Vendredi 17 mars 1843

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à sa cousine et fiancée Eugénie Duméril (Lille)


d’André Auguste Duméril.

Au jardin du roi 17 Mars 1843.

Ma chère cousine,

C’est avec un bien vif plaisir que j’ai vu arriver une lettre de vous à mon adresse : veuillez bien, je vous prie, remercier mon bon oncle[1] d’avoir bien voulu vous donner l’autorisation de vous adresser à moi, et lui dire combien je m’estimerais heureux qu’elle pût vous être accordée de nouveau. J’ai, au reste, à mon tour, quelques conseils à vous demander, et je tiendrais à les recevoir avant de rien terminer. C’est avec un bien grand bonheur que je vois s’écouler les semaines, et se rapprocher le moment où, les dispenses une fois obtenues, on pourra songer à fixer l’époque précise de notre mariage : nous serons très reconnaissants à mon cher oncle, de vouloir bien nous écrire, dès que ces dispenses seront arrivées. Nous avons déjà fait quelques arrangements d’armoires, dans notre appartement[2], mais nous allons ces jours-ci nous occuper des papiers et des peintures. Constant et Félicité[3], toujours si bons pour nous deux, veulent nous faire un très beau cadeau, et ils mettent tant de grâce et d’insistance dans cette offre, qu’il n’y a vraiment pas moyen de refuser : ils veulent nous faire présent du meuble du salon, qui se composera sans doute du canapé, de 4 chaises, et de 2 fauteuils : on fait maintenant les bois un peu ornés, et la garniture, en velours uni, piqué : ils ont vu un meuble en velours grenat, qui leur a paru très joli. Il y a place dans ce petit salon pour votre piano, ma bonne Eugénie : celui du salon du premier sera également à vous et vous savez combien mes parents[4] seront heureux quand vous voudrez bien vous en servir à leur intention, mais il vous sera plus agréable d’étudier chez vous : le vôtre ornera parfaitement la pièce où j’ai toujours espéré le voir, depuis le moment où j’ai eu l’heureuse certitude que vous deviendrez habitante de notre jolie maison. Mme Latham et son mari[5] veulent aussi nous faire un cadeau auquel ils comptent mettre une valeur de 250 à 400 F. Ils hésitent entre un objet de mobilier et quelque objet utile de toilette, pour vous, comme un châle : mais je veux me réserver, ma chère cousine, le plaisir de vous en offrir un[6]. Une garniture de cheminée, pour notre salon, serait peut-être ce qu’il y aurait de mieux à demander : dites-moi ce que vous en pensez, ou bien, le tapis, qui doit recouvrir le vilain carrelage de cette pièce, qui sera, je crois, fort gentille, quand elle sera ornée. J’ai l’intention, comme vous, d’offrir un souvenir à nos bons frères et sœurs, qui nous rendent si bien l’affection que nous leur portons. Ne pourrions-nous pas faire ensemble, à Auguste et à Adine[7], présent du plat creux d’argent et des couteaux de dessert (une douzaine en argent et une douzaine en acier, s’ils n’en n’ont pas de cette nature : quinze, ne vaudraient-ils pas mieux ?). Félicité aimerait assez, à ce qu’il paraît, des couteaux de dessert en argent, mais il en faudrait 15 : de mon côté, j’aurai l’intention de leur donner une cave à liqueurs, dont ils ont vraiment besoin. Aux couteaux, cependant, Félicité et son mari préfèreraient un garde-cendres, qui leur manque complètement : cela achèverait parfaitement la garniture de cheminée, que leur a donnée Auguste. Je crois que pour 100 F, on pourrait avoir quelque chose de bien : je persisterais alors, quant à moi, dans mon projet de cave à liqueurs. Vous ne dépasseriez pas, il me semble, avec ces différents présents, la somme de 300 F, qui doit y être consacrée. Si vous trouvez l’achat du garde-cendres convenable, je m’en chargerai, afin d’avoir quelque chose qui soit d’accord, pour le style et la couleur du bronze, avec leur pendule, leurs candélabres et leurs coupes.

Notre chambre à coucher, qui est d’une forme allongée, ne pourra pas recevoir d’autre meuble qu’un secrétaire, de la clef duquel je vous prierai de vouloir bien vous charger, et une table. Il faudra sans doute quatre chaises et deux fauteuils : je désirerais savoir comment vous voudriez que ce meuble fût recouvert : la toile perse n’est plus guère de mode : si cependant vous aimez ce genre d’étoffe, dites-le-moi, et surtout, indiquez-moi les couleurs que vous préférerez. Vous aurez, dans la chambre à coucher, deux vastes armoires ; dans votre cabinet de toilette, une commode ou un chiffonnier, et derrière, un cabinet, qui pourra vous servir de penderie pour vos robes. Je ferai mon cabinet de toilette et de travail, de la chambre qui est au-dessus de celle de mon père : il y a, entr’elles et le salon, une petite pièce avec une grande croisée, qui pourrait être offerte, en été seulement, car elle n’a pas de cheminée : si nous avions une visite, à demeure, en hiver, je cèderais l’autre, où l’on peut faire du feu. La chambre de notre domestique sera celle qu’occupait Mme Cottinet, et qui, étant très près de nous, puisqu’elle touche à la chambre à coucher, sera fort commode. Notre petit appartement, dont l’exposition est charmante, et qui a vue sur le jardin, et, de côté, sur le quai, qui est fort animé, vous plaira à ce que j’espère, et moi, qui l’aime déjà beaucoup, je l’aimerai bien mieux encore, quand je l’habiterai avec vous.

Il me semble que vous avez pris un très bon arrangement en offrant 350 F à Séraphine, que je suis très content de savoir définitivement arrêtée : l’attachement réel des domestiques pour leurs maîtres est trop rare pour qu’on ne doive pas se réjouir, lorsqu’il existe. Félicité vous a raconté le mariage de notre domestique et de la cuisinière, et elle vous a parlé du bon caractère de la femme de chambre : il est donc bien à espérer que Séraphine ne recevra pas, dans la cuisine de ma mère, de mauvais conseils, et n’aura pas sous les yeux de mauvais exemples, et c’est beaucoup. Une seule chose me contrariait un peu, dans ce choix de Séraphine : c’était l’obligation où vous vous trouviez de l’éloigner de sa mère ; mais celle-ci, d’après ce que vous avez raconté à Félicité, ne me semble pas très intéressante : il y a donc moins de regrets à avoir, de déterminer cette séparation.

Je tiens à vous dire, ma bonne Eugénie, combien je reçois de félicitations sur mon mariage : les personnes qui vous connaissent savent bien ce qu’elles font, en m’adressant leurs compliments, et je les reçois avec bien de la joie : ceux qui ne vous ont jamais vue, savent bien ce qu’ils doivent penser de vous, ma chère cousine, quand nous leur parlons des rapports si nombreux qui existent entrer vous et Félicité. Beaucoup de ceux qui apprennent cette nouvelle, n’en témoignent aucun étonnement, ayant souvent pensé que cet évènement pourrait bien avoir lieu.

Nous avons appris hier que Mlle Pauline Brémontier doit épouser un M. Philippon[8], capitaine d’artillerie : Mme Brémontier[9] paraît très heureuse de ce projet : il est bien à espérer que cette union ne se célèbrera pas au même moment que la nôtre, car j’attache le plus grand prix, comme vous, à avoir Auguste auprès de nous, ce jour-là. Voilà Pauline Comte, qui va faire un très joli mariage à Marseille : elle doit épouser un M. Taylor[10], fils d’un anglais, très habile constructeur de machines.

Veuillez bien dire à mon bon oncle, que ma mère compte très prochainement lui écrire, pour lui parler de l’aimable attention qu’il veut bien avoir pour M. Delaroche[11], en l’invitant à aller à Lille : je serai bien heureux, pour ma part, s’il peut assister à notre mariage. Veuillez bien lui dire aussi que, quoique le rapport sur mon travail à l’Institut ne soit pas fait, je pourrai passer mon examen dès que j’aurai obtenu, ce qui n’est qu’une affaire de forme, une dispense d’inscriptions prises à la Sorbonne.

Si vous parlez à ma tante[12] de cette lettre, veuillez bien, ma bonne cousine, être auprès d’elle l’interprète de sentiments dont j’espère bien qu’elle ne doute pas, et assurez-la bien de tous les efforts que je ferai pour vous rendre heureuse.

Alfred Duméril[13], qui réussit parfaitement à son collège, et à qui nous nous attachons beaucoup, a bien de l’affection pour vous ; et il se réjouit beaucoup de votre venue parmi nous.

Caroline[14], qui vous aime tant, parle aussi bien souvent de cette époque. Quant à la joie que cause à mes parents la douce perspective de vous avoir près d’eux, elle est extrême : elle n’est troublée que par le regret de vous éloigner de mon cher oncle, qui, nous l’espérons, viendra souvent nous visiter.

Adieu, ma bien chère cousine, recevez la nouvelle expression de mon tendre attachement, et de la vive affection que vous porte votre heureux cousin, qui trouve un grand bonheur à se dire votre tout dévoué fiancé.

A. Aug. Duméril.

Embrassez bien pour moi, je vous prie, mon cher et bon oncle.


Notes

  1. Auguste Duméril (l’aîné).
  2. Voir les adresses des Duméril à Paris.
  3. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste, et sa femme Félicité, sœur d’Eugénie.
  4. André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche.
  5. Pauline Elise Delaroche et son mari Charles Latham.
  6. Le châle de cachemire triomphe encore sous le Second Empire, avant de passer de mode. C’est une pièce caractéristique des atours de bon ton, réservé aux femmes mariées : « Chacun sait que, quelle que soit la dot d’une demoiselle, sa mise doit toujours, dans la forme comme dans les ornements, offrir moins de recherche et moine d’éclat que celle des dames mariées. Les châles cachemires, les très riches fourrures, les diamants lui sont interdits, ainsi que diverses autres parures brillantes. Les jeunes personnes qui bravent ces convenances si sensées donnent à croire qu’elles sont possédées de l’amour effréné du luxe, et se privent du plaisir de recevoir ces parures de la main d’un époux. » Madame Celnart, Nouveau Manuel complet de la bonne compagnie…, Paris, 1863 (cité par Philippe Perrot, Les Dessus et les dessous de la bourgeoisie…, Fayard, 1981, p. 185).
  7. Charles Auguste Duméril, frère d’Eugénie, et sa femme Alexandrine Brémontier, dite Adine.
  8. Louis Adolphe Philippon.
  9. Alexandrine Colombe Tarbé de Vauxclairs, mère de Pauline Brémontier.
  10. Philip Taylor, fils de Philip Taylor l’aîné.
  11. Michel Delaroche, oncle maternel d’Auguste.
  12. Alexandrine Cumont.
  13. Alfred Duméril, né en 1825, étudiant en lettres, fils de Florimond (l’aîné).
  14. Caroline Duméril, 6 ans, nièce d’Auguste et d’Eugénie.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, p. 340-348

Pour citer cette page

« Vendredi 17 mars 1843. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à sa cousine et fiancée Eugénie Duméril (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_17_mars_1843&oldid=35810 (accédée le 25 avril 2024).

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