Samedi 8 et dimanche 9 décembre 1877

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


original de la lettre 1877-12-08 pages 1-4.jpg original de la lettre 1877-12-08 pages 2-3.jpg


Samedi soir

Ma chère Marie

Tu te trompes bien ma grosse chérissima en croyant que mon petit bobo au pied m’a laissé quelques idées noires. Pour si peu je ne me vois pas encore perclus & sans ma promesse de vous dire jusqu’aux moindres petits riens concernant ma grosse personne je n’en aurais certainement pas parlé ; jamais je ne me suis mis en tête que cette petite douleur pouvait donner quelque chose de sérieux, je m’attendais à le voir disparaître comme il n’a pas manqué de le faire.

Il n’en est plus question, car je t’assure qu’aujourd’hui j’ai pas mal marché à la fabrique où j’étais par deux fois à peu près partout, & c’est le commencement de l’exécution d’un projet c’est d’être un peu plus à l’affaire que je ne l’ai été depuis quelques années ; cela va assez mal pour cela pour que l’on se remue un peu plus. Qui plus est cela ne me fera aucun mal bien au contraire ; c’est aussi ton avis ?

Nous avions cette nuit un vent comme l’on n’en entend pas souvent. heureusement qu’il n’y a pas de dégâts. Il ne fait pas froid du tout il a neigé un peu dans la journée mais c’est à peine si les flocons arrivaient à terre avant d’être en Eau. Ce temps en somme est bon, les ouvriers peuvent travailler dehors & les pauvres ne souffrent pas du froid, si pour les rhumatisants ce temps humide n’est pas ce qu’ils désireraient, c’est le petit nombre & le froid ne leur est guère meilleur.

Je suis seul dans mon petit salon que tu connais devant une tasse de thé petit excès que je me donne volontiers, l’ami Georges[1] est en route pour la Capitale où il va passer une 8ne de jours, avec son ami Jules Scheurer sans autre but à ce que sache que de respirer l’air de Paris. Que bon bien lui fasse.  

Léon[2] passe ses soirées auprès de Marie & sa mère[3] qui généralement ne rentre que fort tard chez elle.
Vous saviez que Mlle Bernard[4] a passé quelques jours auprès de la petite Malade elle vient de rentrer à Mulhouse ce matin, avec plaisir je suppose car elle n’avait pas beaucoup de distractions à Vieux-Thann. elle couchait chez Mme Stackler le soir les matins elle venait seule chez Marie.
Cette dernière va bien, elle n’a pas grand appétit, elle circule maintenant un peu dans la maison, mais à condition de ne pas s’exposer aux courants d’air, ni au froid. J’ai passé hier une heure avec ces dames & n’ai pas du tout trouvé mauvaise mine à Marie. c’est une allumette mais c’est dans sa nature & elle le restera.

Somme toute, le bulletin des santés ne laisse rien à désirer dans toute la petite colonie Vieux-Thannoise, l’Oncle[5] continue à venir lire son Journal tous les matins, espérant y trouver une détermination quelconque du Maréchal[6].
Il est impatient comme nous tous car cette indécision a une assez grande action sur les affaires qui ne sauraient être plus nulles. A Mulhouse l’on est bien découragé, mais aucune fabrique ne s’est fermée que celle de M. Hofer[7] de Morschwiller de sorte que la misère n’est pas encore grande. La grande misère mais elle est bien inquiétante est la mauvaise éducation de nos garçons surtout.

Notre pauvre curé[8] n’en peut plus & il a déjà parlé de demander son changement pour ce fait. Si ce malheur n’existait qu’ici même seulement dans les villes de fabrique, le mal tout grand ne serait pas si inquiétant, mais à ce que l’on m’assure il est assez général & plus grand en Allemagne qu’en France.

M. Jeaglé[9] ira à Bâle Lundi pour voir un jeune Suisse qui doit entrer au bureau pour faire la correspondance allemande[10]. M. Jeaglé a trop à faire il faut qu’il se décharge d’une partie de sa besogne. il lui en restera encore assez. Mais ce sera la seule figure nouvelle que vous verrez lorsque vous viendrez, par contre vous ne trouverez plus M. Louis Buisson de Morschwiller qui nous quitte.
L’on me dit que Mlle Gros[11] de Cernay que tu connais je crois, l’aînée, se marie avec un anglais employé à Mulhouse. Cela a-t il quelqu’intérêt ?

Sœur Bonaventure m’a fait dire par Thérèse[12], qui était à Thann ces jours derniers pour se faire arracher une dent, qu’elle ne sait comment elle passera l’hiver. Que je dois aller lui donner un conseil.
Cette bonne sœur est dans les plus mauvaises conditions possibles, avec cela beaucoup trop d’enfants. Du reste elle est presque toujours souffrante même malade. Dernièrement je lui ai fait donner 100 F pour acheter sa choucroute.

Emilie Sussenthaller n’est plus femme de Chambre, la voilà de nouveau à la fabrique & pour longtemps je pense. L’on a dû expédier une pièce cretonne à une amie de Cécile[13], commission donnée à Thérèse.

amitié à tous, bec à Emilie[14] & tout à toi ton père qui t’aime comme tu ne l’ignores pas
ChsMff

Léon m’a dit ce matin Dimanche que Marie n’a pas passé une trop bonne nuit. cependant elle se lèvera & je dîne chez elle. Au moulin[15] l’on va bien bon-papa vient régulièrement 2 fois par jour ici.
ce matin un temps délicieux de printemps.


Notes

  1. Georges Duméril.
  2. Léon Duméril, époux de Marie Stackler (« la petite malade »).
  3. Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
  4. Probablement Elisa Louise Bernard.
  5. Georges Heuchel.
  6. Le 16 mai 1877 le maréchal Edme Patrice Maurice de Mac Mahon, président de la République, provoque une crise institutionnelle en nommant un chef de gouvernement monarchiste alors que la Chambre des députés élue en 1876 est en majorité républicaine. C’est seulement le 13 décembre 1877 que Mac-Mahon reconnaît sa défaite politique.
  7. La fabrique d'Édouard Hofer.
  8. Louis Oesterlé, curé à Vieux-Thann de 1875 à 1881.
  9. Frédéric Eugène Jaeglé.
  10. Emile XX ? (voir lettre du 9 décembre 1878).
  11. Lucile Gros épouse Alfred von Glehn le 15 avril 1878.
  12. Thérèse Neeff, cuisinière chez Charles Mertzdorff.
  13. Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  14. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  15. Au Moulin vivent Louis Daniel Constant Duméril (« bon-papa ») et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 8 et dimanche 9 décembre 1877. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_8_et_dimanche_9_d%C3%A9cembre_1877&oldid=42809 (accédée le 26 avril 2024).

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