Lundi 18 et mardi 19 juillet 1870
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
Lundi 18 Juillet 1870 soir
Chère petite Eugénie
Ce matin j'ai quitté en voiture pour aller passer ma journée à Morschwiller. J'y ai trouvé Léon[1] & Bon-papa[2] avec bonne mine bonne-maman[3] & Mme Auguste[4] pâle & maigre mais allant bien.
M. Auguste avec un peu plus de force que lorsque je l'ai vu la dernière fois ; mais son mal a l'air de faire des progrès. Il est lui-même très inquiet, très irritable, Il y a 3 à 4 jours il a eu plusieurs nuits terribles l'on croyait la fin. la digitaline a calmé un peu ses battements de cœur, mais il vient de discontinuer son traitement, pour cause de maux d'Estomac.
C'est une bien triste position que celle de ces pauvres gens ! Il n'est plus question d'aller en Suisse. L'on voudrait rentrer à Paris, puis peut-être au Havre un peu à la mer. Ces grandes chaleurs lui font du mal. Avec une hypertrophie du cœur, parfaitement constatée par le docteur de Mulhouse. C'est une affaire de temps. Il aura encore bien à souffrir. Dans le jour, il ne va pas mal, mais les nuits sont parfois cruelles.
Le matin il fait une petite promenade à pied, le soir en voiture. Ils n'ont pas voulu conserver la voiture chevaux & Vogt. Léon m'a renvoyé tout cela.
Je n'ai pas arrêté les travaux commencés à Morschwiller, l'on va finir Maçonnerie, ce qui est commencé & s'arrêter.
Je m'inquiète en ce moment de ma responsabilité de pièces à autrui, écris à Edgar[5] pour qu'il consulte Chauffour[6]. M. Duméril en fera autant à Mulhouse. nous aurons probablement à adresser une circulaire pour cet objet ; comme déjà notre banquier[7] nous en a adressé une.
D'ici rien de particulier, tout est rentré dans l'ordre le plus complet.
Le chemin de fer ne marchant pas que pour les lettres – un convoi à 9 h de Mulhouse & un autre le soir descendant voilà tout – je me propose de me faire conduire à Mulhouse Mercredi, avoir des nouvelles & savoir si je puis me faire l'argent nécessaire pour mon départ pourNogent. M'informer en même temps des départs de Mulhouse à Paris etc.
Nous ne savons rien de l'autre côté du Rhin. Tous les étrangers rentrent en grande masse les trains de Bâle ne suffisent plus, l'on vient comme l'on peut, en voiture carriole & même à pied. Bâle même me dit-on se dégarnit de ses habitants. De Mulhouse quelques personnes ont déjà quitté assure t-on ici.
Mais ce que j'entends, voyager en ce moment n'est pas facile, surtout lorsqu'il y a des enfants. Vous êtes bien mieux à St Malo qu'ici, seulement je voudrais être avec vous !! si c'était possible.
Avec ta lettre que je n'ai lue que ce soir j'ai trouvé une lettre de Julien[8] qui doit être avec vous en ce moment.
–– Je vais me coucher bonsoir.
Matin. Je suis bien content de savoir Julien auprès de vous ; je pense qu'il prolongera son séjour s'il n'est pas appelé[9] à Châlons. Impossible de prévoir, il s'agit de vivre le jour le jour.
Tu embrasseras bien nos fillettes[10], elles ont eu là une bonne idée de m'adresser leur journal que je lis avec bien du plaisir
Pour moi je vais bien, cependant cette nuit j'ai assez mal dormi ; mais on le serait à moins, il y a toujours des préoccupations car il est si difficile de bien faire.
Je suis bien heureux de vous savoir tous ensemble & que tu ne sois pas ici avec les enfants.
Comme je te le disais les voyages sont impossibles ici, voilà des garçons militaires qui doivent être demain à Colmar, ne trouvant pas de place dans le seul train par jour ils vont aller à pied. Mme Kestner[11] avec Mme Charras[12] restent à Wildbad, cette dernière va un peu mieux me dit M. K[13]. Les demoiselles sont rentrées je ne sais comment avec le père Risler[14]. Toutes les communications le long du Rhin sont coupées. Il n'y a de libre que le pont de Bâle. Les trains militaires ne cessent de passer toute la nuit & un mouvement excessif. Emilie[15] écrit à Georges[16] elle est bien inquiète aussi, sa lettre est triste. Edgar est très occupé à la préfecture, le préfet[17] ayant à faire avec les grèves est rarement à Colmar. Comme dit j'ai écrit à Edgar hier soir. j'en suis content car il ne me savait pas de retour.
Je reçois à l'instant ta lettre de Dimanche, ses bonnes nouvelles me réjouissent bien. Rien autre ici & pas de nouvelles des frontières, c'est par le Nord du bas-Rhin que les hostilités vont commencer. Tout est parfaitement calme ici. l'esprit l'est moins.
Il est midi Paul dîne avec moi. Rien de nouveau à Mulhouse où il n'y a pas ou peu de militaire. Tout s'en va vers Strasbourg.
Toutes les pensions collèges & lycées le long de la frontière sont renvoyés chez les parents. Paul me confirme le désarroi des voyageurs. Presque impossible de circuler tant il y a de monde.
un petit accident qui n'aura pas de suite nous a forcé d'appeler Mairel, ce n'est rien mais donne toujours des émotions. Cela énerve mais me voilà bien remis de ma frayeur. A demain
tout à toi
Charles Mertzdorff
Notes
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant.
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
- ↑ Edgar Zaepffel.
- ↑ Probablement Victor Chauffour, gendre de Charles Kestner.
- ↑ Probablement les banquiers bâlois Oswald.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers doit être appelé dans la garde mobile.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Marguerite Rigau, épouse de Charles Kestner
- ↑ Sa fille Mathilde Kestner, veuve de Jean Baptiste Charras.
- ↑ Charles Kestner.
- ↑ Probablement Mathieu Risler.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ M. Salles, préfet du Haut-Rhin, a succédé à Hippolyte Ponsard en 1869.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Lundi 18 et mardi 19 juillet 1870. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_18_et_mardi_19_juillet_1870&oldid=40308 (accédée le 15 novembre 2024).
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