Mardi 21 septembre 1830

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre)



Au Jardin des Plantes ce 21 Sept. 1830, au soir.

Tu vas, mon cher Henri, me trouver, je pense, bien rabâcheur, et tu te plaindras, sans doute, de ce que, dans toutes mes lettres, je te parle de la même chose, mais enfin, prends-en ton parti : il faut que tu apprennes que ta caisse de livres n’a été finie qu’aujourd’hui. Primo, d’abord, et d’une, comme le dit si spirituellement Legrand, la caisse s’étant trouvée trop petite, on a mis la bibliothèque à part, dans de la paille, et de la toile cirée, à ce que je crois : l’emballeur a répondu qu’elle ne courrait aucun risque ; ensuite, tu sauras qu’il y a, dans la caisse, deux corbeilles de tôle vernie, dont l’une, à ce que nous pensons, est destinée à ta maman[1] : fais donc en sorte qu’elle ne les voie pas, et fais part de cette arrivée à Matilde[2], qui arrangera cela pour le mieux. Ensuite, comme je pense que l’on te mettra probablement, non pas sans doute dans les grenadiers, mais bien, dans les chasseurs de la garde nationale, j’ai joint ton sabre à ton fusil : te voilà donc déjà à moitié équipé, et en état de défendre ton pays, s’il le réclame. J’ai tâché de réunir ici, et au faubourg Poissonnière[3] tout ce qui t’appartenait, j’espère n’avoir rien oublié : j’ai même mis la feuille des accessits, que tu as obtenus cette année : peut-être cela ne te plaira-t-il pas, mais tant pis ; j’aurais aimé, je t’assure, pour te vexer un peu, t’envoyer aussi les prix de cette année.

 (Refusés par moi, Henri Delaroche).

Nous avons reçu hier la bonne lettre d’Élise[4], qui nous a fait grand plaisir : nous avons été très contents d’apprendre que leur voyage s’était fait heureusement : fais-lui, je te prie, mille amitiés, de notre part, à tous, ainsi qu’à M. Latham ; rappelle-nous aussi, s’il te plaît, au souvenir de Mlle Cécilia.

Je vois que tu as été favorisé par le temps, pour faire ta promenade à cheval, avec Matilde et Constant[5] : le temps a été beau toute la journée, et je pense que vous vous serez amusés.

Je vais, un de ces jours, aller à Fontenay, prendre le reste de mon linge et de mes habits, ainsi que mes livres : cela m’ennuie assez, car je crains de rencontrer, ou M. ou Mme Morin[6] : il faudra leur expliquer mon affaire ; ils me feront des caresses, et feront leur possible pour me garder, mais cela ne prendra pas : il en sera pour sa peine, le brave homme : mais ce sera toujours bien ennuyeux, d’avoir à écouter tous leurs discours. Ils joueront le rôle de Circé, mais j’espère m’acquitter assez bien de celui d’Ulysse : voilà, j’espère, du Jacotot tout pur, c’est-à-dire du Télémaque. Maintenant que je rédige les leçons de papa[7], cela me prend assez de temps ; je m’occupe cependant de mon grec, et j’apprends ma grammaire, mais le cours de papa m’ayant beaucoup occupé ces jours-ci, je n’en suis encore qu’aux verbes ; je tâcherai toutefois de faire tout mon possible pour avoir appris ce qu’il y a de plus utile, dans le livre de M. Burnouf[8], d’ici au 15 Octobre.

Tu es, je m’imagine, aussi, bien occupé : je ne sais guère comment tu te trouves du travail du bureau.

J’ai acheté, pour ta maman, un parapluie, qui se trouvera dans la caisse de livres : il a coûté 23 F. Quant à cette fameuse et éternelle caisse, elle ne tardera sans doute pas à se diriger vers la Normandie, par le roulage accéléré.

Tu diras, je te prie, à Élise, que Giroux[9] a envoyé à Basin le cadre, Jeudi soir, que ce dernier, que j’ai vu samedi, m’a promis d’envoyer tout ce qu’il a, à elle et à sa maman[10], ce soir, chez Horace[11] : cela regarde donc maintenant celui-ci : écrivez-lui, si vous voulez qu’il vous envoie ces objets promptement. Le tapis de table n’a été teint, qu’il n’y a fort peu de jours : on ne tardera pas à l’envoyer imprimer.

Je n’ai encore vu aucun Morin, comme dirait Raoul[12], depuis la distribution : Carraby[13] seulement est venu pour me voir, il ne m’a pas trouvé.

Je lis, dans ce moment, l’Artiste et le Soldat, roman moral et intéressant, de V. Ducange[14], qui m’intéresse beaucoup ; papa va acheter un Walter Scott à 45 sous le volume : je suis bien content qu’il fasse cette acquisition : j’aurai de quoi lire des choses intéressantes.

Nous avons reçu une lettre de Mme Dunoyer[15], qui donne de très bonnes nouvelles de toute la famille : ils ont l’air très contents : on est fort bien, à ce qu’il paraît, avec le préfet.

Adieu, mon cher Henri, nous t’embrassons tous bien tendrement, ainsi que ton papa et ta maman, les Pochet, et Émilie[16], et moi, de plus je me dis ton ami.

Auguste.


Notes

  1. Cécile Delessert, épouse de Michel Delaroche.
  2. Matilde Delaroche épouse de Louis François Pochet.
  3. La famille Duméril habite au Jardin des Plantes ; AMC Duméril a gardé l’appartement du 3 rue du faubourg Poissonnière pour sa clientèle.
  4. Pauline Élise Delaroche, mariée à Charles Latham ; leur fille, Cécilia.
  5. Louis Daniel Constant Duméril, frère du signataire.
  6. Prosper Henri Morin et son épouse Anne Angélique Berard.
  7. André Marie Constant Duméril donne un cours au Muséum.
  8. Jean Louis Burnouf (1775-1844), professeur d'éloquence latine au Collège de France (1817), auteur d’une Méthode pour étudier la langue grecque, souvent rééditée depuis 1813.
  9. François Simon Alphonse Giroux vend des fournitures pour artistes.
  10. La mère de Cécile Delessert (épouse de Michel Delaroche) est Marie Suzanne Massé.
  11. Horace Say.
  12. Charles Edmond Raoul-Duval.
  13. Calixte Carraby.
  14. Victor Ducange (1783-1833), poète, romancier et dramaturge, exilé en Belgique à cause de ses idées libérales (1822), publie son roman L'artiste et le soldat, ou le Petit roman (Paris, Pollet, 1827), adapté en comédie en un acte, mêlée de couplets.
  15. Clarisse Ghiselain épouse de Charles Dunoyer.
  16. Émilie Delaroche, jeune sœur du destinataire.

Notice bibliographique

D’après les « Lettres adressées par mon bon mari A. Auguste Duméril, à son cousin germain Henri Delaroche, du 30 Août 1830, au 6 Mai 1843 » in lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2e volume, p. 727-731

Pour citer cette page

« Mardi 21 septembre 1830. Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son cousin germain Henri Delaroche (Le Havre) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_21_septembre_1830&oldid=61355 (accédée le 21 novembre 2024).

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