Samedi 17, dimanche 18 et lundi 19 mars 1877

De Une correspondance familiale


Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)


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Ma chère Marie

Samedi soir. J’ai reçu ta bonne petite lettre ce matin. Si vous vous réjouissez de revoir Vieux-Thann tu comprends quel plaisir j’aurai, moi, à vous revoir à la maison & si les murs savaient parler ils en diraient tout autant.

Oncle Léon[1] vient d’envoyer les papiers nécessaires pour ses publications de bans le voilà affiché à Vieux-Thann & nous ne voyons pas d’empêchement pour que le samedi 7 M. Zimmermann[2] prononce son [ ] & le 9 la cérémonie à l’Eglise de [Vieux-Thann] où on attend le curé[3] qui est à Berlin en ce moment.
D’après les renseignements pris, il y aura 6 demoiselles d’honneur, vous deux[4] compris, l’une d’elles de Dijon est encore plus jeune qu’Emilie, par contre dans le nombre il s’en trouve de plus respectables que toi.
Léon me dit qu’il y a 5 garçons d’honneur le 6e est à trouver.
Le dîner chez les Miquey[5] est de 45 couverts, l’on dansera le soir dit-on, mais les mariés se sauveront dès qu’ils pourront pour [ ].
L’on ne pense pas [aller bien loin] mais ils visiteront [ ] Piémont pour rentrer par Nice & Lyon, tout cet itinéraire est sujet à des changements.

Quant à mon dîner, je ne m’en suis pas encore occupé ; j’aimerais bien avoir les Berger, si le nombre me le permet, car je ne sais pas le monde qui peut me venir de Mulhouse.
D’après bonne-maman[6] nous serions 35 ce qui est beaucoup pour notre salle à manger. Mais nous avons encore le temps d’étudier la chose, je chargerai Lehmann[7] de toute la besogne pour n’avoir rien à m’occuper que des vins.
Cette semaine je pense aller à Wattviller pour cette grosse affaire.

Vendredi Mme Stackler[8] a dîné ici. Ces 2 dames sont venues pour voir les progrès de l’appartement qui n’est pas bien avancé & surtout pour donner à la mairie son consentement de mariage. Mercredi lorsque j’ai dîné chez elle, elle m’a dit qu’elle ne viendrait qu’à la condition qu de ne pas dîner à Vieux-Thann ou de dîner à la fortune du pot. J’ai accepté cette dernière condition, mais comme à Vieux-Thann il n’y a pas de poisson, vous apporterez votre poisson avec vous, si vous venez un Vendredi. Je ne pensais pas être pris au sérieux. Ces Dames avaient un superbe turbot. Que l’on a déposé à la cuisine. Mais la pauvre Thérèse[9] n’avait pas de vase assez grand pour une pièce si belle, l’on a cherché si longtemps qu’à 11 ½ h seulement la pauvre bête a trouvé place dans une énorme terrine qui sert à préparer le miel et la cire, terrine monstre qui couvrait tout le fourneau [ ] pour y bouillir l’eau, etc. Enfin il était cuit à 1h & nous avons pu nous mettre à table. bonne-maman qui dînait avec nous était dans ses petits souliers pendant tout le temps que la cuisinière cherchait l’ustensile possible. Je ne sais pas si à [Mulhouse] l’on trouve, tout fait, une turbotière ? l’on me dit que c’est en fer blanc, comme malheureusement de mon temps, lorsque j’étais marmiton l’on mangeait peu de ces delicatessen je comprends ce qu’il faudrait mais serais assez embarrassé de le faire ici.
Si tante[10] voulait bien me soigner une marmite du genre turbot cela me ferait plaisir. si c’est trop embarrassant pour le transport, je tâcherai de trouver cela à Mulhouse. Cela nous permettra de manger quelquefois du poisson.

Cet après midi Thérèse la grand chef est venue me trouver dans mon bureau avec la liste de toutes les bonnes choses des marchands du Midi, il s’agissait de lui dire tout ce qu’elle devait prendre. Tu comprends mon embarras & combien j’aurais voulu que tu fusses là pour me tirer d’embarras. 8 jours plus tard, c’était ta besogne. J’ai dû le faire tant bien que mal, huile, cafés, pâtes & tutti frutti tout y a passé. Encore un peu & je serai excellente ménagère comme tu vois.

Bonne-maman a fait tout exprès voyage à Mulhouse pour y porter sa robe qui lui fait grand plaisir & il paraît que l’artiste couturière lui a persuadé qu’elle ne peut faire la robe sans traîne. Nous aurons donc le plaisir de voir Bonne-maman avec sa queue. Qui l’aurait cru ! N’oubliez pas le châle de bonne- maman  Desnoyers[11] car l’on y compte.
Pendant que j’y pense, pourrez-vous danser avec vos lourdes robes de velours ? Il paraît que vous toutes & moi devons prendre logis chez Mme Miquey c’est décidé & [cependant] il eut été si [ ] à l’hôtel où bon-papa & bonne-maman avec frère sœur & neveux vont loger. Pourquoi tant d’honneur pour nous ? Et je m’abstiens de faire d’autres réflexions car je risquerais d’être méchant.

Dimanche soir. j’étais persuadé hier au soir que demain Lundi tu me lirai, que dès le matin je me mettrai à finir mon petit griffonnage. Et tu vois que non & cependant je n’ai pas quitté la maison qu’un moment pour un petit tour au Jardin & la fabrique. Je dis comme toi, les journées passent & chaque soir l’on se demande pourquoi l’on a fait si peu.
Je t’assure que je ne me fatigue pas. Le petit train-train de fabrique, comme la maison n’a rien de bien tourmentant. La fabrique a plus de travail que nous pouvons produire, les constructions suivent lentement leur cours, très pianissimo, il est vrai mais depuis mon retour, le nouveau blanchiment vis-à-vis notre maison prend tournure, tout y est neuf, & je crois qu’il marchera en Mai comme je l’avais toujours soupçonné. & j’espère à notre entière satisfaction, car il me semble bien étudié & bien exécuté.

A la maison de même tout marche à souhait & vous la trouverez, je l’espère, assez en ordre, Thérèse se fait aider lorsque besoin est, par Emilie Sussenthaller, qui une bien brave & honnête fille ayant reçu une bonne petite éducation & qui se prête à tout. C’est elle qui raccommode & la voilà qui se met au repassage, car sachez que vous allez trouver tout d’une blancheur éblouissante, pas un rideau qui n’aura passé sous le fer. Pendant votre séjour ici Emilie sera votre femme de chambre, puis après elle retourne à son métier, sans plus de Cérémonie.
J’avais déjà pensé à votre piano mais hélas, ce n’est pas suffisant, car je n’ai pas encore agi, & je crains qu’il ne soit trop tard car il n’est pas facile d’avoir ces Messieurs les accordeurs. Dans tous les cas, que votre musique se trouve dans votre malle. Tu mettras 2 ou 3 de tes dessins dans les cahiers de musique pour les montrer à bonne-maman & le papa[12] les gardera devers lui.

J’espère que rien ne retardera votre venue & que samedi prochain vous vous mettez en route & dimanche matin je déjeune avec vous au Buffet de Mulhouse où vous trouverez sans doute encore des dames amies.
Décidément vous restez si, si peu de temps ici & serez tout en l’air que cela ne vaut presque pas le voyage & c’est ce qui me décide à écrire à Cécile[13] pour lui dire qu’elle ne vous accompagnera pas ce voyage-ci, elle viendra dans 5 mois & alors cela vaut au moins la peine. Je sais bien qu’elle en sera contrariée, mais ce c’est que raisonnable & il faudra bien qu’elle en prenne son parti.

Lundi Matin
Il parait que Nanette[14] notre ancienne cuisinière ne peut se faire en Algérie elle rentre décidément & la portière des Kestner sa correspondante doit lui chercher une position elle cherche à se placer. La pauvre femme a l’esprit si aigri qu’elle ne peut vivre avec personne. Je pense la revoir dès son arrivée car elle m’a laissé 1 400 F probablement déjà avec l’arrière-pensée de revenir. Mais la pauvre vieille se fait illusion à son âge il est bien difficile de se placer, car chez moi elle n’entrera plus.

Il pleut toujours la rivière est forte & ce temps abominable nous contrarie bien dans nos réparations de barrage. Du reste ce temps est mauvais pour la campagne. Jamais Mars n’a été si mouillé !

A l’instant je lis ta lettre d’hier. Oui l’on pense danser comme déjà dit mais ce ne sera qu’une petite soirée, l’on pense danser dans la salle même où l’on aura dîné. toujours chez Mme Miquey. Ainsi prenez ce qu’il faut pour cela. vous aurez votre chambre dans la maison même de sorte que le changement de décoration peut se faire facilement.
Si tu crois que je suis complètement renseigné, tu te trompes, Léon n’est pas très communicatif & il est peu au courant de ce que l’on fera.

Il paraît que la police de Mulhouse a vu un jeune homme sortir avec ces dames Stackler (c’était Léon) La police est arrivé chez elle prétendant que son fils[15] était déjà ici etc etc etc.... tu vois que nous sommes tous bien gardés. les braves gens ! Mme Stackler doit aller aujourd’hui avec un ami chez le Kreis[16] pour cet objet, heureusement que la police est dans l’erreur & l’on compte faire compliment à l’honnête Kreis de sa trop grande vigilance.

Mais je bavarde & il est grand temps de vous embrasser tous & de clore non sans vous dire que je me réjouis bien de vous revoir dans quelques jours.
ton père qui t’aime
ChsMff
Lundi 19 Mars 77.


Notes

  1. Léon Duméril.
  2. Thiébaut Zimmermann, maire de Vieux-Thann.
  3. Louis Oesterlé est curé à Vieux-Thann de 1875 à 1881.
  4. Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
  5. Étienne Miquey et son épouse Joséphine Fillat.
  6. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  7. Charles Xavier Lehmann.
  8. Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler, accompagnée de sa fille Marie Stackler.
  9. Thérèse Neeff, employée de Charles Mertzdorff.
  10. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  11. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  12. Charles Mertzdorff lui-même.
  13. Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  14. Annette, partie rejoindre son fils à Dellys.
  15. Henri Stackler, qui fait des études de médecine à Paris.
  16. Kreisdirektor : directeur de district.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 17, dimanche 18 et lundi 19 mars 1877. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_17,_dimanche_18_et_lundi_19_mars_1877&oldid=43223 (accédée le 19 avril 2024).

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