Samedi 15 juillet 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Samedi 15 Juillet
2h.
Mon cher bon Ami,
Il faut donc que tu aies toujours des préoccupations et des ennuis, et encore plus pendant notre absence. J'admire la façon calme dont tu acceptes ces contrariétés de chaque jour et je n'ai qu'un regret, c'est celui de ne pouvoir en prendre ma part autrement que par la pensée, puisqu'il est hors de mon pouvoir de l'en diminuer la dose.
Nous avons reçu Emilie[2] et moi tes bonnes lettres mises à la poste Jeudi[3] au moment où bon-papa[4] venait d'apprendre le nouvel accident arrivé à Morschwiller. Heureusement que la chute de ce toit n'a pas amené de mort ou de blessé ; mais quelle contrariété pour toi d'être forcément arrêté lorsqu'on voudrait pouvoir contenter tant de gens qui vous remettent la marchandise. Cet accident est la conséquence naturelle de l'incertitude des projets sur Morschwiller qui fait que, depuis plusieurs années on ne fait que le rabobinage. Enfin, espérons qu'avec les arrangements que tu prends tu vas pouvoir reprendre sans trop tarder la besogne.
Pauvre Alsace, combien elle est à plaindre, et pour ses habitants qui restent au cœur français, quelle triste position. Les journaux d'hier avaient parlé des répressions de Mulhouse, mais pas avec les détails que tu me donnes. C'est inquiétant. Quelle peut-on attendre de l'avenir ?
La quantité de Prussiens ne diminue pas ici, le chemin du Nord est infesté, combien cela va-t-il durer, avec la clause du traité qui laisse au jugement de l'ennemi à savoir si la France est assez pacifiée pour lui offrir une garantie suffisante ?
Hier vers 1h ½ nous avons entendu 3 détonations suivies de grondement, et comme le temps était extrêmement chaud, nous les avons attribuées au tonnerre, tandis que c'était encore un nouvel accident, la cartoucherie de Vincennes qui a dû sauter. Quelle en est la cause? Les détails manquent. Papa[5], qui est rentré hier soir à 7h a dit qu'on voyait encore un brouillard épais dans cette direction, mais qu'on croyait qu'il y avait peu de victimes.
Emilie était bien heureuse en recevant ta lettre ; Marie[6] trouve que une partie doit lui revenir, car « elle écrit des lettres bien plus longues que sa petite sœur ; mais elle dit qu'elle te remercie bien des lettres qu'elle a reçues. En ce moment elle écrit courageusement à bonne-maman Duméril[7], et elle prétend qu'elle aimerait mieux écrire quatre fois à son papa ; ça marche tout seul alors ». (sic)
Hier et aujourd'hui les fillettes ont fait de bons petits devoirs le matin, puis ensuite elles ont aidé chacun à différentes besognes telles que cueillir haricots et fèves, éplucher les légumes avec Cécile[8] qui est à la cuisine, (Pauline[9] est un peu souffrante et remonte dans sa chambre, mais rien de plus qu'habituellement). Puis avec moi elles sont venues balayer les musées && Tout à l'heure, elles vont prendre un bon bain, l'eau est déjà chaude, cette bonne petite mère[10] soigne pour tout ; elle est bien, il fait très chaud, cette température lui convient. Elle me charge toujours de bien des amitiés pour toi, et ne veut pas nous retenir au-delà de ce que nous avions projeté d'avance, ainsi, mon bon chéri, arrange les choses comme tu le trouveras le plus convenable, tu sais où nous sommes, et tu sais que ton trio sera heureux de rentrer auprès de toi. Cette pauvre mère chaque fois que je lui lis de tes lettres répète toujours : « Combien il est bon, combien mon Julien[11] eût été heureux avec lui ! »
Pour ce soir nous attendons tout notre monde parisien. La journée ici demain leur fera du bien, car la maison est bien fraîche. Tu parles de paresse, c'est nous qui menons une trop douce vie, et je me reproche chaque jour de ne pas me lever plus tôt. Il me semble que tu me trouveras engraissée, ça m'agace. Je me suis occupée des livres pour les leçons des enfants, je pense avoir ce qu'il me faut.
L'accident de Mathis[12] peut être grave à son âge.
Les petites filles et la maman[13] sont très intriguées de savoir la surprise qui se trouve dans la petite chambre bleue ?...oh ! Eve !
Adieu, mon bon Ami chéri, je t'embrasse de tout cœur, dans 8 jours j'espère que je serai près du moment de t'embrasser. Nos 2 bonnes petites filles vont bien et pensent toujours comme leur maman aussi elles aiment beaucoup le cher bon père auprès duquel nous voudrions être. bon courage
Ta Nie
Nanette[14] a les clefs des chambres et des armoires à provisions, celles de mes armoires sont : « ouvrir le tiroir du bas de mon armoire à glace, prendre une clef ouvrant mon armoire à linge et là on trouve celle de l'armoire à glace où est celle du secrétaire du petit salon. Il me semble que voilà ce que je t'ai expliqué au départ. C'est digne du petit poucet !
Approuvé les achats de vin. Seulement que les gardes de nuit ouvrent la nuit le petit volet de la cave et le ferment avant 6h le matin
Tu verras en lisant ce griffonnage que tu dois le garder pour toi seul. Eugénie Marie, Emilie.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Emilie Mertzdorff.
- ↑ Voir la lettre adressée à Eugénie.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Marie Mertzdorff.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Pauline, domestique chez les Desnoyers.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers (†).
- ↑ Mathis non identifié.
- ↑ Marie, Emilie et Eugénie.
- ↑ Annette, domestique chez les Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 15 juillet 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_15_juillet_1871&oldid=35362 (accédée le 21 décembre 2024).
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