Jeudi 7 février 1878
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 7 Février 78
Cette belle encore violette t’annonce, mon cher Papa, que nous sommes au cours ; Émilie[1] prend sa leçon d’écriture et moi je suis dans la petite chambre à côté attendant l’arrivée de Mlle Magdelaine[2] et profitant du temps que j’ai pour écrire à mon cher papa ; ce ne sera pas malheureusement une page de calligraphie mais j’espère que tu me le pardonneras et j’aurai soin de ne pas le montrer à [M. Mougeol[3]].
Émilie t’a raconté déjà comment s’était passée la soirée de Lundi[4] ; toute la journée j’ai erré dans la maison, écrit les menus & le soir j’étais placée entre M. Cornu[5] et M. mon oncle[6], mais on m’a peu parlé, ce que je désirais avant tout, car j’ai pu de la sorte surveiller toute la table et suivre chaque conversation. M. Chevreul[7] a beaucoup parlé mais son discours était coupé de tant de phrases incidentes que je n’y ai rien compris. J’étais tout près du nouvellement célèbre M. Pictet[8] ; il est tout jeune encore et a 2 petites filles ; mais s’il fait de belles expériences je crois que cela sa santé n’en est pas [consolidée] il a l’air malade et a une mine affreuse. Emilie, au contraire, a eu des voisins charmants dont elle t’a parlé ; après le dîner il est venu beaucoup de Messieurs et [je me suis amusée] à étudier les différents types ; il y en avait de bien bons.
Mardi il est venu beaucoup de visites toute la journée ; toutes nos amies se sont trouvées à la fois. M. Des Cloizeaux[9], Marthe Tourasse et Paule[10] de sorte que nous n’en avons pas autant joui que si nous les avions vues séparément.
Mar Je serais fort embarrassée de te rendre compte de la journée d’hier elle s’est enfuie comme un rêve, je ne sais pas moi-même ce que j’ai fait. D’abord Mardi soir nous avons eu Mme Trézel[11] à dîner et elle ne sachant pas l’heure elle est restée très tard quoique nous tombions tous de sommeil ; M. Edwards[12] dormait au coin du feu (il était resté au ministère de 9h du matin à 6h du soir !) tante[13] très enrhumée et [fatiguée] de sa journée de Lundi dormait également mais toute droite dans un fauteuil et tenant encore son tricot pour qu’on ne [la voie] pas ; oncle était à l’assemblée de sorte qu’il ne restait qu’Emilie et moi pour soutenir la conversation qui était extraordinairement languissante et cependant nous n’osions pas dire l’heure à cette pauvre bonne-maman.
Bref cette longue parenthèse a pour but de t’expliquer pourquoi [je me suis couchée] fort tard Mercredi et pourquoi je n’ai fait mon entrée triomphante dans le petit salon [ ] 9h sonnaient. Le temps de décider si je ferais de la chimie ou de la littérature, du dessin ou du piano, d’ouvrir 5 ou 6 livres de littérature et de faire un beau titre au haut de mon cahier l’heure du déjeuner était arrivée et comme les jours où on se lève tard on est paresseux toute la journée je suis donc restée un peu après la brioche à écouter ce qu’on disait et à parler aussi. J’allais remonter enfin pour écrire autre chose que mon titre lorsque, ô douleur ! on annonce la blanchisseuse que j’avais bel et bien oubliée ; vite je grimpe, je la reçois puis je visite le linge et quoique tante m’ait aidée nous n’avons eu fini qu’au moment de partir à la Sorbonne. Emilie est venue nous y rejoindre et nous avons été ensemble chez Mmes Fröhlich[14], d’Andecy[15] et Cordier[16] ; cette dernière n’était point chez elle. Mme F. ne va pas mal mais Marie[17] souffre beaucoup depuis 2 mois de ses maux d’estomac ; elles ont toutes deux très mauvaise mine et paraissent fort vieillies. En rentrant j’ai fait une heure de piano puis après le dîner quoique un peu endormie j’ai voulu reprendre ma poésie dramatique ; mais tante toussait tant qu’oncle l’a envoyée se coucher elle ne voulait pas y aller à cause de ses comptes et alors comme il ne fallait pas ce n’était qu’à copier je lui ai offert de les faire, ce matin nouvelle paresse j’ai un peu travaillé puis nous sommes parties au cours. Nous avons toutes 2 retenu le piano pour ce soir je ne sais qui l’emportera. Emilie a eu hier une bien grande joie causée par la lettre de tante M.[18] et d’oncle Léon, je crois que cela a nui à ses leçons ; elle voulait y répondre aujourd’hui mais son cours l’en a empêchée, ce sera pour demain.
Adieu mon Papa chéri que j’aime, je t’embrasse de tout mon cœur. Quel bonheur de te voir bientôt car tu sais qu’on avance de jour en jour la saison des examens. On parle maintenant du 26 [mars].
J’embrasse bien bon-papa et bonne maman[19].
Nous avons l’intension d’aller samedi à la Sorbonne à la conférence de M. Jamin[20] Je crois que Paule ira aussi.
Notes
- ↑ Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Mlle Magdelaine, professeur de beaux-arts.
- ↑ Probablement Alphonse Mougeol.
- ↑ Grand dîner chez les Milne-Edwards.
- ↑ Maxime Cornu ou son frère Alfred Cornu.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Probablement Eugène Chevreul.
- ↑ Raoul Pictet, père de Thérèse de Violette Pictet.
- ↑ Marie Des Cloizeaux.
- ↑ Paule Arnould.
- ↑ Auguste Maxence Lemire veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Eléonore Vasseur, veuve d’André Fröhlich.
- ↑ Anaïs Louise Pauline Geoffroy Saint-Hilaire, épouse de Jean Baptiste Henri Poulain d'Andecy.
- ↑ Félicie Berchère, épouse de Charles Cordier.
- ↑ Marie Fröhlich.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Conférence de Jules Célestin Jamin.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 7 février 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_7_f%C3%A9vrier_1878&oldid=60010 (accédée le 5 octobre 2024).
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