Dimanche 9 décembre 1877

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1877-12-09 pages 1-4.jpg original de la lettre 1877-12-09 pages 2-3.jpg


Mon cher Papa,

Voilà enfin le soleil revenu j’espère que c’est toi qui nous l’envoies ; dans tous les cas s’il nous reste vous ne tarderez pas à le recevoir aussi et alors avec le soleil plus de douleurs, tu sais.
J’espère que tu dis cela depuis longtemps mais alors pourquoi ne le savons-nous pas ? Sais-tu mon père chéri, que tu ne nous as pas écrit depuis Lundi, près de 8 jours sans nouvelles ; même pas un pauvre petit mot pour nous dire ce que tu deviens. Que devons-nous penser ? J’aime à croire que c’est parce que ne sortant pas tu t’es mis en retard pour bien des choses et puis peut-être aussi parce que tu te dépêches pour venir nous voir. Le mois de Décembre marche vite c’est aujourd’hui le 2e Dimanche de l’Avent, quinze jours encore et nous serons à Noël. Quel bonheur de te revoir et cette fois pour longtemps.

Que n’ai-je à te dire ? Vendredi après avoir terminé mon épître je me suis habillée grande vitesse et nous avons été chez Mme Roger[1] qui nous a beaucoup grondées et nous le méritions du reste car nous avions fort mal travaillé ; figure-toi que nous ne savons presque plus notre morceau à 2 pianos ! Cette pauvre Mme Roger prétend que toutes ses élèves travaillent très mal en ce moment, sa seule consolation est Louise d’Andecy[2] qui réussit au piano comme à autre chose. Nous sommes rentrées directement pour travailler.

Hier Samedi nous avons eu une journée bien remplie je t’assure.
A 11h nous sommes parties avec oncle[3] qui nous a déposées chez Mme Dumas[4] où tante[5] se trouvait depuis le déjeuner ; elle est toujours dans son lit et très souffrante mais M. Dewulf[6] dit que ce n’est que du rhumatisme. En attendant elle ne mange pas. De là nous avons été au cours où j’ai assisté à la leçon de géographie pendant que tante explorait le Bon Marché ; cette pauvre tante, voilà ses courses si fatigantes du jour de l’an qui recommencent et elle se met de nouveau en quatre pour tout le monde ; aussi, quoiqu’elle en dise je la trouve très fatiguée, elle a fort mauvaise mine et a un gros rhume ce qui ne l’empêche pas de faire toutes choses comme de coutume.
A 1h tante est venue me rechercher et nous avons été ensemble chez le dentiste[7] où nous avons eu la chance de ne pas attendre. Il m’a beaucoup travaillée.

On m’a arraché une vieille racine qui entretenait de l’irritation et qui pouvait devenir nuisible à ma mâchoire ; et puis on m’a pansé et plombé d’autres dents.

Eh ! bien, papa, t’es-tu aperçu du changement de fille ? Marie a quitté sa lettre pour goûter et après elle a pris ma place au piano avec Jeanne[8] parce que Marthe[9] est arrivée et que toutes les deux nous nous sommes mises à dessiner. C’était un spectacle vraiment charmant que de voir ces quatre jeunes filles se délassant de l’aridité des études classiques pour en se livrant aux arts d’agrément deux par deux. Nous prétendions être revenues au temps de Berquin[10] ou de Bouilly[11] et il me semble qu’on représente de pareils spectacles dans les contes à ma fille.

Papa je suis enchantée parce que je me suis un peu relevée au cours d’anglais. A ma grandissime surprise j’ai été première en dictée avec 8 fautes, Henriette[12], seconde avec 10 et Marie[13] n’a été que 3e de sorte que j’ai gagné tout un cachet sur elle ; et puis j’ai aussi été première en récitation des vers et de la leçon ce qui m’arrive assez rarement.

Adieu, mon père chéri, je t’embrasse de tout mon cœur et bien bien fort, ainsi que bon-papa et bonne-maman[14] sans oublier tante Marie[15]
Ta fille qui t’aime,
Emilie


Notes

  1. Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeur de piano.
  2. Louise Poulain d'Andecy.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
  7. E. Pillette, dentiste.
  8. Jeanne Brongniart.
  9. Marthe Pavet de Courteille.
  10. Arnaud Berquin (1747-1791), pédagogue, journaliste et écrivain,
  11. Jean Nicolas Bouilly (1763-1842), auteur de Contes à ma fille (vers 1820).
  12. Henriette Baudrillart.
  13. Marie Mertzdorff.
  14. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
  15. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 9 décembre 1877. Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_9_d%C3%A9cembre_1877&oldid=42452 (accédée le 24 avril 2024).

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