Samedi 9 et dimanche 10 mars 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)

original de la lettre 1872-03-09 pages 1-4.jpg original de la lettre 1872-03-09 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann

9 Mars 72

6h

Chère bonne Mère,

Ton joli bénitier m'est arrivé aujourd'hui par la femme de Belfort[1] en parfait état, sans avoir été ouvert à la douane ; le voilà déjà placé à la tête de mon lit où il fait un très joli effet ; merci donc, chère maman, il me fait beaucoup de plaisir et orne très bien ma chambre ; ton but est donc atteint, car c'est une gâterie de luxe par le temps qui court et que je ne me serais pas donnée. La Vierge, le support, le petit bénitier sont bien proportionnés et de très bon goût et le métal est d'une jolie nuance.

Je viens de recevoir une bonne lettre d'Aglaé[2], elle m'a été bien agréable car il y avait bien longtemps que je ne savais plus rien de vous. Tu as eu un peu mal à la gorge, il ne faut pas en faire trop et savoir t'arrêter, le temps est tellement exceptionnellement beau, qu'avec les vêtements d'hiver, on a trop chaud, et qu'il est facile de se refroidir.

Ici nous allons tous bien ; plus les fillettes[3] travaillent meilleure mine elles ont, et cela déteint sur nous, car avec elles il faut bien laisser pour un moment les préoccupations et les tristesses ; et les souvenirs sont toujours pour rappeler toutes les douces et tendres attentions du cher oncle Julien[4], nous parlons souvent de lui à nous trois, mais toujours comme d'un ami qui n'a su que donner bonheur à ceux qui l'ont connu... et qu'on retrouvera. Son cher portrait semble toujours vous sourire.......

Dimanche 11h ½

6h Comme je prenais la plume au retour de la grand'messe, Léon[5] est arrivé ; puis après dîner nous sommes allés voir l'oncle Georges[6] qui, quoique allant bien mieux, souffre encore assez pour ne pas venir au bureau ; en rentrant Mlle Augusta[7] m'attendait pour me demander toutes sortes de renseignements sur le cours de Mmes Charrier-Boblet, afin de pouvoir diriger les enfants dont elle pourra encore s'occuper d'après la méthode de ces dames, pour les mettre à même de suivre les cours s'il y a moyen. La pauvre fille est bien triste, si on ne change pas d'avis chez les Berger, à l'automne, elle devra chercher une place. C'est une digne fille qu'on peut recommander.

Comme je vous le disais, tous les jeunes gens partent et on le comprend quand ils se passent des faits comme celui-là : La semaine dernière, les Prussiens ont fusillé un de leurs hommes pour insubordination et voici la chose. Un officier passe dans les rangs et ne trouvant pas les boutons assez brillants, il crache au nez ! du soldat ! qui riposte par un coup de poing et là-dessus l'exécution près de la Doller[8] dont je vous parle.

La souscription se continue encore à Mulhouse, elle dépasse deux millions 1/2. Aglaé me demande ce que nous en pensons ? On trouve cela magnifique non seulement de pensée, mais de pratique s'il y avait autant d'élan dans les grandes villes du midi qu'à Reims, Nancy, Le Havre, Mulhouse, mais que cela ne suffit pas ; qu'on ne comprend pas généralement ce que c'est que 500 millions ; pour arriver à cette somme il faut que chaque habitant donne 14 F. Le calcul s'est fait sur le tableau noir. Et si on n'arrive pas à la somme des 500 millions, n'est-ce pas un fiasco, et le patriotisme ne sera-t-il pas usé quand on viendra par un emprunt faire un nouvel appel au pays ? Enfin les choses ne sont pas encore comme on voudrait les voir, cependant ce qu'il faut constater, c'est la richesse et les ressources du pays.

Pour l'affaire Seillière[9], il n'y a toujours rien de positivement décidé, aussi nous n'en parlons pas ; je n'en ai rien écrit à ma belle-sœur[10] ; ces messieurs assembleront leur société à la fin du mois pour la consulter, mais comme les gros bonnets le souhaitent, il est probable que la chose se fera.

Notre jardinier[11] partira dans 8 jours, bon débarras ; j'espère que l'autre[12] sera moins communard. J'aurais de jolies violettes de Parme à vous envoyer, et je ne sais quelle voie prendre pour qu'elles ne mettent pas trop de temps à vous parvenir car la convention postale ne sera en vigueur qu'au 1er Mai.

Nous passerons la journée de Mardi à Morschwiller[13], et Mercredi à Mulhouse, il y a bien longtemps que nous ne sommes allés dans ces deux grandes villes.

Ton Montmorency doit commencer à être joli. Avances-tu dans tes travaux ? As-tu découvert encore quelques parties malades dans la petite maison ? Comment va ce pauvre François[14] ? La vie à l'air lui a-t-elle fait du bien ? Et Pauline[15], Jean et sa femme[16] souhaite-leur le bonjour de ma part.

Alfred[17] est revenu content de son voyage de Belgique, il a trouvé les renseignements qu'il cherchait ; a-t-il commencé la construction de son four ?

Adieu, chère bonne Mère, embrasse bien papa[18] pour moi et garde les bonnes et tendres amitiés de ta Nie

Charles[19] vous envoie à tous son affection et les fillettes vous embrassent

Amitiés à Aglaé, Alfred, Alphonse[20].


Notes

  1. Probablement chez Mme Marconnot à la scierie du Fourneau.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Marie et Emilie Mertzdorff.
  4. Julien Desnoyers (†).
  5. Léon Duméril.
  6. Georges Heuchel.
  7. Mlle Augusta, institutrice des petites Berger.
  8. La Doller, rivière passant par Mulhouse, affluent de l'Ill.
  9. Charles Mertzdorff projette de s’associer à Frédéric Seillière.
  10. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  11. Probablement Gustave, jardinier chez les Mertzdorff.
  12. Édouard Canus.
  13. A Morschwiller chez les Duméril.
  14. François, domestique chez les Desnoyers.
  15. Pauline, domestique chez les Desnoyers.
  16. Jean et son épouse Amélie, domestiques chez Alfred Desnoyers.
  17. Alfred Desnoyers.
  18. Jules Desnoyers.
  19. Charles Mertzdorff.
  20. Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 9 et dimanche 10 mars 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_9_et_dimanche_10_mars_1872&oldid=60301 (accédée le 19 avril 2024).

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