Jeudi 7 mars 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

original de la lettre 1872-03-07 pages 1-4.jpg original de la lettre 1872-03-07 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann[1]

7 Mars 1872

6h ½

Ma chère petite Gla,

Je ne reçois plus de lettre de personne de vous ; peut-être en dites-vous autant de votre côté, aussi je ne veux pas laisser se terminer mon Jeudi sans venir un peu causer avec vous. Tu connais ma vie, mes occupations je sais aussi combien ton temps est utilement et activement employé aussi nous ne nous en voulons pas, mais nous regrettons de ne pas recevoir plus souvent de bons bavardages. Depuis mon retour je veux écrire à Louise[2] et je vais toujours à ce qui me semble le plus utile, et je laisse ainsi des correspondances qui peuvent me faire accuser d'oubli, dis bien à tes belles-sœurs[3] qu'il n'en est rien, que je les aime beaucoup et pense bien à elles.

Maman[4] doit être à Montmorency assez souvent, le temps est si extraordinairement beau que pour ses arrangements c'est bon. Je serais bien contente pour cette bonne mère qu'elle arrivât à louer (même peu avantageusement) sa grande maison, après toute la peine qu'elle a prise.

Aujourd'hui j'ai emmené mes fillettes[5] faire une bonne promenade dans la petite vallée, nous avons grimpé une montagne, sommes redescendues, puis remontées, enfin si bien que nous sommes rentrées en nage ; les oiseaux abondent dans la petite vallée que tu connais et qui est toujours si jolie, les promenades sur les routes ennuient et en montagne il y a toujours quelques aventures pour distraire ; on parle souvent de toi, on se rappelle partout où on a passé avec ceux qu'on aime. Mes fillettes continuent à ne voir absolument personne et jamais elles n'ont été plus gaies, plus rieuses et plus animées pour leur travail, l'arrivée des lettres du Cours[6] est un vrai bonheur. Encore des 1ères et des secondes aujourd'hui. Il est près de 11h les chéries dorment, Charles[7] est encore avec M. Vincent[8] (un gérant de la maison Seillière) à étudier des plans dans son cabinet, je viens de copier les devoirs et renseignements pour le cours d'Emilie de demain matin, et je voudrais pouvoir causer encore un moment avec toi avant d'aller dormir.

Je ne te parle pas de mon estomac, c'est bon signe, il va tout à fait bien, l'appétit est revenu avec toutes ses exigences. Et toi comment es-tu ? Tu te fatigues toujours tant que tu peux. Continuez-vous vos quêtes pour la souscription ?

Quel scandale que ce procès de M. Janvier de la Motte[9] et quelle honte de le voir finir ainsi ! Dans quel embarras est toujours notre pauvre gouvernement. Les hommes manquent et on dirait que ceux qui sont au pouvoir cherchent à se rendre le au plus tôt impossibles.

Comme je l'écrivais à maman l'affaire[10] en question est à peu près décidée, nous n'en avons encore parlé, laissant aux imaginations le champ libre, aussi on s'en donne : Un jour nous apprenons que nous partons, une autre fois, la fabrique ici est vendue, une autre fois c'est Morschwiller, enfin chacun fait ses commentaires sur ce que nous avons reçu 2 Messieurs[11] auxquels on a fait voir la fabrique.

Je crois que c’est cet arrangement est sage, il occupera Charles utilement tout en lui laissant par la suite de la liberté, Léon[12] dirigera la fabrique de Vieux-Thann, et M. Duméril[13] restera à Morschwiller où on fera du blanc d'impression. Tu vois que les choses paraissent aussi bien que possible pour notre faible entendement et notre ignorance des évènements à venir.

Je n'ai plus assez de boîtes pour distribuer aux bonnes ouvrières de l'ouvroir, j'allais en faire faire ici, mais Charles me dit qu'elles coûteront le double de ce que je les ai payées (3F00) je vais t'envoyer les mesures en te priant d'aller rue Neuve St Augustin, je crois, la même rue que notre marchande de fleurs à gauche en allant vers la Bourse, ou ailleurs. 6 boîtes me suffisent pour avant le 20 Avril, mais tu peux en faire faire 2 douzaines si tu les trouves à ce prix ou même à 50 ou 1 F plus cher, car elles étaient très bon marché.

Tu peux dire à maman que je compte aussi toujours sur elle pour m'acheter la pendule de M. le Curé[14], j'ai pensé que le modèle de St Pierre (comme il est à Rome) et qui existe chez le marchand où maman a fait faire mon bénitier, pourrait très bien convenir pour M. le Curé et ne nécessiterait pas une pendule si large que pour le sujet que nous avions regardé ensemble. Je voulais vous envoyer des fleurs, mais je n'ai pas d'occasion pour Belfort, l'envoi de maman doit être chez la cousine de Cécile[15] où il est en parfaite sûreté.

J'aurai encore quelques commissions à te donner avant la 1ère communion de Marie[16].

Ici dans la maison tout marche bien, je n'ai pas à me plaindre. L'oncle Georges[17] va mieux mais il est encore faible, les petits enfants meurent encore du croup[18]. Mlle Stoecklin[19] ne va pas bien

Une autre famille a aussi le malheur d'avoir deux filles prises de la poitrine sans antécédent dans la famille.

Vous ai-je dit qu'un M., venant pour affaire chez les André, avait été renversé en traversant le chemin de fer à l'arrivée à Thann et est avec une affreuse plaie à la cuisse, couché chez nos voisins, on espère qu'il n'en a pas pour trop longtemps, mais c'est grave.

Bonsoir ma Gla, je t'embrasse comme je t'aime bien fort fais-en autant à maman, papa[20],

Eugénie M.

Amitiés à Alphonse[21] et à Alfred[22].

Charles et les fillettes vous envoient leurs amitiés.

Petit Jean[23] n'est jamais oublié, dis-lui que ses amies ont trouvé bien amusante l'histoire de Rosette et qu'elles parlent souvent de lui et de Jeanne[24]. D'après la lettre de maman Alfred parait être revenu content de son voyage de Belgique, comment va-t-il ?


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  3. Louise Milne-Edwards-Pavet de Courteille et Cécile Louise Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  4. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  5. Marie et Emilie Mertzdorff.
  6. Le cours par correspondance des dames Boblet-Charrier.
  7. Charles Mertzdorff.
  8. Charles Vincent.
  9. Eugène Janvier de la Motte (1823-1884), ancien préfet de l’Eure sous l’Empire, condamné pour concussion. Les incidents de son procès en cour d'assises de la Seine-Inférieure (audiences du 26 février au 4 mars 1872) amènent la démission du ministre des Finances. Edgar Raoul-Duval dépose, comme témoin à décharge, dans ce procès.
  10. L’avenir de l’entreprise Mertzdorff.
  11. Charles Vincent et Frédéric Seillière.
  12. Léon Duméril.
  13. Louis Daniel Constant Duméril.
  14. François Xavier Hun.
  15. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  16. Marie Mertzdorff.
  17. Georges Heuchel.
  18. Le croup est une forme de diphtérie (Eugénie écrit : « grouppe »).
  19. Anne Stoecklin.
  20. Jules Desnoyers.
  21. Alphonse Milne-Edwards.
  22. Alfred Desnoyers.
  23. Jean Dumas.
  24. Jeanne Duval.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 7 mars 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_7_mars_1872&oldid=40159 (accédée le 22 décembre 2024).

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