fin)

les Henriet[18] sont à Wattwiller. Vogt[19] les a conduits Samedi dernier, mais pour ces Demoislles[20] elles préfèrent la ville. Mme Berger n’ira pas la mer, l’on parle de Gérardmer. Mme Deguerre[21] rentre elle est en Savoie en ce moment.

La mère de Thérèse[22] ne va pas, je ne sais trop si elle se remettra & si elle devait disparaître ma bonne[23] sera très probablement forcée de rentrer chez elle ; ce qui serait bien contrariant pour moi. C’est pour le coup qu’il me faudra une intendante & comment faire ? car je ne saurai faire la ménagère !

Mardi. temps très chaud, très sec, l’on commence à faucher, ce qui est une assez longue besogne chez nous comme tu sais. Rien de particulier du reste. Embrasse Oncle tante[24] & sœur.


Notes

  1. Emilie Mertzdorff.
  2. Léon Girault.
  3. Paul Nicolas et son épouse Stéphanie Duval, beaux-parents de Jean François Laroze.
  4. Georges Duméril.
  5. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel et sœur de Charles Mertzdorff.
  6. Thérèse Neeff, employée par Charles Mertzdorff.
  7. Charles Vincent.
  8. Louis Berger et son frère Léonce Berger.
  9. Mademoiselle Buisson.
  10. Joséphine André, épouse de Louis Berger.
  11. Marie Thérèse Buisson, épouse d’Emile Stehelin.
  12. Jean Amboise Buisson et Clothilde Sidonie Caret.
  13. Marie et Hélène Berger.
  14. Louis Jules Berger.
  15. Céline Kestner, épouse d’Auguste Scheurer et ses filles Jeanne et Suzanne Scheurer-Kestner.
  16. Auguste Scheurer-Kestner.
  17. Georges Heuchel.
  18. Louis Alexandre Henriet et sa famille.
  19. Ignace Vogt, cocher de Charles Mertzdorff.
  20. Gabrielle et Jeanne Henriet.
  21. Marie André, épouse d’Antoine Albert Deguerre.
  22. Joséphine Fricker, épouse de François Neeff.
  23. Thérèse Neeff.
  24. Alphonse Milne-Edwards et son  épouse Aglaé Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 5 et mardi 6 juin 1876. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_5_et_mardi_6_juin_1876&oldid=42819 (accédée le 21 novembre 2024).

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