Vendredi 7 juillet 1871 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Montmorency) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)



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Montmorency 7 Juillet 71

Mon cher papa,

Je viens te dire que nous sommes rentrées à bon port et très bien amusées. Je vais essayer de te faire le journal de nos deux jours à Paris. Nous sommes donc parties à Enghien où l'on est arrivées très fatiguées et sommes parties par le train de 10 h ; arrivons à Paris, attrapons une voiture qui nous mène chez tante Constance[2] où bonne-maman[3] et maman[4] nous laissent monter avec Cécile[5] et elle vont toutes deux embrasser Mme Target mère[6] qui est à Paris pour quelques jours.

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Mme P. Target[7] vient aussi déjeuner avec nous ainsi qu'oncle Alfred[8], tante[9] est arrivée au dessert. Après déjeuner on a passé quelque temps ensemble ; la vieille Mme Target est venue faire visite. Enfin à 3 h nous sommes parties toutes deux[10], avec tante, et, comme tous les omnibus sont toujours complets, et les voitures presque introuvables nous sommes revenues de la rue de Rome (bien entendu en regardant de très jolies boutiques et en faisant quelques courses) à Notre-Dame à pied, là, nous avons trouvé des places dans l'omnibus, mais cela n'en valait plus la peine, nous l'avons cependant pris et sommes arrivées au Jardin à 5 h et avons joué avec Jean[11] dans le petit jardin, jusqu'au

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dîner. bonne-maman et maman sont aussi arrivées j'oubliais de te dire qu'oncle[12] nous a menées dans la ménagerie. Après dîner nous avons raconté des histoires à Jean. Enfin on est monté nous coucher et nous nous sommes endormies. Le matin tante est venue nous éveiller car nous avions pris un rendez-vous avec maman à St-Médard mais l'on n'avait pas bien compris il y a eu un embrouillamini et les pauvres où nous devions aller ont été mis de côté et nous sommes rentrées directement chez tante après avoir déposé maman et bonne-maman chez elles. Tante a déjeuné à 9h 1/2, puis Emilie a fait

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travailler Jean pendant que j'ai été avec tante fureter dans ses paquets de chiffon enfin à 11 h Estelle[13] nous a reconduites chez bonne-maman où nous avons déjeuné, puis tante est venue avec oncle. Ensuite nous sommes allées avec tante et maman chez notre pauvre petite bossue qui a été bien gentille. Puis après nous avoir reconduites à la maison maman est partie à la chasse aux voitures et tante a fait une course dans le quartier. Enfin maman est revenue avec sa voiture à 4 places et un cocher très gentil, nous avons été chez la modiste rue St Victor puis avons conduit bonne-maman et Cécile à l'omnibus et

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nous, nous sommes parties chez M. Gosselin[14] où nous avons attendu assez longtemps, car il y avait beaucoup de monde, enfin notre tour est venu et nous sommes entrées dans son cabinet. Il m'a examinée et a dit que ce n'était rien du tout et qu'on devait le laisser tranquille je ne donne pas de plus longs détails car maman s'en charge. De là toujours avec notre voiture nous avons été au magasin du coin de rue où maman nous a acheté des robes et quelques petites emplettes autres dont je ne me rappelle et une robe de toile pour elle le jeune homme nous a montré des pièces, c'est le commis qui parle, « une nouveauté, Madame, nous le recevons à l'instant » Et il y avait l'étiquette de Stheinbach Koechlin[15]

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au comptoir en face où l'on vendait des mousselines identiquement pareille à celle de Pétrus et dont nous avons quelques chiffons. Puis nous avons été au pauvre Diable[16] où ces dames ont acheté un châle pour bonne-maman et comme ce magasin tient des petits objets de mercerie maman a acheté du ruban, épingle, soie et un charmant petit porte-aiguilles en même temps calendrier et nécessaire en outre des images et entre autre les 4 jolies demoiselles en petit que l'on a données à oncle Léon[17]. De là nous avons reconduit tante à l'omnibus aux halles et nous avons été au chemin de fer du Nord où nous sommes arrivées 3/4 d'heure à l'avance. Tout le monde a été charmant pour nous : un M. qui allait prendre la dernière place du bus s'est retiré pour la laisser à maman.

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Une vieille dame à qui sa concierge a apporté une gentille cocotte, en faisant toutes les recommandations : il faut, disait-elle, que vous lui mettiez un panier avec de la paille … Cette brave concierge a raconté qu'elle s'était tant dépêchée qu'elle n'avait pas laissé venir Nicole parce qu'elle aurait pu se laisser aller à causer et oublier la poule et cent autres choses pareilles. La dame avait son retour de sorte qu'elle a voulu se lever pour aller dans la salle d'attente mais elle s'est rappelée que maman prenait les billets et elle a dit

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« Ah ! non je reste avec ces petites filles jusqu'à ce que leur maman revienne. » Effectivement c'est ce qu'elle a fait comme nous étions dans la salle d'attente maman nous a montré une dame et nous a dit que c'était Mme <BaudrillartBaudrillart][18]>

Mlle de Sacy[19] elle était avec son petit garçon[20]. Nous sommes après montées dans le même compartiment et l'on a causé du temps des cours de Mme Charrier[21]. elle y mène sa petite fille[22]. Voilà que près d'Enghien son petit garçon met la tête à la fenêtre et le vent lui retire

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son chapeau tout neuf qu'on venait de lui acheter. enfin nous avons pris notre train mais il était si plein que nous avons été obligés de nous empiler grâce à la complaisance d'une dame. Le gendre de Mme Dollfus[23] qui s'est trouvé dans le même compartiment n'a pas été fort aimable ; enfin chargées de paquets nous sommes rentrés à 7 h, avons dîné et dormi jusqu'à ce matin. Le jasmin[24] dix fois oublié va je l'espère partir aujourd'hui. Les petits lapins courent. Ce soir nous

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attendons tout notre monde.

Adieu cher petit père, mille pardons pour cette horrible griffonnage et pour les fautes, je ne la relis pas c'est trop long. il est 2 h 1/2 nous venons de faire la lessive de notre poupée pour qu'elle soit propre demain Dimanche. Mais encore mille baisers Emilie en fait autant. Je ne dis rien de maman qui fait partir de son côté une grosse lettre.

ta petite fille qui t'aime

Marie Mertzdorff


Notes

  1. Lettre sur papier-deuil.
  2. Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
  3. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  4. Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff.
  5. Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
  6. Eléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
  7. Victorine Duvergier de Hauranne, épouse de Paul Louis Target.
  8. Alfred Desnoyers.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  10. Marie avec sa sœur Emilie Mertzdorff.
  11. Le petit Jean Dumas.
  12. Alphonse Milne-Edwards.
  13. Estelle, domestique chez les Milne-Edwards.
  14. Le chirurgien Léon Gosselin.
  15. L’entreprise textile « Steinbach, Koechlin & Cie » d’Alfred Koechlin-Steinbach.
  16. C’est un commis du magasin Au Pauvre Diable, Alfred Chauchard, qui en 1855 fonde les Grands magasins du Louvre.
  17. Léon Duméril.
  18. Félicité Silvestre de Sacy, épouse d’Henri Baudrillart.
  19. Probablement Antoinette Silvestre de Sacy, épouse de Paul Audouin.
  20. Emile Audouin.
  21. Caroline Boblet, épouse d’Edouard Charrier.
  22. Marguerite Audouin.
  23. Noémie Martin, veuve de Frédéric Dollfus, a pour gendres Emile Boden et Edouard Sayous.
  24. Fleurs de jasmin cueillies à l’intention de Charles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 7 juillet 1871 (B). Lettre de Marie Mertzdorff (Montmorency) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_7_juillet_1871_(B)&oldid=36088 (accédée le 21 novembre 2024).

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