Samedi 20 décembre 1794, 30 Frimaire an III

De Une correspondance familiale

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à son père François Jean Charles Duméril (Amiens)

lettre du 20 décembre 1794, recopiée livre 1 page 167.jpg lettre du 20 décembre 1794, recopiée livre 1 page 168.jpg lettre du 20 décembre 1794, recopiée livre 1 page 169.jpg


n°78

Rouen le 30 Frimaire an troisième de la république

Papa

Depuis huit jours, je remets au lendemain le besoin que j'ai de vous écrire, je suis dans un moment très critique pour mon existence morale, et je n'ai jamais eu un besoin plus pressant de vos avis. La convention a établi trois écoles de santé, dont une à Paris, je ne vous détaillerai pas les avantages qui en résulteront pour les élèves ; je vous prie de consulter le décret, vous le trouverez dans le bulletin des Lois N°96.

Ne semblerait-il pas que vous eussiez agi dans les vues du comité d'instruction publique en me donnant l'éducation. Je sais ma langue, le latin, un peu de grec, les mathématiques, les principes de la physique, de l'histoire naturelle, la chimie, la botanique, l'anatomie et la chirurgie : et telle est l'éducation demandée. Jusqu'ici, vous avez voulu mon bien-être, et j'en ai des preuves, vous avez su démêler dans mes goûts l'état qui m'était propre, et vous ne vous êtes pas trompé. Je crois avoir profité des maîtres que vous m'avez donnés, et je me suis procuré une double satisfaction : celle d'être content de moi, et de vous contenter sans les revers de la révolution. Votre intention était de m'acheminer vers la médecine, mais en vain, j'en ai senti les causes, J'ai fait pour moi ce que les circonstances vous privaient de faire. J'ai travaillé, vous le savez, oui bien travaillé... Je me vois démonstrateur d'anatomie, sans vous avoir gêné autant qu'il était en moi.

Mais il n'est qu'un moyen de parvenir dans la science qui m'occupe ; celle de paraître sur le grand théâtre. Une nouvelle carrière s'ouvre et je dois m'y lancer. Ce ne serait pas à moi de vous le dire, mais il faut que vous le sachiez, je démontre l'anatomie avec un succès qui n'est pas celui d'un jeune homme de 21 ans et de trois ans d'étude. Hier encore j'ai reçu des compliments de 20 personnes, capables de juger, au sortir de ma leçon. Si mes dispositions sont toujours les mêmes, et si j'ai la facilité de m'instruire autant que je le désire, je puis espérer une des premières places dans l'art de guérir. Je ne vous parle pas, d'après moi, ce sont les propres <termes> du Citoyen Laumonier, mais que ceci ne vous passe pas. J'aurais bien des avantages à Paris. J'ai des recommandations très fortes, auprès de Desault, de Pelletan, de Sabatier, et de Richard[1], quatre des professeurs. Je suis connu de Fourcroy sous un très bon rapport. C'est la société d'Émulation qui lui a fait passer un de mes mémoires. Le frère de la citoyenne Thillaye[2] est aussi professeur et je sais quelque chose. Mes appointements seraient de 1 200ll, somme modique, qui ne pourra probablement pas me suffire à Paris. Je serais fâché de vous gêner, et cependant, j'aurai besoin d'aide pendant ces trois années. Trop heureux si je pouvais aider par la suite ! Le mode de nomination me réussirait probablement ici cependant voici un moyen.

Informez-vous à Amiens des officiers de santé qui seront nommés pour élire ; et du jour qu'ils doivent faire leur choix. Je pourrai me présenter à Amiens et disputer la place. Je suis gelé, j'ai les doigts raides et ne peux plus écrire, j'écrirai demain à maman[3] si j'ai un moment.

Je vous embrasse.

Votre fils Constant Duméril.


Notes

  1. Le copiste a écrit Thipart, mais il s’agit vraisemblablement de Louis Claude Marie Richard, également cité dans la lettre du 3 février 1795 comme adjoint de Peyrilhe, professeur de « Matière médicale et botanique ».
  2. Plus probablement son beau-frère, Jean Baptiste Jacques Thillaye.
  3. Rosalie Duval.

Notice bibliographique

D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 1er volume, p. 167-169

Pour citer cette page

« Samedi 20 décembre 1794, 30 Frimaire an III. Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à son père François Jean Charles Duméril (Amiens) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_20_d%C3%A9cembre_1794,_30_Frimaire_an_III&oldid=35447 (accédée le 21 novembre 2024).

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