Vendredi 22 et samedi 23 juillet 1864

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

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Vieux-Thann 22 Juillet 64

Vendredi matin

C’est encore à vous que je m’adresse, Madame Aglaé et cependant vous ne le méritez guère ! Peut-on imaginer une paresse semblable ! Je ne touche même pas les intérêts de mes timbres-poste ! et j’avoue que je comptais sur le capital ! Enfin trêve aux reproches, on obtient plus par la douceur que par la colère. Tout ceci vous prouvera que vos lettres sont trouvées par la dame Eugénie ce qu’elle les trouvait autrefois, c’est à dire, bonnes, agréables, spirituelles et le reste, aussi ne soyez pas si avare et croyez au plaisir que vous pouvez faire.

Mais parlons affaire, c’est à dire cuisine ; il y a longtemps que je veux traiter ce sujet avec toi et toujours le temps me manque ; ce n’est pas à croire que j’en ai de trop aujourd’hui, car depuis Mercredi je suis seule avec les enfants[1]. Cécile[2] est allée au pays et ne revient que Lundi ; j’ai la matelassière, je viens de compter le linge, la semaine prochaine nous avons la lessive, enfin le temps vole ; dans l’après-midi, et je puis dire presque toujours, nous sommes au Jardin, le soir nous faisons de la musique &&. Les enfants sont dans ma chambre et bien contentes d’être avec maman, il n’y a que moi qui les habille, qui m’occupe d’elles, elles ne veulent que de maman, je ne m’en plains pas c’est si bon de se sentir aimée et je la leur rends bien leur affection.

Voilà encore le sujet cuisine laissé de côté, il s’agit d’un gâteau aux cerises que je trouve fort bon et dont je t’envoie la recette.

Samedi soir 9 h 1/4

Voilà mes petites filles couchées, l’une dort et l’autre ne va pas tarder à en faire autant. Charles[3] est chez sa mère[4], en l’absence de Cécile j’ai dit que je resterais auprès des enfants, je viens donc vite causer un petit moment avec toi, car dans la journée il n’y a pas une minute où on ne réclame quelques services de la maman soit dans les jeux, soit pour toute espèce de choses, tu vois cela comme si tu y étais.

Enfin, j’ai une lettre de toi ; ça me fait un peu te pardonner ton silence, mais gare à toi, ne compte pas toujours sur mon indulgence ; Mimi persiste à vouloir me remplacer tante Aglaé et pour cela elle m’appelle ma petite Nie chérie, et veut que je t’embrasse bien fort en lui disant que je l’aime beaucoup. Je suis bien heureuse de ce que tu me dis de ta santé ; un mieux aussi prolongé est un grand pas et assure ton rétablissement complet, aussi je m’incline devant le bord de la mer[5] et je trouve qu’on a bien raison de te faire prendre encore des bains. Tu vois que je t’aime plus que mon plaisir car je me leurrais de te voir ici aux vacances et tu juges quel bonheur ce serait pour moi de causer avec toi et de t’avoir ici ; il y a tant de choses qui ne signifient rien écrites et qui, entre sœurs, intéressent tant. Ce que vous m’avez écrit au sujet <de Paul Ch> me fait souhaiter, comme vous, qu’Alfred[6] trouve ce qu’il désire.

Tu me parles de Céline[7], je suis assez embarrassée pour te répondre (je pense comme toi) car tu sais que dans le pays jusqu’à présent je n’ai vu que 3 demoiselles et je n’ai entendu parler d’aucune autre 1° Mlle Kestner[8] qui est jolie, aimable, riche, opinions politiques rouges <exagérées> et maladives comme toute la famille, et maladie qui l’empêchera d’avoir des enfants (entre nous seules bien entendu). 2° Mlle Henriet[9] qui tout en étant beaucoup moins jolie que la première, est agréable ; le père[10] est maire de Thann, vive l’empereur ! opinions religieuses très prononcées, à la retraite du Sacré Cœur, et en pèlerinage et les Monseigneurs à dîner ; fortune modeste mais Charles dit qu’on recherche un titre et probablement encore quelques écus. 3° Mlle André[11] qu’on dit très bonne enfant, qui est laide et paraît plus âgée que sa sœur Mme Berger[12] qui a 3 enfants, encore ici je crois seulement une bonne aisance. Quant à Mulhouse on dit qu’il n’y a que des protestantes. Tu vois que pour le moment nous n’avons pas grand chose à mettre dans le sac, mais ça ne dit rien, en fait de mariage on ne sait jamais ce qui doit advenir. Je trouve ton idée de parler à Mme Charrier[13] très bonne, mais pas plus de Gabrielle Vavin que d’une autre, Madame Charrier est une femme en laquelle on peut avoir confiance et elle connaît beaucoup de monde. Pour en revenir à Céline je ne puis rien te dire de plus tu sais que nous en avons souvent parlé, et que nous pensions de même, c’est à nos parents à faire ce qu’ils croiront bon.

Je penserai bien à mon Julien[14] Mercredi. Quel jour l’examen écrit ? tiens-moi bien au courant même avant. J’attends une dépêche le jour, et si le Dieu Fortune le desservait une lettre quand même le lendemain. J’ai confiance il travaille si bien. Les Auguste Duméril[15] partent Lundi de Morschwiller. Demain nous n’aurons personne (du moins nous n’avons invité personne). Nanette[16] a des coliques, ah mille pardon. A propos Mme Paul de Mulhouse vient de m’écrire pour me proposer une cuisinière, nous allons prendre des renseignements et je pense bien que nous l’arrêterons.

Vous ai-je dit que mes boucles d’oreilles en pierre rouge que Constance[17] m’a données à son mariage et que je portais autrefois manquaient dans l’écrin que <Linier> a fait ?

Dis à Maman[18] que l’idée de nous installer chez elle lorsque nous irons à Paris nous sourit tout à fait et que Charles a dit que nous irions vous faire une petite visite avant les froids. Mais avant c’est Maman qui va venir, quand penses-tu qu’on nous arrive ? Je veux longtemps ! Crois-tu que Julien aille chez Alfred[19] sitôt son examen, comme le grand frère paraissait le désirer ? Je vais t’envoyer les plumes de mon chapeau noir rond, j’ai été mouillée l’autre jour et elles sont un peu trop panachées, tu voudras bien les faire friser en disant que je suis très pressée et je les reposerai moi-même je ne mets presque que lui et mon vieux petit marron.

Ma belle-sœur[20] est très bien, nous vivons chacune très librement ; elle veut que je la tutoie, c’est difficile, mais je ne peux faire autrement.

Pour la musique, j’aimerais bien la Somnambule [21] Lalla-Rouch[22] && enfin une jolie collection et dans les pas trop difficiles et une à 4 mains, un opéra comique facile < > pour jouer avec Charles ainsi que la valse du Pardon de Ploërmel[23] et une autre toujours jolie à 4 mains toujours pour même but. J’aimerais bien que tu mettes dans la caisse mon cahier vert, mon recueil de vers et mes images de communion, mes cahiers de composition qui doivent être rangés quelque part l’armoire au-dessus de mon <lit> probablement.

Quant à ta tapisserie escabeau[24] j’approuve tout à fait ton projet. fait monter comme le tien chez Boutard avec une plus belle frange et il est payé d’avance car nous avons renvoyé pour 29 F 25 de reps havane. Tu dois trouver l’escabeau dans les tiroirs du secrétaire ou dans l’armoire aux robes. Que sont donc devenues les robes violettes des enfants ? pourquoi ne pas nous les envoyer ?

Ma petite Gla, je t’embrasse bien fort et Charles qui lit maintenant à côté de moi se permettrait bien d’en faire autant ; la permission étant prise je prends la même liberté avec M. votre mari[25]. Dis à Maman tout ce qui je voudrais lui dire et encourage Julien pour nous deux. Rappelle-moi au souvenir de M. Edwards[26] et dis mille choses aimables à tes belles-sœurs[27].

Eugénie


Notes

  1. Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles.
  2. Cécile, domestique affectée au service des fillettes.
  3. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie.
  4. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff, habite à côté de son fils.
  5. Séjour estival d’Aglaé à Arcachon.
  6. Probablement Alfred Desnoyers, frère aîné d’Eugénie et Aglaé, plutôt qu’Alfred Silvestre de Sacy dont la famille est évoquée à la suite.
  7. Probablement Céline Silvestre de Sacy, amie d’Eugénie et Aglaé.
  8. Hortense Kestner.
  9. Marie Henriet.
  10. Louis Alexandre Henriet, père de Marie et Jeanne.
  11. Julie André.
  12. Joséphine André, épouse de Louis Berger, mère de Marie, Hélène et Louis Jules.
  13. Caroline Boblet, épouse d’Edouard Charrier.
  14. Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
  15. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril, et leur fille Adèle, en visite chez les Duméril à Morschwiller.
  16. Annette (Nanette), domestique chez les Mertzdorff.
  17. Constance Prévost épouse de Claude Louis Lafisse, cousine d’Eugénie et Aglaé Desnoyers.
  18. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  19. Alfred Desnoyers, leur frère aîné.
  20. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  21. La Somnambule, opéra en deux actes mis en musique par Vincenzo Bellini sur un livret de Felice Romani, créé à Milan en 1831.
  22. Lalla-Rouch (ou Lalla-Roukh), opéra comique en 2 actes de Félicien David, créé à l’Opéra-comique en 1862.
  23. Le Pardon de Ploërmel, opéra comique en 3 actes de Giacomo Meyerbeer, créé en 1859 ; valse de salon de Friedrich Burgmüller, pour piano, vers 1860, dédicacée à Mme Marie Pleyel.
  24. L’escabeau est un petit banc où on pose les pieds.
  25. Alphonse Milne-Edwards.
  26. Henri Milne-Edwards, père d’Alphonse.
  27. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et Louise Milne-Edwards, épouse de Daniel Pavet de Courteille.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 22 et samedi 23 juillet 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_22_et_samedi_23_juillet_1864&oldid=35898 (accédée le 15 novembre 2024).

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