Mardi 31 octobre et mercredi 1er novembre 1876
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Samedi Mardi soir & Dim Mercredi Matin 1 9bre 76.
Ma chère Mademoiselle Marie!!
Ce matin je me trouvais dans le plus grand des embarras. Que faire ? J’étais chez la voisine, chercher un bon conseil. Lui raconter mon histoire n’était pas [bien] long. Mais après, comment sortir de ce guet-apens ? Deux avis valent mieux qu’un seul. Nous cherchions depuis bien longtemps ; nous parlions des beaux jours passés & de l’hiver à la porte, lorsque tout à coup ma voisine se frappe le front, saute de sa chaise & se dressant d’un air rayonnant devant moi elle me dit en souriant. J’ai trouvé votre [ ] ! que l’hiver sera froid ? mais non ? Que M. Ruppé[1] a fait une bonne affaire ? mais non. de votre enfant dont vous parliez tantôt. Jugez de ma joie ; car j’avais le cœur gros depuis ce matin, chaque fois que je pensais à ce nouveau petit pensionnaire & j’y pensais toujours !
Eh bien, me dit ma voisine, vous vous rappelez bien de la petite Marie[2] qui était ici il y a 4 ans. Je m’en souviens bien, mais que voulez vous que me fasse cette petite fille. Petite fille oui alors, mais grande fille maintenant, institutrice s’il vous plait, très instruite, très bonne & charitable & qui certainement ne se refusera pas de vous aider de tout son pouvoir ; adressez-vous donc à elle & vous verrez que tout ira au mieux.
C’est l’avis de ma voisine & je vous écris ! c’est vite dit j’écris. Mais comment dire, bien dire, tout & ne pas médire ! laissez-moi réfléchir & d’autre part vous allez tout savoir.
Ce n’est pas tout que de soigner uniquement pour la vie Matérielle, d’autres devoirs nous incombent. Vous devinez ma chère amie que c’est sur vous que je compte pour l’éducation de ce petit être qui vient nous demander aide & protection.
Rassurez-vous cependant, il est encore si petit qu’il vient seulement de quitter sa nourrice, ce que je viens de vous demander aujourd’hui c’est un service tout aussi sérieux. Vous voudrez bien être sa marraine & à ce titre vous voudrez bien lui choisir un joli nom digne de vous & votre futur élève.
Ma conscience ne me permet pas d’aller plus loin dans mon indiscrète demande sans que je vous prévienne que notre futur pupille est d’une famille !!! d’un caractère peu franc, farouche à l’excès, caressant, mais facilement colère, peu intelligent mais très voleur, paresseux le jour, vagabond la nuit, gourmand lécheur, parfois vorace & cruel, méfiant, sournois, faisant volontiers patte de velours & griffant de même car c’est un chat.
Oui ma chère Marie, un chat est entré dans la maison & par les soins de bonne-maman[3]. Elle m’a promis que tu l’élèverais si bien qu’il ne croquerait que les souris, protègerait les oiseaux du jardin & se conduirait si bien sous tous les rapports dans la maison qu’il ne mériterait que des éloges. Dans ces conditions, qu’il soit le bienvenu, car l’on m’assure que nous sommes dévorés par les souris. J’ai accepté le bon augure[4] car autrement gare la trappe du Jardinier[5].
Voilà ce que c’est que d’être seul avec ses enfants l’on bavarde, tant & tant que le temps passe & l’on n’a rien fait & rien dit. Car il est tard & ce soir j’ai été privé de ma tasse de thé. Je ne pensais pas t’écrire ce soir ; mais vois-tu mes journaux allemands m’endormaient & tu vois que j’ai bien fait, car il va être minuit & je n’ai aucun sommeil c’est par raison que je te dis bonsoir car je continuerais volontiers encore.
Ce matin j’entendais sonner la cloche de six heures, ce qui ne m’arrive pas tous les matins ; ma petite lampe de nuit éclairait mal, fatiguée sans doute d’avoir éclairé tant d’heures, impossible de deviner l’heure, force de me lever allumer une bougie & il est 6 h un quart ! Dans mon costume léger il ne faisait pas chaud & j’allais me replonger sous ma couverture O honte. Rassurez vous, ce n’était qu’une faiblesse d’un moment. car peu de minutes après je me promenais dans la cour à peine éclairée par les premiers rayons du jour.
Temps froid, brouillard qui tombe, toutes choses peu faites pour égayer, dès le matin, au sortir du lit.
J’étais depuis un petit moment assis à la salle à Manger devant une tasse de café brûlante. Je soufflais fort & me brûlais encore toujours la langue ; lorsqu’entre ma bonne[6]. Je vous donne tous ces détails ma chère petite amie, pour que vous puissiez d’autant mieux comprendre, que cette sotte de bonne avait bien mal choisi son moment, car j’étais pressé & mon café était trop chaud ! Que vous puissiez comprendre ma mauvaise humeur & excuser ma trop grande brusquerie que je regrette d’autant plus.
Je vis donc la bonne entre & me dit d’un narquois Monsieur sait qu’on vient de lui apporter un petit pensionnaire. Jugez de ma surprise ! je n’attendais pas le moindre pensionnaire & il ne me convenait nullement d’être troublé dans ma solitude. C’est ce que j’essaye de faire comprendre à mon interlocuteur. Je parlais à une sourde ! J’avais beau me fâcher, dire qu’il fallait mettre l’intrus à la porte. Le mettre à la porte il est encore si petit si chétif si intéressant que je me suis laissé fléchir & j’ai fini par consentir à ce qu’on le reçoive, lui prépare le nécessaire, son lit.
Vous devinez mon embarras, me voici chargé d’élever un petit être, bien doux, bien gentil, qu’il faut élever ; lui apprendre à distinguer, le bien du mal, les bonnes manières ne pas être importun, savoir obéir, être bon, doux, agréable, etc.
Nouvelles du Jour ce jour Mercredi la Toussaint.
Une lettre des Stoecklin[7] nous annonce la mort de Cousin Sifferlen[8] d’Epinal, qui après avoir beaucoup travaillé s’est fait rentier. Mais n’est pas rentier qui veut. S’ennuyant, il n’était occupé qu’à satisfaire les exigences de son estomac. aussi est-il mort subitement d’une attaque. Je viens d’écrire un petit mot à sa Veuve[9].
MessieursDuméril ingénieur[10] nous ont quittés hier & vont arriver ce soir à Moulins. Il est impossible de voir un père & un fils si bien d’accord, mais aussi serait il difficile de trouver un garçon aussi bien que Paul qui est un magistrat accompli.
Ce matin pour la fête de la Toussaint le Rossberg a mis son capuchon blanc ; il n’a pas l’air de bonne humeur, car il l’a enfoncé très bas, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Aurait-il remarqué le passage considérable de grues, canards, oies & tous ces messagers du Nord voyager du Nord au Sud. Quoiqu’il en soit voici bien l’hiver, ce qui réjouit médiocrement les gens qui ont passé leur été aux frontières espagnoles. Il brouilla[sse] il pleut, il fait froid, désagréable, aussi vais-je cultiver assidûment mon nouvel ami le poêle. La fabrique, la cour, le jardin, la [maison] le salon tout est mort, le poêle seul vit & fait entendre une petite musique qui vous paraît mélodieuse.
Tantôt je vais te quitter pour faire quelque chose de plus [&] je me dis cela depuis un moment & cependant j’ai peine à laisser partir ma missive avec un petit bout blanc. Il faut donc qu’il [ ] avant de commencer autre chose. Me voici avec un nouveau Cocher[11] engagé à l’essai d’un an, les chevaux que Léon[12] dit très beaux vont arriver dans 10 jours, il était temps car la pauvre vieille [bête] des Zaepffel[13] a fait son temps, c’est à peine s’il peut encore sortir de son écurie tellement il est réduit. Depuis 2 mois l’on ne l’attelle plus.
Les habitants de Leimbach ne sont pas content l’on vient de leur enlever leur petit curé[14] qui est remplacé par un vieux prêtre [ ]. Par contre notre petit Abbé[15] va bien, il continue l’éducation de [ ] Charles Berger dont il ne se [loue] pas trop. Je viens de faire acheter une pièce étoffe pour faire faire des tabliers pour l’école & Emilie Sussenthaller a déjà passé une journée à la maison pour tailler des chemises ; elle ne [ ] pas aussi lestement que Cécile[16], mais enfin elle le fait assez bien l’on voit qu’elle sait. Voilà donc l’école de couture organisée. une jeune couturière remplace Mme Hug[17]. La sœur sait donner de l’émulation à son école & j’aiderais bien volontiers aussi M. Flach[18] s’il savait en faire autant.
Pour cette fois je suis bien au bout de mon rouleau, & je t’assure que je le regrette bien, car je t’assure que je préfère de beaucoup barbouiller sur ce papier que d’aller au Bureau vérifier des comptes. Mais c’est la fin du mois ! Je ne sais si je vais savoir te lire ce soir je l’espère un peu mais nous avons fête & la poste n’est pas [certaine] ce jour-là. Il me faudra patienter jusqu’à la nuit. Je t’embrasse bien Ma chérie, je ne suis pas chiche de baisers tu pourras en distribuer à voisins & voisines
ton père qui t’aime
Chs Mff
Notes
- ↑ Probablement Joseph Ruppé.
- ↑ Marie Mertzdorff.
- ↑ Félicité Duméril épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Charles Mertzdorff met le mot au féminin.
- ↑ Édouard Canus.
- ↑ Thérèse Neeff ?
- ↑ Jean Stoecklin et son épouse Elisa Heuchel ?
- ↑ Léonard Sifferlen.
- ↑ Élisabeth Christine Reisser, veuve de Léonard Sifferlen.
- ↑ Charles Auguste Duméril, ingénieur, et son fils Paul Duméril.
- ↑ M. Michel.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Edgar Zaepffel et son épouse Emilie Mertzdorff ?
- ↑ Théodore Abt, curé de Leimbach de 1870 à 1876.
- ↑ Louis Oesterlé ? (curé de Vieux-Thann 1875 à 1881).
- ↑ Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
- ↑ Françoise Gross, veuve de François Ignace Hug.
- ↑ Michel Flach, instituteur.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 31 octobre et mercredi 1er novembre 1876. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_31_octobre_et_mercredi_1er_novembre_1876&oldid=60339 (accédée le 21 novembre 2024).
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