Mercredi 16 et jeudi 17 novembre 1881

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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16 Novembre 1881

Mon cher Papa,

N’ayant pas eu de nouvelles de vous depuis Dimanche, j’en conclus qu’elles continuent à être bonnes et qu’Hélène[1], aussi bien que sa maman[2], ne vous cause plus aucune inquiétude. Et toi mon bon Père, est-tu enfin tout à fait débarrassé de ton rhume ? Il me semble qu’il t’a tenu bien longtemps et je suis bien contente que tu aies pu en finir avec lui avant de te mettre en route pour Nancy[3].

J’ai vu avec joie dans la dernière lettre que tu as écrite à Marie[4] et qu’elle a reçue Dimanche, que tu ne rejettes pas notre idée de retourner à Vieux-Thann en passant par Paris. Je t’en prie, mon petit papa, tâche de le faire, ce serait si bon de se voir un peu, et d’ailleurs songe que tu seras déjà à moitié chemin.

Marie est est venue nous voir hier avec sa fille[5], c’était la première fois que nous avions Jeanne ici depuis notre retour. Elle était bien portante et gaie, mais figure-toi que la petite gamine a fait peur à son papa[6] et à sa maman Lundi. En rentrant de sa promenade elle était fort grognon, elle a commencé à s’agiter et Marie croit qu’elle a eu un peu de fièvre. Cela a continué toute la soirée mais la nuit n’a pas été mauvaise et le lendemain matin quoiqu’ayant mauvaise mine elle n’allait pas mal. Marie l’a conduite néanmoins chez M. Empis[7] avant de l’amener ici ; il a trouvé la petite très bien, nullement enrhumée, nullement malade et attribue cette petite indisposition aux nombreuses dents qui se préparent à percer. Il a bien recommandé qu’on n’emploie aucun remède et qu’on continue son bon régime de bains, de promenades et de repas réguliers. Marie est donc arrivée ici tout à fait rassurée et du reste Jeanne avait sa bonne mine et sa gaieté habituelles.

Jeudi. Combien j’ai d’excuses à te faire, mon père chéri, de n’avoir pas fait partir cette lettre hier. C’était dans une bonne intention que je voulais ne l’envoyer qu’en rentrant car je pensais que nous irions chez Marie et que je pourrais ainsi te donner des nouvelles toutes fraîches de notre petite Jeannette. Nous y avons été en effet et je puis te dire que la chère petite ne s’est pas du tout ressentie de son malaise, elle était bien gentille, un peu pâlotte, mais elle il ne peut pas en être autrement quand on travaille tant pour produire des dents et elle nous a fait l’accueil le plus gracieux et le plus aimable. Elle commence un peu à embrasser : hier elle me passait ses deux petits bras autour du cou et elle mettait sa tête contre ma joue en ouvrant sa bouche la plus grande possible. C’est une manière comme une autre d’embrasser.

C’était avant d’aller à ma leçon de chant que nous avons passé chez Marie, on était encore à déjeuner. Je t’ai dit, je pense, que Mme Roger[8] a déménagé, elle est maintenant dans un appartement beaucoup plus grand et beaucoup plus joli auprès du Bon Marché. Malheureusement elle s’est éloignée pas mal pour nous. Après ma leçon tante[9] m’a laissée chez M. Flandrin[10] car elle devait rentrer pour recevoir la visite de M. Humblot[11], un voyageur qui venait présenter sa future[12]. Figure-toi que la malheureuse jeune femme va partir pour Madagascar. Elle s’occupe dans son trousseau de faire faire des vêtements d’homme car en forêt les jupons sont impossibles, elle n’aura pas besoin de chaussures car on marche toujours nu-pieds ; quant à son intérieur, ce sera une petite cabane et pour domestique elle aura quelque malgache sale et galeux (on dit qu’ils le sont tous) qui lui fera sa cuire son riz. Que dis-tu de cette entrée en ménage ? moi je trouve cela épouvantable ; mais c’est surtout la pauvre mère[13] que je plains. Elle est veuve et n’a plus qu’un fils[14] de 17 ans ; elle a de plus la certitude de ne pas revoir sa fille avant 2 ans. Dieu veuille qu’elle la revoie au bout de ce temps-là ! et elle ne pourra recevoir de nouvelles que tous les 3 ou 4 mois. Il paraît que la mère et la fille sont parfaitement bien, elles ont beaucoup plu à tante.

C’est Cécile[15] qui est venue me chercher chez M. Flandrin et comme elle avait un paquet à porter chez Marie, j’y suis retournée avec elle, mais je n’y suis restée qu’un instant car j’espérais rentrer à temps pour finir ma lettre. Je suis arrivée [   ]

Hier soir il y avait le dîner de famille mais Marcel et Marie n’ont pas pu y venir, allant dîner chez Mme Gomont[16]. Ils doivent nous [le] rendre Vendredi et je crois qu’Hortense[17] viendra aussi.

Je commence aujourd’hui un cours d’histoire contemporaine à la Sorbonne, je dois m’y retrouver avec Marthe[18] ; Mme Foussé[19] ne fera décidément plus son cours, mais j’irai prendre des leçons chez elle avec Marthe et Marguerite Audouin, ce sera bien amusant. Paule[20] doit aussi suivre le cours de chant avec moi et nous nous trouverons presque dans la même partie.

Adieu mon papa chéri chéri, je t’adresse encore ma lettre à Vieux-Thann pensant que tu ne partiras pas pour Nancy avant Samedi. Je t’adresse la prochaine chez tante[21]. Je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime.

Émilie


Notes

  1. La petite Hélène Duméril, atteinte de fièvre typhoïde.
  2. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.
  3. Charles Mertzdorff projetait d’aller à Nancy voir sa sœur Émilie Mertzdorff-Zaepffel (« tante Zaepffel »), malade.
  4. Marie Mertzdorff-de Fréville, sœur d’Emilie.
  5. Jeanne de Fréville.
  6. Marcel de Fréville.
  7. Le docteur Georges Simonis Empis.
  8. Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeure de chant.
  9. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  10. Paul Flandrin, professeur de dessin.
  11. Léon Humblot.
  12. Gabrielle Virginie Legros.
  13. Jenny Marie Levassor, veuve de Charles Gabriel Legros.
  14. Charles Louis Pierre Legros.
  15. Cécile Besançon, la bonne.
  16. Gabrielle Renaud d'Avène des Méloizes, épouse de Maurice Gomont.
  17. Hortense Duval, épouse de Marcel Aubry.
  18. Marthe Pavet de Courteille.
  19. Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  20. Paule Arnould, épouse de Louis Duval.
  21. Émilie Mertzdorff-Zaepffel.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mercredi 16 et jeudi 17 novembre 1881. Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_16_et_jeudi_17_novembre_1881&oldid=42834 (accédée le 18 décembre 2024).

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