Mardi 8 mai 1866
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (restée à Paris dans sa famille)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX-THANN
Haut-Rhin[1]
Ma chère petite Nie, si l'air de Wattwiller guérit tous les maux présents & futurs, je suis en train de faire bonne cure. Dimanche au lieu de passer la matinée, tous les Mulhousiens y étaient représentés par une 15ne d'échantillons, force a été d’y dîner & s'y oublier jusqu'à 7 heures passées. Tout seul j'y ai fait un petit tour & ai découvert un rocher d'où l'on a une vue des plus splendides ; j'ai un grand plaisir de t'y conduire, mais surtout Papa[2], qui sait si bien apprécier & jouir de nos belles montagnes.
Après avoir passé ma journée de Dimanche j'y suis retourné hier l'après-midi & comme la veille ne suis rentré qu'à 8 h. Ma pauvre mère[3] n'a pas un hôte agréable, je la fais toujours attendre & pour son dîner & pour le souper. Toute la matinée d'hier, je l'ai passée à la mairie, installation de l'adjoint[4] & présentation du budget etc, etc... J'ai encore à organiser un long & pénible travail du dénombrement de la population, qui est détaillé à l'infini.
C'est te dire que je n'ai encore que fort peu vu, à la fabrique ici où tout va du reste passablement. Nous n'avons pas trop réduit le travail, tout est occupé, l'on ne veille plus, voilà tout, il entre et sort 1000 pièces par jour.
A l'instant je reçois ta bonne petite lettre. C'est si bon de recevoir toujours de bonnes nouvelles de tous ceux qu'on chérit. Nous sommes à 24 heures et 48 heures de toutes nouvelles ; tout ce qu'il y a de plus Province ! comme tu dis ? Aussi après lecture de ta lettre, je m'empresse d'ouvrir mon Temps. C'est la guerre ! Pauvre Europe ! Triste harmonie. Il ne nous reste, vu le suffrage universel, cette admirable machine moderne, que d'oublier avec notre idole 1789, 1830 & 48 & crier avec l'Empereur à bas 1815 ! Quel courage il faut à ces quelques têtes, d'imposer silence à des centaines de millions & que de lutte pour faire taire son cœur & sa conscience. Etre un grand homme, passer dans l'histoire, doit être une bien grande jouissance pour donner tant d'énergie à oublier Dieu & les hommes !
Certes, tout cela n'est pas fait pour enrichir les nations & les individus ; nous allons passer un été bien triste ; mais ne nous plaignons pas, que d'êtres mille fois plus malheureux que nous. Que je suis heureux de savoir que vous allez bien & puis t'assurer que je ne regrette pas de me trouver si seul, en songeant que tu es heureuse auprès de ta bonne mère[5] et tous les tiens. Nous leur devions bien ce petit bonheur, pour le grand qu'ils nous ont donné. Qui paie ses dettes s'enrichit, c'est bien marchand pour être vrai.
Demain je compte aller à Mulhouse où je verrai M. Duméril, je suppose, Léon[6] ne pouvant quitter. Madame Duméril[7] va mieux elle a écrit à Mme Heuchel[8] une lettre affectueuse ne parlant pas du tout de sa santé. Tu sais qu'elle a de l'énergie & ne pense guère à elle. Après le discours d'Auxerre, l'on ne va pas à la Bourse pour affaire comme tu le penses bien.
Jeudi fête, nous la passerons au grand <complet> à Wattwiller qui ne sera habitable que dans un mois & plus. Vendredi tu me trouveras je crois à Morschwiller. Je tâcherai d'y aller dès 6 h du matin & y rester 12 heures.
Je croyais t'avoir dit que c'est chez Hofer que l'incendie & l'accident a eu lieu[9]. Ces messieurs ne se sont pas très bien conduits à cette occasion. Par contre Tachard a été très bien et je l'en ai remercié dimanche à Wattwiller où il était.
Je n'ai pas encore pu aller chez les Henriet mais je tâcherai d'y aller ce soir. Pas l'ombre de petites nouvelles de Thann & environs n'ayant encore vu personne.
J'aurais bien désiré écrire à Mimi[10], mais le temps me manque & cet épître est déjà assez long. Lui dire ainsi qu'à Founichon[11] que le jardin est magnifique, tout y pousse si bien qu'aujourd'hui bonne-maman nous a donné des épinards du petit < > jardin qui étaient délicieux. Je vous enverrais volontiers un charmant bouquet de leur culture ; mais la lettre est déjà assez volumineuse pour la poste.
Alphonse[12] fait ce qu'il peut pour que la maîtresse soit contente à son retour. Fleurs sur fleurs, grand-mère[13] admire avec son entourage.
Au jardin j'ai déclaré la guerre aux hannetons & bismarque <à la> Napoléon[14].
Je ne sais où en est ma < >, je hâterai sa confection pour être libre de ce côté. Décidément la maison est trop grande pour moi, je n'y rentre que le soir & y suis mal à mon aise. Embrasse cherie petits et grands comme je t'embrasse de tout cœur.
Charles Mertzdorff
Mardi 3 h soir.
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Jules Desnoyers, beau-père de Charles Mertzdorff.
- ↑ Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
- ↑ Joseph Nagelin.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Léon Duméril, qui doit rester à l’usine.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Elisabeth Schirmer, épouse de Georges Heuchel.
- ↑ Voir la lettre du4 mai.
- ↑ Marie Mertzdorff, fille de Charles.
- ↑ Emilie Mertzdorff, fille de Charles.
- ↑ Alphonse Payot, jardinier chez les Mertzdorff.
- ↑ Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff.
- ↑ Allusion possible au caractère belliqueux de Bismarck et aux événements de 1866.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 8 mai 1866. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (restée à Paris dans sa famille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_8_mai_1866&oldid=59214 (accédée le 21 décembre 2024).
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