Mardi 30 et mercredi 31 mars 1858

De Une correspondance familiale

Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre)

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Mardi 30 Mars 1858

Pardon ! pardon ! ne te fâche pas, ne me gronde pas, ne me boude pas, ne me punis pas car je reconnais ma faute, humblement je l'avoue ; en tremblant, je demande à en être accusée ; 15 jours sans écrire ! quel crime abominable mais au lieu de mourir, je trouve que le meilleur moyen d'expier mon forfait, c'est de prendre ma plume et mon papier et de t'envoyer une bonne petite causerie qui, je l'espère, préviendra l'orage. Un seul mot d'excuse et d'explication l'affaire M.[1] a reparu sur l'horizon, d'une manière plus grave, tant d'idées se sont pressées dans ma tête depuis 10 jours que je ne pouvais y faire entrer autre chose ; je ne te donne pas d'explication car les écrits restent ; je suis bien contente que l'oncle H.[2] ait été ici ; il est si bon, si affectueux et de si sage conseil, pourtant rien n'est fait, retiens-le, seulement en < >.

Que n'es-tu ici ma petite Isabelle car je te dirais tout, mais pour toi. Je suis bien agitée, bien préoccupée peut-être pour rien et le bon Dieu seul sait ce qui m'est réservé.

Ta lettre m'a fait grand plaisir, tu le savais bien car tu sais comme tout ce que tu fais ou ce qui t'occupe m'intéresse. Tu es bien, bien gentille dans ta si gracieuse manière de m'inviter à aller au Havre ; si cela se pouvait, ce serait un vrai bonheur pour moi, car je l'aime tant cette chère Côte[3] et ses habitants ; j'y ai été si heureuse qu'en tous cas elle restera dans mon esprit et même dans mon cœur comme un de ces bons et doux souvenirs qu'on aime à retrouver et à reprendre lorsque quelqu'une des traverses de cette vie vous mène aux idées noires et qu'il faut un beau rayon de soleil pour les chasser.

Ce qui me réjouit fort, c'est de penser que toi, tu vas nous venir il faudra tâcher de nous voir beaucoup et comme moi je ne suis toujours pas des plus solides, c'est toi ma vieille qui viendra t'installer dans ma petite chambre, cette semaine on lave mes rideaux ce que ma maladie avait rendu très nécessaire et je vais être toute blanche et fraîche pour recevoir ma chère petite cousine que ce sera si bon d'écouter, d'embrasser, de taquiner et de fatiguer de bavardages.

Il me semble que je n'ai pas grand chose à te dire parce que dans ce moment, pour moi, tout ce qui ne se rapporte pas à la chose, n'est pas une chose, tu comprends ? je n'ai rien fait, rien vu, mais j'ai beaucoup entendu et pour mon malheur le petit bec de ma plume ne peut tout te répéter. Nos Dimanches ont été fort calme, une fois l'oncle Henri a dîné à la maison mais il n'y a eu presque personne le soir. Je ne suis pas du tout sortie que pour aller chez mes amies[4] qui ont aussi la tête fort à l'envers elles ont pourtant retrouvé assez de bon sens pour me charger de mille choses pour toi, elles sont fort contentes de penser qu'elles te verront.

Tout ce que tu m'as raconté sur ta pauvre femme m'a intéressée et bien touchée : pauvre créature ! combien il doit être dur de penser qu'on laisse après soi un petit être abandonné, il n'y a que Dieu qui puisse donner le courage nécessaire pour soutenir d'aussi rudes combats.

Le mariage Q.[5] est retardé n'est-ce pas ? ils ont perdu un oncle, et Arthur a été souffrant. Le carême passé, vous allez ravoir des soirées, sans doute car le printemps n'est pas bien avancé ; ce sera joliment agréable pour toi d'avoir Edmond[6].

Mercredi

Hier mes amies sont venues ; nous avons eu M. Fröhlich à dîner et ma lettre n'a pu partir, si je t'ai écrit promptement la dernière fois, cette fois-ci est une triste compensation ; décidément je ferme et j'envoie seulement une recommandation il n'y a rien de fait pour ce que tu sais je t'en prie ne laisse pas trotter l'imagination. Au revoir, mille pardons et tendresses et sois sûre de l'amitié de ta

vieille Crol.

Je te promets un bon dédommagement la semaine prochaine

X O


Notes

  1. Par cette initiale, Caroline Duméril désigne Charles Mertzdorff qui doit lui être présenté comme son futur époux.
  2. Henri Delaroche, négociant au Havre est en fait un cousin de Caroline. Il est le seul fils de Michel Delaroche (décédé en 1852) qui joua souvent le rôle de conseiller auprès des Duméril.
  3. Les familles Delaroche et Latham résident au Havre, dans le quartier dit de La Côte.
  4. Eugénie et Aglaé Desnoyers.
  5. Le mariage de Marie Julie Cécile Quesnel avec Arthur Louis Philippe Blacque-Belair sera finalement célébré au Havre le 28 avril.
  6. Richard Edmond Latham, frère d’Isabelle.

Notice bibliographique

D’après l’original. Cette lettre a été publiée dans le livre Ces bonnes lettres (A. Michel, 1995)

Pour citer cette page

« Mardi 30 et mercredi 31 mars 1858. Lettre de Caroline Duméril (Paris) à sa cousine Isabelle Latham (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_30_et_mercredi_31_mars_1858&oldid=40977 (accédée le 20 avril 2024).

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