Lundi 5 juillet 1875

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1875-07-05 pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-07-05 pages 2-3.jpg


Paris le 5 Juillet 1875.

Mon père chéri,

Merci mille fois pour ta bonne lettre adressée à Emilie[1] qui est venue nous donner de tes nouvelles dont nous n’avions pas eu depuis longtemps. Nous avons été extrêmement surprises en la lisant car tu nous dis que là-bas vous avez une chaleur suffisante pour prendre des bains froids tandis que je t’assure bien qu’ici nous n’y songeons guère, il pleut plusieurs fois par jour depuis près d’un mois le temps est toujours gris et sombre et il fait naturellement assez frais, on ne peut plus sortir maintenant sans être sûr de recevoir au moins une bonne ondée ce qui nous est arrivé tous ces jours-ci.

Samedi en te quittant[2] nous sommes allées chez Mme Roger[3] en faisant plusieurs courses mais il pleuvait tant qu’après avoir fait une longue station sous une porte nous nous sommes décidées à prendre une voiture ce qui ne nous a pas empêchées de rentrer crottées comme des barbets.

Hier Dimanche nous avons passé une bien bonne journée. Sitôt après le déjeuner oncle[4] nous a emmenées toutes trois à son laboratoire pour l’aider à emballer ses crabes qu’il renvoie en Amérique et je t’assure que ce n’était pas une petite affaire. Il s’est agi d’abord de laver et de nettoyer chaque petit bocal puis on a retiré une partie de l’alcool qui s’y trouvait et on a rempli chaque flacon avec de la ouate et du papier de soie puis Emilie appelait le nom qui se trouvait sur chaque étiquette et oncle d’après ses listes répondait un numéro que je collais immédiatement sur le bocal.

Ces différentes opérations nous ont conduits jusqu’à 2h ½. Nous avons été alors à la douche puis avons fait un petit tour et à quatre heures nous sommes revenues à notre travail qui consistait alors à enlever envelopper chaque fiole dans un chiffon puis dans du papier bien soigneusement afin qu’il n’y aie pas d’accident. Jeanne Brongniart et Marthe[5] sont venues vers la fin de la journée nous aider dans cet intéressant travail qui n’a été terminé que pour le dîner. Le soir il faisait si vilain que nous n’avons pas pu faire notre promenade quotidienne dans la ménagerie[6] à laquelle cependant nous sommes bien fidèles je t’assure et il faut des temps comme celui d’hier pour nous la faire manquer.

La chasse aux rats se continue malgré l’absence de cette pauvre Miss[7] mais elle est bien moins abondante quoique cette année les rats soient plus nombreux que jamais. Samedi nous il en sortait de tous les côtés et on ne savait auquel donner de la tête. Emilie était tellement acharnée qu’elle a aussi tué le sien à l’aide de Krabe[8] et de son bâton. Moi je suis plus calme et j’aime mieux les laisser passer.

Aujourd’hui je ne sais encore bien ce que nous ferons ; il fait très sombre mais il ne pleut pas ; je pense qu’en sortant de la douche nous irons chez Mme Bureau[9] à laquelle nous devons depuis longtemps une visite puis nous rentrerons pour notre leçon de Mlle Bosvy.

Bonne-maman[10] est à Montmorency depuis Samedi soir et doit revenir ce soir ou demain matin j’espère bien qu’elle ne se sera pas enrhumée par ce vilain temps.

As-tu déjà vu plusieurs fois la famille Stoecklin j’espère qu’ils ne seront pas encore partis au mois de Septembre et que nous pourrons voir de temps en temps Marie et Jeanne[11]. As-tu eu des nouvelles de Mme Kestner[12] depuis qu’on nous l’avait dite malade sais-tu si elle est rétablie ?

Je te félicite beaucoup, mon père chéri, d’avoir presque terminé ta saison de Wattwiller car je crois que ces courses si fréquentes tout seul en voiture et ces soirées à l’hôtel auprès de quelque vieille dame impotente ne devaient pas être des plus amusantes. Nous attendons avec impatience ta prochaine lettre qui nous dira si tes rames nouvelles ont décidément réussi ce que je souhaite bien vivement je t’assure. Quant à la vapeur au moulin je t’avouerai que cette idée ne me plaît pas du tout. Encore de nouveaux ennuis et de nouvelles attaches là-bas si seulement je pouvais <   > les nuages qui planent au-dessus de nos têtes je te les adresserais bien volontiers. Je me mettrais même bien dessus pour aller te faire une petite visite car il faut que je te dise que je meurs d’envie de te voir il me semble qu’il y a plus d’un siècle que tu es parti. Mais comme cela ne m’est pas possible je dois attendre que tu viennes et me contenter de t’embrasser sur ce froid papier.

Ta fille qui t’aime

Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Voir la lettre du samedi 3 juillet.
  3. Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeur de piano.
  4. Alphonse Milne-Edwards.
  5. Probablement Marthe Pavet de Courteille.
  6. La ménagerie du Jardin des Plantes.
  7. Miss, précédente chienne d’Alphonse Milne-Edwards.
  8. Krabe, chien d’Alphonse Milne-Edwards.
  9. Marie Decroix épouse d’Édouard Bureau.
  10. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  11. Probablement Marie Stoecklin et sa cousine Jeanne Heuchel.
  12. Marguerite Rigau veuve de Charles Kestner.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 5 juillet 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_5_juillet_1875&oldid=42492 (accédée le 26 avril 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.