Vendredi 5 août 1870 (C)

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)



CHARLES MERTZDORFF

AU VIEUX THANN

Haut-Rhin[1]

9 h Soir. Vendredi 5 Août 70.

Nie chérie. Je t'ai écrit si à la hâte cet après-midi, je ne pouvais te dire que j'étais bien arrivé. A maintenant le détail que tu trouveras à ton entrée à Paris.

Rien de particulier à te signaler de ma route de St Malo à Rennes. M. Benoist (ou Batiste ou etc.) m'a suivi dans mon wagon quoique ayant seconde. J'ai été aussi aimable que possible, nous avons beaucoup parlé chasse, Milne-Edwards & guerre. Puis me quittant, je me suis trouvé seul ; mais non tout à fait seul, car je vous suivais dans votre projet de ville & votre retour. A Rennes 30 minutes. Buffet, pas trop mauvais, suffisant pour un voyageur. Pas trop de monde dans les wagons je trouve à bien me caser. Nous n'avons jamais été plus de 4, mais le plus souvent 2. Mon jeune compagnon de route, était un jeune lieutenant des futures gardes mobiles de Seine & Oise. Heureux & fier de son grade ; faisant force vœux, pour que la mobile donne, comme l'on dit & se voyant dans son beau rêve décoré de la médaille militaire des bords du Rhin. Comme nous n'étions pas très d'accord nous l'avons été tout à fait lorsque < > nous étions couchés sur nos banquettes. Par extraordinaire, j'ai un peu ronflé & même m'entendais très bien.

à 5 h à Paris. voiture & gare de l'Est. 5 1/2 paris déjà très animé, pour un habitant de Paramé. flâné un peu sur le boulevard, visité très en détail l'Eglise x ? Ne pouvant me décider à tenir compagnie à quantité de gens qui buvaient le petit vin blanc chez le Marchand de Vin je me suis décidé de à me mettre dans un petit coin de la gare & déjeuner avec une la croûte & un peu de veau que la bonne ménagère avait mis dans mon sac. Réservant le bon pain beurré pour meilleure occasion.

J'avais à peine terminé cette réconfortation fort utile, qu'une voiture me dépasse, c'est Alfred[2], qui s'est donné la peine de venir me serrer la main. Nous avons un peu causé de ses affaires ; qui sont, je crois, en bonne voie. Il devait se trouver aujourd'hui même à Brousseval. pour 12 h. j'espère qu'il aura eu là un rapprochement de plus.

Il fait bien d'être prudent, je crois qu'il l'est & qu'il n'ira pas à la légère dans cette affaire. Je n'ai pu que l'approuver jusqu'ici & lui confirmer ma promesse d'un bon coup d'épaule. Mais le temps était court, beaucoup de temps perdu pour prendre mon billet ce qui fait que nous n'avons pas nous dire tout ce que nous aurions voulu. Alfred était en costume de Tuilier, se proposant de faire faire ses premiers produits céramiques, ce jour-là. Que le feu le protège, s'il sait protéger du feu !

En Wagon bien installé peu de monde, Mutisme complet. à Troyes déjeuner assez bon & très suffisant, en quantité & temps. Pas de soldats, quelques conscrits (remplaçants) ivres qui nous ont mis en retard de 30 minutes ! En temps ordinaire ils cuvaient leur vin au violon. Maintenant à chaque station les litres suivaient les litres. Pauvre Julien[3] !

Bar-Sur-aube premier convoi de matériel militaire. Mais j'oubliais de dire qu'à Paris à 6 h est arrivé le 2 de ligne s'embarquant pour X. un autre régiment était attendu. Puis beaucoup de chevaux à la gare de La Villette. Langres Vesoul etc. beaucoup de trains militaires prêts à partir. Belfort camp de Cavalerie en arrivant infanterie un peu plus loin. Au loin du chemin de fer l'on aperçoit au loin d'autres camps. Altkirch, même 2 camps de cavalerie. tout cela parfaitement installé.

Ce train poste est assez libre il ne rencontre que rarement une gare encombrée. ce n'est pas comme à mon dernier voyage. A Mulhouse. En sortant Paul m'attend, me dit que Vogt est là, que l'on m'attend à Morschwiller, que M. Auguste[4] y est encore etc. Aux abords de la gare foule compacte, circulation difficile, impossible aux voitures.

C'est que Mercredi, dépêches sur dépêches ont donné grandes inquiétudes de ce côté-ci du Rhin. Le Rhin était noir d'Allemands qui se disposaient à se passer la fantaisie de visiter Mulhouse sans armes. Le sort de Francfort a fort effrayé aussi dans la journée d'hier en quelques heures il y avait 30 000 hommes en Ville venant un peu de Colmar & d'ailleurs. Mais les camps d'Altkirch & Belfort n'ont pas bougé. Le général ayant son quartier général à l'hôtel. Du reste dans la foule de l'étonnement ; beaucoup de crainte, pas un chant, pas un cris. Le sous-Préfet[5] consterné est sur les dents, deux appels de lui de Vive l'Empereur la foule répondant par le cri de Vive la France ! J'ai fait atteler au plus vite, il était déjà tard & je n'étais pas fâché de sortir de ce brouhaha.

Ce soir les domestiques rentrent de Mulhouse. Il n'y a plus un seul homme, tout est a été cette nuit dirigé vers le Nord

Il paraît qu'un instant, 2 jours, les vivres ont manqué à Belfort. Les pauvres mobiles ont un peu souffert de la faim. Minery d'ici est parti avec une voiture de Pain & provision mais, à son arrivée, les prix étaient déjà retombés au normal.

Quant aux bruits de guerre, j'engage tout mon monde ici à fermer ses oreilles. Victoires, défaites, incendies etc. tout se succède dans la même heure. L'on ne sait absolument rien. hier Léon[6] a rapporté que Mac-Mahon avec tous ses algériens, 80 000, a disparu de Strasbourg, on le cherche en vain. Pour les uns il a passé aux Prussiens, pour les autres il est à mi-chemin de Berlin. C'est te dire, l'esprit de tous ici a déménagé, conversation, chassepot, mitrailleuse, Prussiens & blessés, tout cela se succède sans jamais s'arrêter. Adieu Calicot ton bon règne est loin. Hélas.

Comme dit, pas de chants, pas de cris. Tout est triste préoccupé, s'en allant chacun aux nouvelles.

Mais surtout se préparant à recevoir des blessés. Pour cela de grands efforts chez le petit comme le grand. Le clergé a renvoyé les séminaristes pour faire autant d'hôpitaux. A Mulhouse des 100 000 de F pour même but. Pas un bourg qui ne s'impose & se dispose à bien traiter les pauvres éclopés. A Thann l'on me dit qu'il y aura 180 lits de préparés. l'on a déjà dépensé 8 000 F. Chez les Kestner le chalet du Jardin transformé en hôpital de 20 lits.

Vieux-thann n'a encore rien fait, M. André voulait de nouveau présenter une nouvelle liste pour Thann, j'ai refusé de signer. l'Oncle Georges[7] va aller demain chez M. Sick acheter faire venir 20 lits avec sommiers de Paris, grande vitesse, acheter l'étoffe pour les matelas & le crin végétal pour nécessaire.

Moi de mon côté vais visiter la vieille maison Guth que j'ai dans le village ; Si convenable, y faire les travaux nécessaires pour y loger 20 lits.

faire des Démarches pour avoir un Carabin de Strasbourg que je logerai ici si j'en ai besoin. & propose 2 à 3 chambres pour des officiers. Je n'aurai qu'une dépêche à envoyer à M. Hirtz de Strasbourg pour mon futur docteur. les lits installés je donnerai avis au Préfet[8]. Du reste je vais encore trouver au village quelques personnes disposées à recevoir un infirme.

Tu vois que si le même entrain se produit partout, comme je le crois, il sera facile de faire soigner dans nos 2 départements du Rhin 50 000 blessés. Dieu veuille que nous n'en ayons pas besoin. Kestner[9] a déjà fait savoir que ses lits retourneront à l'hôpital, que ces gens (au fond de bien) aiment le bruit, la renommée & la grosse caisse.

Nanette[10] a eu la visite des Marchands du Midi. Grands achats ; mais l'on ne me demande pas d'argent. Que c'est économique qu'un ménage de Garçon.

A Morschwiller comme ici l'on m'attendait avec une grande impatience. Personne n'aime la responsabilité, c'est lourd pour tous. & pour moi aussi !

Comme dit j'ai trouvé M. Auguste[12] qui se dispose à quitter demain matin. Il est moins bien, ses dernières nuits sont bonnes mais pas de force ; bien moins que lorsqu'il est venu. hier il a fait constater à sa pauvre femme[13] que ses gencives se décoloraient davantage, l'intérieur des yeux de même, ses pieds se gonflent. C'est une désolation. Malgré lui il se rend parfaitement compte de sa position. D'autres fois il espère encore. Ce qui vient encore s'ajouter à cela, c'est que Félix[14] a fait retarder le départ de 2 jours espérant <Samedi> avoir sa nomination de Caissier à Chaumont. Il veut faire les honneurs de son futur logement etc. Si ces pauvres parents sont contents de voir se fixé la position de leur fille[15], cette séparation est un plus grand chagrin.

M. Auguste & sa femme se sont retirés à 10 h, nous avons continué à causer jusque près de minuit. Inventaire, construction & guerre & nouvelles de toute sorte. Les Tachard sont rentrés, Madame Tachard[16] jeune n'a pas bonne mine, cette guerre entre Allemands & Français lui donne bien des tourments & des nuits blanches. Tachard va bien, il est allé aux nouvelles à Strasbourg il est rentré Gros Jean comme devant.

Quittant Morschwiller à 6 h du matin j'étais d'assez bonne heure rendu ici. Mais ici aussi bien des choses m'attendaient. Je suis venu à bout de faire une partie ; mais il était Midi & < > lorsque je suis pour la première fois monté l'escalier. J'ai trouvé Nanette & Thérèse[17] à la cuisine, peu contentes car elles espéraient un peu voir Madame.

Cet après-midi s'est passé bien vite aussi, j'ai fait un petit tour à la boutique, le conseil municipal est venu me relancer j'ai tenu bon. Mon homme m'est nécessaire ne pouvant pas tout faire. J'ignore s'ils sont partis convaincus. Mon désir est bien d'avoir une occasion de me retirer. Mais je n'aurai pas la chance.

J'ai d'après ton instruction parlé lessive à mes ménagères mais pour le moment impossible il n'y a pas d'Eau dans le filtre en réparation. Et pas d'Eau dans la rivière, Jamais je n'ai vu pareille pénurie.

L'eau de la source des vignes se maintient, belle quantité; l'on espère trouver plus profond une nouvelle chute. Je n'ai pas vu.

Georges & sa femme[18] vont bien. leur petite-fille[19] est depuis longtemps de retour à Mulhouse. Barbé a la visite de sa sœur Mme Meissonnier[20], sa fille & domestique & pour longtemps encore. Mme Paul est malade de peur prussienne.

La nouvelle de la prise de Sarrebruck est arrivée à la Sous-Préfecture à 11 h du soir. Même heure on la publie à son de caisse, toute la population en un instant sur pied. Illumination, bruit, pétards dans les rues. Mme Paul dessous son édredon, à côté de son époux, n'entend que bruit, les pétards ce sont des fusils à aiguilles, etc. le mari veut aller aux informations, sa femme plus terrifiée encore. Au bout d'un long temps, tout s'explique ; mais, dit-on, l'on a passé un bien mauvais ¼ d'h.

En voilà bien long ma chérie pour une journée. Mais qu'en veux-tu je me crois à Paramé & cela m'amuse bien de bavarder avec toi. Demain si je trouve le moment j'écrirai à mes fillettes[21] chéries, que j'embrasse de tout cœur, comme je les aime. J'entends d'ici siffler le chemin de fer. marche aujourd'hui. il n'a pas marché depuis 1 mois ou est-ce de l'extraordinaire, le moindre bruit & l'on est inquiet & se torture l'esprit.

Le travail est réduit à sa plus simple expression. Pour la semaine prochaine il faudra réduire encore & réduire beaucoup. Je te dirai ce qui sera décidé, jusqu'à présent je n'ai pas étudié la question. Il est tard je sens que mon lit me fera <plaisir> je n'ai pas encore vu notre chambre à coucher j'y vais bonsoir.


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Alfred Desnoyers.
  3. Julien Desnoyers.
  4. Auguste Duméril.
  5. Charles Maximilien Auguste Jacquinot (1814-1894), sous-préfet de Mulhouse depuis 1868.
  6. Léon Duméril.
  7. Georges Heuchel.
  8. M. Salles, préfet du Haut-Rhin, a succédé à Hippolyte Ponsard en 1869.
  9. Charles Kestner.
  10. Annette, domestique chez les Mertzdorff.
  11. Le texte qui suit (sur une feuille déclassée à en-tête) semble la fin du texte ci-dessus.
  12. Auguste Duméril.
  13. Eugénie Duméril.
  14. Félix Soleil, leur gendre.
  15. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
  16. Wilhelmine Grunelius, épouse d’Albert Tachard.
  17. Annette et Thérèse Neeff, domestiques chez les Mertzdorff.
  18. Georges Heuchel et Elisabeth Schirmer.
  19. Jeanne Heuchel.
  20. Clarisse Barbé, épouse de Gabriel Meissonnier.
  21. Marie et Émilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 5 août 1870 (C). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_5_ao%C3%BBt_1870_(C)&oldid=61035 (accédée le 15 novembre 2024).

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