Mardi 18 juillet 1871
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX THANN
Haut-Rhin[1]
Amie chérie En rentrant de Colmar j'ai trouvé ta bonne lettre de Samedi ; c'est toujours avec plaisir que je te lis, avant de m'inquiéter de ce qui s'est passé pendant mon absence je tiens à savoir ce que me dit ma petite Nie ce que font tous mes trésors.
Vers 4 ½ ce matin la voiture est allé prendre M. Kohl, mon compagnon de route & avant 5 h la voiture nous a conduits à Bollwiller où nous avons dû attendre ½ h. A Colmar j'ai trouvé Emilie[2], qui naturellement ne nous attendait pas, avec bien bonne mine, très contente de me voir.
Je lui ai demandé sa voiture pour nous conduire à 4 lieues environ Sigolsheim villégiature de Monseigneur l'Evêque[3] qui est fils de paysans de l'endroit. Elle venait de recevoir une lettre d'Edgar qui fait bien souvent antichambre sans arriver au Ministre[4]. M. Lefébure n'est pas non plus très empressé, voyant les difficultés, mais il a persisté et il paraît espérer réussir par M. Léon Say qui dit-il a été fort bien disposé pour lui par M. Lefébure.
En partant il a envoyé une dépêche qui dit qu'il rentre Jeudi. A-t-il quelque chose en poche, je l'ignore ou revient-il avec de l'Eau bénite comme nous, c'est ce que j'ignore. Emilie avait reçu ta lettre.
Monseigneur l'évêque nous a, comme c'est son habitude très bien reçus, nous avons longuement parlé affaire, il persiste et va soumettre la question à sa commission épiscopale, dit-il, il nous répondra & nous a même promis de nous préparer le sens de la lettre reversale qu'il demande pour mettre (lui qui parle) sa responsabilité à couvert ; ils n'ont pas eux-mêmes grande confiance les uns dans les autres.
Enfin si notre voyage n'est pas tout à fait manqué nous ne savons encore pas ce que l'on nous demande & ne savons pas si nous pouvons compter garder des sœurs.
Cette œuvre nous a fait voir des choses bien extraordinaires qu'un érudit seul peut comprendre. Au Conseil d'état l'on ne veut plus que nous fassions cadeau à la ville de sans aucune charge de l'orphelinat & son revenu de 3 500 F à l'Evêché l'on va peut-être en nous refusant des sœurs nous forcer à en faire une œuvre tenue par des laïques.
S'il m'est possible je tâcherai d'avoir encore une ou 2 signatures & je pense que l'Evêque s'en contentera. Mais ce qu'il nous demande est tellement subtil, ou si insignifiant que je tiens avant de me prononcer lire ce qui peut mettre au repos la Conscience de Monseigneur.
Nous avons fait une bien longue visite, Monseigneur qui est aussi marchand de vin & grand propriétaire voulait toujours nous offrir un petit verre de vin, que nous avons dû refuser vu l'heure du 11 h du matin. Il nous a fait les honneurs de sa cave (1 500 hectolitres) puis son potager fruitier, vignes puis vignes encore. jusqu'aux pressoirs tout y a passé. Tu vois qu'il a été aimable, & nous donc,
à midi passé nous avons repris la voiture le pauvre cocher allait se mettre à dîner ! & je suis rentré seul chez Emilie lui demander à déjeuner. Rien dans la maison ! la cuisinière a dû aller en Ville chercher côtelettes & jambon ; cela a fait tout un dérangement que j'aurais volontiers évité, si j'avais cru pouvoir me permettre d'aller au restaurant. Enfin j'ai fait honneur à tout ce que l'on m'a offert au grand bonheur d'Emilie qui aime tant faire plaisir. Kohl est venu me rejoindre à 3 h chez les Z[5]. à 6 h j'étais rentré. Nous avons trouvé notre voiture à Bollwiller ce qui nous a permis d'aller si vite. Il a fait une chaleur étouffante, pas d'air & un soleil de plomb. Jamais journée plus chaude ici. La campagne est magnifique tout est réellement beau, pas une récolte qui ne soit de toute beauté. si partout la campagne est aussi belle, nous pouvons espérer une année exceptionnellement belle.
Je n'ai rien trouvé d'ennuyeux en rentrant, nous avons eu quelques visites de calicotiers, mais nous ne pouvons plus nous engager au-delà.
Personne de nous n'ira à Mulhouse demain, Vogt[6] doit conduire des balles à Mulhouse, tu vois que les chevaux n'ont pas vacances.
Etant à Colmar Kolh avait à passer chez le carrossier pour la voiture de Mme Kestner[7] qui est brisée dit-il par un accident. C'est fréquent chez eux ; j'en ai profité pour voir notre calèche, que je n'aurais pas reconnue, elle est toute neuve, magnifique de brillant. Je lui ai dit que je n'en étais nullement pressé. inutile d'avoir un meuble de cette espèce ici en ce moment, le vieux est plus approprié à la circonstance & ne doit guère faire de jaloux.
Rassurez-vous, ma petite Dame, je me suis très mal expliqué sans doute, & prière de faire réviser le jugement qu'a prononcé votre tribunal de famille. Ce ne sont pas vos lettres que j'ai envoyées en communication à Morschwiller[8]. Je n'y pensais même pas, mais bien les lettres de vos petites filles qui font toujours un plaisir extrême aux grands-parents. Dans cet acte de grande charité je n'ai su voir une indiscrétion.
La belle-fille de Nanette[9] est rentré chez elle cet après-midi. Demain nous attendons à avoir le plaisir de loger au village 180 prussiens. l'on dit qu'il y en a 200 mille qui rentrent chez eux. C'est trop sans doute de ces bonnes choses, ils sont moins nombreux & peu pressés de les faire rentrer chez eux. Mais les chemins de fer sont de nouveau interrompus pour bien des jours. Rien ne peut partir. Dans l'intérieur de la france l'encombrement est bien plus grand que dans nos environs. Les chemins de fer sont donc complètement désorganisés & l'on veut transporter en 2 mois ce que l'on met d'ordinaire une année à faire. Ce sont principalement les vins qui voyagent en si grande masse qu'ils interceptent tout autre trafic. Je tâcherai d'aller cette semaine encore à Lachapelle pour m'assurer des magasins. Cela fait, Morschwiller marchant à peu près, je verrai la semaine prochaine comment je ferai pour aller encore passer 2 à 3 jours à Paris & vous rapatrier. J'espère toujours encore avoir le plaisir de voir Maman[10] chez nous. Je n'y vois plus à peine assez pour embrasser femme & enfants[11] de tout cœur ainsi que tous ceux que j'aime
Charles M
Mardi soir 8 h. 18 Juillet 71
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ André Raess, évêque de Strasbourg.
- ↑ Edgar Zaepffel cherche une place dans l’administration préfectorale ; il s’agit probablement du ministre de l’Intérieur, Félix Lambrecht.
- ↑ Les Zaepffel.
- ↑ Vogt, employé par Charles Mertzdorff.
- ↑ Marguerite Rigau, veuve de Charles Kestner.
- ↑ Morschwiller où vivent Félicité Duméril et son époux Louis Daniel Constant Duméril, grands-parents des petites Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 18 juillet 1871. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Montmorency) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_18_juillet_1871&oldid=40758 (accédée le 21 décembre 2024).
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