Mercredi 1er et jeudi 2 novembre 1876
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 1er Novembre 76
Mon Père chéri,
Bien qu’Emilie[1] t’ait écrit hier il me semble que je te dois encore une lettre aujourd’hui afin de réparer les oublis et la trop grande presse de ces derniers temps : je vais donc profiter du calme de la fête pour venir causer un peu tranquillement avec toi quoique je n’aie absolument rien à te dire et …. mais crac, comme dirait Emilie au moment où j’écris cela tante[2] entre et vient me chercher pour la douche ; c’est par trop ennuyeux et il fait si froid aujourd’hui ! J’avais bien raison d’être fâchée tout à l’heure mon petit père chéri, il est 5 heures ½ et je viens seulement reprendre ma lettre moi qui me promettais si bien de t’écrire longuement !
Nous avons été comme je te l’annonçais à la douche qui malheureusement était ouverte je trouve vraiment que M. Soumillon devrait mieux observer les jours de fête mais enfin c’était ouvert et force nous a bien été d’y entrer et de nous exécuter ; de là comme réaction (ce qui n’est pas le plus amusant de l’affaire) nous avons été chez tante Louise[3] et chez bonne-maman Desnoyers[4] à laquelle nous avons fait une petite visite puis tante m’y a laissée goûter. Emilie est venue me rejoindre et nous avons été aux vêpres avec bonne-maman tu sais comme elle marche lentement si bien que nous ne faisons presque que de rentrer ; oncle[5] et Jean[6] jouent au jeu favori que tu connais, à la chasse avec les bêtes de bois, Emilie fait des problèmes et moi je t’écris sur un coin de table presque sans y voir en attendant la famille qui vient dîner aujourd’hui puisque c’est Mercredi. Ce matin nous avons été faire une tournée dans le nouvel appartement le premier est complètement fini et tous les livres sont rangés ; le second avance beaucoup aussi, presque toutes les peintures sont faites et on commence à coller le papier ; tante range à force, vide ses armoires et met tout en jolis petits paquets, mais le monceau des paquets augmente tant tous les jours qu’elle commence à se demander où ils vont bien pouvoir tenir ; même question pour les livres dont on va garnir le grenier après en avoir mis dans toutes les bibliothèques possibles ! et les meubles donc, ce sera pire encore je suis convaincue qu’il y en aura presque un tiers de trop ; que d’heureux on va faire !
Il fait froid depuis quelques jours aussi les rhumes commencent-ils ; au cours et à l’église ce sont de petits concerts de toux et tante en fait malheureusement partie, Emilie se mouche un peu plus souvent que de coutume mais voilà tout ; quant à moi jusqu’à présent c’est admirable je crois que je ne sais plus tousser il mais ce qu’on me demande de fois par jour si je ne m’enrhume pas ou si je n’ai pas froid aux pieds, c’est incalculable !
Les Lafisse[7] sont revenus depuis quelques jours à Paris, Hortense[8] m’avait écrit hier pour me demander d’aller d’aller les voir sachant, disait-elle, que j’allais parfois faire des visites avec mon père[9] (vois-tu comme notre visite chez tante Target[10] a produit bon effet) mais malheureusement j’ai été forcée de lui répondre que mon papa était à Vieux-Thann et que le voyage était un peu long malgré son désir de nous faire plaisir pour qu’il vienne exprès. J’ai eu raison n’est-ce pas ?
Jeudi 2 9bre. Un nouveau crac ! m’a interrompue hier au soir dans ma lettre, c’était Mme Trézel[11] qui montait et vite tu es rentré dans mon buvard. Nous rentrons de la messe et juge de notre surprise et de ma joie en trouvant encore une longue lettre de toi ! Tu es vraiment trop gentil mon petit père vois-tu je crois qu’il n’y a pas deux papas comme toi dans le monde entier ; sommes-nous privilégiées ! Je suis tout à fait confuse de la peine que ce M. a prise pour me recommander son intéressant petit protégé[12] ; si tu le connais, ce qui est probable puisqu’il est Vieux-Thannois et demeure dans les parages, tu lui diras de ma part que la famille à laquelle il s’intéresse est loin d’avoir mes sympathies et que je ne me suis jamais sentie tentée de faire la moindre des choses en faveur de l’un de ses membres, néanmoins ses termes sont si pressants et si engageants, il s’est fait si bien l’avocat de sa cause que non seulement je recevrais de suite ce M. à son examen de droit, mais encore que je ne puis m’empêcher de m’attendrir sur le sort de ce pauvre abandonné dont il me parle consequ si éloquemment ; en conséquence, tu diras donc au dit M. protecteur de la race féline et en particulier de l’un de ses membres habitant à Vieux-Thann, que j’accorde au nouveau sire toutes mes bonnes grâces et que de plus (quelle générosité) je lui abandonne la forte part de lait que j’absorbais tous les jours avec tant de délices, cela l’aidera à avaler les souris. Quant aux soins moraux et intellectuels à d’autres de soin s’en occuper ; tu on ferait mieux de s’adresser à Mlle ma sœur[13] car comment élever quelqu’un que l’on n’aime pas ? Je suis sûre qu’en s’adressant à toi il trouvera plus d’indulgence et d’amabilité qu’en essayant de grimper sur mes genoux ou de me griffer, au besoin il ne gagnera complètement mes bonnes grâces qu’en m’approchant le moins possible.
Mais me voilà encore une fois au bout de mon papier, je pourrais écrire longtemps encore car c’est si bon de causer avec toi, mon petit papa chéri mais il ne me reste que peu de temps avant de partir au cours et j’ai encore bien des choses à faire ; je t’embrasse donc de tout mon cœur comme tu sais que je t’aime,
ta petite institutrice[14] bien ignorante encore
Marie
Notes
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Claude Louis Lafisse et son épouse Constance Prévost.
- ↑ Hortense Duval.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Eléonore Pauline Lebret du Désert, veuve de Louis Ange Guy Target.
- ↑ Louise Ida Martineau, épouse de Camille Trézel.
- ↑ Charles Mertzdorff proposait un chaton à sa fille Marie.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
- ↑ Marie a réussi en mai à l’examen d’institutrice de 2e ordre.
Notice bibliographique
D’après l’original
Annexe
Monsieur Ch. Mertzdorff
Vieux-Thann
Haute-Alsace
Pour citer cette page
« Mercredi 1er et jeudi 2 novembre 1876. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_1er_et_jeudi_2_novembre_1876&oldid=54509 (accédée le 18 décembre 2024).
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