Jeudi 7 octobre 1830

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)



Au Jardin des Plantes ce 7 Octobre 1830.

Je comptais, depuis un ou deux jours, mon cher Henri, causer un  peu avec toi, ce n’est donc pas pour répondre à ta lettre d’hier, mais bien, à celle du 24 Septembre, que je prends la plume ; je suis toujours bien aise de pouvoir de raconter ce qui se passe, et ce qui peut t’intéresser.

Tu me dis que tu désirerais avoir le linge, que tu avais laissé à la pension, mais tout ce linge, consiste en une vieille chemise de nuit et un mouchoir, que j’ai oublié de mettre dans la caisse, mais, que j’ai joints au tapis imprimé, et à un parapluie de 23 F, acheté pour ma tante[1], envoyés à Mme Richy, qui aura dû vous faire parvenir tout cela. Vous serez peut-être un peu étonnés de voir ce tapis imprimé en rouge : c’est qu’en noir, cela ne ressortait pas du tout, sur le fond, qui est déjà passablement foncé : j’espère pourtant, que vous n’en serez pas mécontents.

Je vois que maintenant, tu es fort occupé, ta journée est bien employée ; je m’imagine que les leçons de littérature t’amusent ; je compte que tu me parleras de cela, dans tes lettres.

Nous apprenons avec plaisir que vous jouissez pleinement de la société de Mlle Moucand : ta maman doit se trouver très heureuse, de revoir son amie. Lundi matin sont arrivés ici mon oncle Auguste[2], de Lille, avec sa fille Félicité, qui a dix-neuf ans passés, et son fils Auguste[3], qui a quelques mois de plus que moi. Félicité demeure ici : sans être jolie, elle a une physionomie très agréable, et l’air spirituel. Elle n’est pas encore tout à fait formée et a l’air toute jeune : elle est très douce, cause facilement, sans se laisser trop intimider. Maman[4] semble être fort satisfaite de l’avoir pour compagne : elle joue fort bien du piano et met une grande complaisance à nous faire de la musique.

Auguste est de la taille de Lenoir : il a cinq pieds, est un peu fluet, a une figure un peu pointue, n’est pourtant pas laid, pour cela. C’est un bon garçon, assez farceur : nous nous entendons très bien : j’avais été à Lille, il y a sept ans, comme tu le sais : nous nous tutoyions alors, et quand nous nous sommes revus, il n’en a plus été de même, mais maman a trouvé que deux cousins germains, à peu près du même âge, et qui sont d’anciens camarades, ne devaient pas se dire vous, aussi, nous tutoyons-nous maintenant : il semble que nous ayons toujours vécu ensemble : j’aime beaucoup à causer avec lui : tu le jugerais de même que moi, si tu le connaissais, tu te lierais tout de suite avec lui, j’en suis sûr. Mais dans ce moment, il y a quelque chose de très particulier chez lui, c’est sa voix qui mue ; et le son en est excessivement aigu : c’est encore plus drôle que celle d’Henri Cottier, lorsqu’elle muait : ainsi, tu demanderas à Constant[5] si cela doit être comique : mais dans peu de temps, bientôt, il aura sa voix tout à fait formée : je crois que la mienne ne sera jamais fausse à ce point-là.

Il entrera dans une quinzaine de jours chez M. Duhamel[6], qui est son professeur de mathématiques : il n’a que quinze élèves : tu comprends comme il sera bien : cette maison est au haut de la rue de Vaugirard, près les boulevards extérieurs, du côté des Invalides : nous la prenions quelquefois, en revenant de Fontenay[7] : c’est à plus d’une lieue du faubourg Poissonnière.

Mon oncle, que je me rappelais fort peu, a l’air très bon : il ressemble on ne peut pas moins à papa : il est plus petit que moi, gros, et un peu chauve.

J’ai vu, il y a une quinzaine de jours, Lamulanière, dont la toilette et la taille sont toujours à peu près dans le même genre qu’avant les vacances : il m’a dit que les tupins[8] avaient passé leurs examens : Lambert, à ce qu’il paraît, a répondu ni bien, ni mal, mais n’a pas brillé. Wilhem[9], très bien, Saglio très bien, à une question près ; L’Héritier[10], très mal : il espérait pourtant être reçu, mais M. Courtial[11] lui a fait perdre tout son espoir. Je crains de voir ce pauvre garçon forcé de prendre, à la pension, la place de feu Merluche, qui n’est pas mort, que je sache, mais qui n’est plus chez M. Morin[12] : ce sera vraiment triste : n’est-ce pourtant pas un peu sa faute : les autres disaient, je crois, qu’il ne travaillait pas beaucoup.

Nous avons eu, depuis que je ne t’ai écrit, Mlle Roman à dîner : elle était fâchée de ne t’avoir pas vu avant ton départ : elle m’a chargé de te dire qu’elle était très sensible à ce que tu allasses souvent, lui dire bonjour, dans l’église, lorsque tu la voyais ; elle m’a aussi prié de te faire ses amitiés, et de présenter ses respects à toute ta famille.

Félicité est aux petits soins avec ma tante[13], elle lui a fait tout à l’heure la lecture, dans sa chambre ; elle tâche de lui faire ce qui peut lui être agréable : mais ma tante n’est pas, pour cela, plus aimable avec nous : elle a encore dit hier au soir pour rien des choses très pénibles à maman : que nous sommes malheureux de voir cette pauvre mère ainsi vexée, par une personne qui semble se faire un plaisir de tourmenter les autres, quoiqu’on tâche de lui procurer les choses qui peuvent la rendre satisfaite. Maman a été très reconnaissante de l’envoi de cheveux que ma tante lui a fait, elle l’en remercie beaucoup ; elle est bien heureuse de posséder quelque chose de cette pauvre Sophie[14].

Vous avez dû recevoir ce que l’on avait commandé à Basin ; je te prie de me dire comment vous avez trouvé le nœud : il ne m’a pas paru tout à fait simple. Papa[15] et maman ne l’ont pas vu. Ce pauvre Eugène[16] est contrarié que le voyage de mon oncle ait eu lieu à ce moment-ci, car il a tellement à faire pour son concours, qui commence le 28 de ce mois, qu’il ne peut presque pas venir ici : il travaille pendant une partie de la nuit : nous craignons que cela ne le rende malade. Nous voyons Alphonse[17] tous les dimanches ; il n’est pas très bien, à ce qu’il paraît, dans la maison de commerce où il est : il sera probablement obligé de changer.

Adieu, mon cher ami, nous t’embrassons tous de tout notre cœur, ainsi que tes parents[18] et tes sœurs ; nous te prions de faire toutes nos amitiés à tes beaux-frères.

Tout à toi, ton affectionné cousin et bon ami

Auguste.


Notes

  1. Cécile Delessert, épouse de Michel Delaroche.
  2. Auguste Duméril l’aîné, frère d’André Marie Constant.
  3. Charles Auguste Duméril.
  4. Alphonsine Delaroche.
  5. Louis Daniel Constant Duméril, frère d’Auguste.
  6. Probablement Jean Marie Constant Duhamel.
  7. Henri Delaroche et Auguste Duméril étaient en pension à Fontenay.
  8. Dans le texte original il s’agit probablement des « taupins », mot de l’argot scolaire qui désigne les élèves des classes préparatoires scientifiques.
  9. Wilhem Louis Adrien Bocquillon, dit Wilhem.
  10. Probablement Jean François Gustave Lhéritier de Chezelle.
  11. Le copiste a écrit M. « Courtent ».
  12. Prosper Henri Morin dirige un pensionnat à Fontenay-aux-Roses.
  13. Elisabeth Castanet, la grand-tante d’Auguste.
  14. Sophie Delaroche (fille de Cécile Delessert) est morte en 1829.
  15. André Marie Constant Duméril.
  16. Eugène Defrance.
  17. Alphonse Defrance, frère d’Eugène.
  18. Famille de Michel Delaroche.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2e volume, p. 732-737

Pour citer cette page

« Jeudi 7 octobre 1830. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_7_octobre_1830&oldid=59820 (accédée le 9 décembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.