Mercredi 24 février 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre)


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Paris 24 Février 1858

Je t'assure que c'était avec une grande impatience que j'attendais ta lettre, ma chère Isabelle, et j'avais vraiment peur que tu ne fusses souffrante car je suis bien sûre qu'il faut un vrai motif pour t'empêcher de venir faire un petit bout de causerie avec moi. Malgré tout je te remercie bien du sacrifice que tu m'as fait en sacrifiant 1 bonne heure et demie de sommeil en ma faveur et j'ai été bien contente Lundi matin en voyant ton écriture ; tout ce que je regrette, c'est que tu n'aies pas attendu un instant de plus pour faire descendre en ville car alors tu aurais pu me donner des nouvelles sur l'arrivée à bon port du petit carton que j'avais mis à la poste la veille, et qui, quoique sans raison, me donnait un peu d'inquiétude. Tu auras eu de mes nouvelles par Mathilde[1] à qui je devais une lettre depuis longtemps et tu es au courant de ce que j'ai fait et vu car il ne s'est absolument rien passé de nouveau que ce que j'ai raconté à notre petite cousine. Ma vie quoique sans événements me paraît fort bien remplie depuis que je sors, que je vais et viens et suis en bonne santé. Nous avons des mariages de tous côtés, mais pour ma part il n'y en a aucun qui me touche de bien près ou du moins qui me trouble beaucoup.

Celui qui m'occupe davantage dans ce moment, c'est celui d'Alexandrine, notre bonne. Il y en a pour tout le monde n'est-ce pas ? nous sommes tristes de ce qu'elle va nous quitter car voilà 6 ans 1/2 qu'elle est chez nous et maman[2] qui l'a eue toute jeune l'a pour ainsi dire élevée ; d'un autre côté son mariage nous fait plaisir pour elle car elle a, je crois, beaucoup de chances de bonheur. Elle épouse le beau-frère de notre blanchisseuse que nous connaissons depuis longtemps comme étant d'une très brave famille.

Le second mariage en question est celui d'Ernest Duméril[3], le frère jumeau d'Alphonse. Ce garçon-là a un bonheur qui ne lui fait jamais défaut ; après avoir fait son chemin d'une manière étonnante, le voilà qui épouse une jeune personne charmante, riche d'une très bonne famille, et qui en outre le trouve complètement à son goût à ce qu'il paraît. La noce aura lieu je crois au mois de Juillet.

Enfin la troisième affaire de ce genre concerne Mlle Quesnel[4] qui épouse un jeune homme que j'ai beaucoup connu dans ma jeunesse mais que j'ai perdu de vue, il est vrai depuis plusieurs années. Il a nom Arthur Blacque et était le frère de Mme Isidore Geoffroy St Hilaire, du Jardin des Plantes. Il est grand, pâle, et a, dit-on, une longue barbe noire. Les jeunes gens se sont connus tout à fait par hasard, en chemin de fer, puis se sont revus en visitant l'usine de Fourchambault ; Arthur y a toujours pensé depuis, s'est fait donner une affaire pour Le Havre qui l'a mis en rapport avec M. A.Q[5]., a été invité à leur bal, a été si aimable, que toute votre jeunesse l'a aussitôt désigné comme un prétendu pour Mlle C., puis les Q.[6] sont venus à paris et l'affaire a été conclue en 48 heures. Le soir Mlle C. était au bal avec un gros bouquet blanc à la main et Arthur était à ses côtés et la soirée finie chacun savait que Mlle C.Q. allait devenir Mme A.B. Et voilà l'histoire ma chère enfant, et voilà comment les choses les plus importantes de la vie semblent dépendre de bagatelles et de choses inattendues pour les gens du monde, mais pour nous n'est-ce pas ? la volonté du Seigneur est partout et les choses les plus simples en apparence sont ordonnées par Lui.

Vos jeunes gens du Havre doivent être un peu vexés de voir leur échapper ainsi une jeune et riche personne.

A propos, la dame que je t'ai dit être venue l'autre Dimanche à la maison était Mme Dollfus[7] et non pas Mme Duval[8], je n'ai aucune nouvelle de cette dernière ; j'ai aperçu, l'autre jour, Lucie[9] au mariage d'Isabelle[10] mais n'ai pu lui parler quoiqu'elle m'ait fait deux bonjours très gracieux. As-tu goûté aux dragées du baptême de Mlle Marianne[11] ? Fernand[12] en a envoyé une boîte à bon-papa[13] ; je ne sais qui était la marraine.

Les traces de la blessure de bon-papa disparaissent chaque jour, mais tu comprends combien nous avons eu un moment d'émotion. Adèle[14] est toujours à peu près de même, hier ça la tenait dans les reins et elle marchait pliée en deux ; elle te remercie de ton souvenir amical.

Les doigts d'Eugénie[15] sont mieux mais elle a bien souffert au point d'en avoir la fièvre. Aujourd'hui elles[16] viennent toutes deux passer l'après-midi au coin de mon feu et dînent ici ; tu vois que nous ne faisons guère pénitence pour notre carême.

Léon[17] travaille à mort dans ce moment, car voilà l'examen qui approche à pas de géant ; il a des leçons de latin et de mathématiques et en profite le mieux qu'il peut. Il est toujours bien gentil de caractère et fort agréable dans ses rapports avec moi.

Je pense qu'Edmond[18] est bien près de son retour s'il n'est déjà chez de vous ; je l'en félicite. J'espère que sa tournée aura bien réussi et qu'il se sera amusé.

J'ai fini de lire Dynevor Terrace[19], mais je ne sais comment te le renvoyer ; si Mme Maneyre est impatiente de les avoir, dis-le moi, je les mettrai à la poste pour 10 sous environ car c'est au poids. Je trouve cet ouvrage très intéressant, le second volume surtout, tes notes m'ont bien amusée à trouver et je t'en remercie, il me semblait presque que tu lisais avec moi. Je les effacerai.

As-tu quelque soirée en vue ? est-ce tout à fait fini pour les Labouchère ? A Paris on fait peu d'attention au Carême pour les bals, et j'ai entendu dire que ça ne commençait que maintenant. J'espère que je suis bonne princesse et que je ne te fais pas attendre trop longtemps une réponse, je te le répète merci pour ta causerie mais ne les fais pas tant désirer ou du moins ne laisse pas tant d'espace entre elles.

Voilà je crois mon sac vidé et il ne me reste rien à te dire de neuf, je me borne donc à te répéter ce que tu sais bien, mais ce qui, je trouve fait toujours plaisir : Je t'aime beaucoup, t'embrasse bien fort et suis ton amie et cousine dévouée

Crol

O X V

Dis-moi n'est-ce pas si mon petit bonhomme de paquet a bien fait son voyage, j'en suis inquiète, si le temps te manque pour prendre la plume, Lionel[20] ne peut-il m'écrire deux mots ?

Nothing new about the matter. No news from M.[21]; must I owe you that I am very glad of it I hope it is finished and wish many good things to the dear gentleman.


Notes

  1. Louise Mathilde Pochet.
  2. Félicité Duméril.
  3. Le 22 février, André Marie Constant Duméril a fait la demande de mariage pour son neveu Ernest (son père Florimond Duméril l’aîné étant décédé en 1857) auprès des parents de Marie Marchand de Lavieuville. Mais le projet est rompu en octobre. Ernest Duméril (1827-1903) se marie en 1865 avec Mathilde Renard (1848-1939).
  4. Marie Julie Cécile Quesnel (1838-1907) épouse en effet Arthur Louis Philippe Blacque-Belair (1830-1892) le 28 avril au Havre. Par sa sœur Louise (1809-1855), il est le beau-frère d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.
  5. Alfred Prosper Quesnel, père de la demoiselle.
  6. Alfred Prosper Quesnel et son épouse Marie Sophie Delaunay.
  7. Noémie Martin, veuve de Frédéric Dollfus.
  8. Probablement Octavie Say, épouse de Charles Edmond Raoul-Duval.
  9. Lucy Raoul-Duval, fille de Charles Edmond, épouse de Louis Sautter.
  10. Le 10 février 1858, Isabelle Dunoyer a épousé François Albert Degrange Touzin.
  11. Marie Anne Raoul-Duval, née en 1857, petite-fille de Charles Edmond.
  12. Fernand Raoul-Duval.
  13. André Marie Constant Duméril.
  14. Adèle Duméril, cousine de Caroline.
  15. Eugénie Desnoyers.
  16. Eugénie et sa sœur Aglaé Desnoyers.
  17. Léon Duméril, frère de Caroline.
  18. Edmond Latham, frère d’Isabelle.
  19. Dynevor Terrace or the clue of life (1857), roman de Charlotte Mary Yonge.
  20. Lionel Henry Latham, jeune frère d’Isabelle, né en 1849.
  21. Allusion au projet du mariage de Caroline avec Charles Mertzdorff. Voir lettre du 30 et 31 mars 1858.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 24 février 1858. Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_24_f%C3%A9vrier_1858&oldid=59540 (accédée le 21 novembre 2024).

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