Delessert, Benjamin (1690-1765) et ses descendants

De Une correspondance familiale

Familles Delessert, Mallet et de Rougemont

Les familles Duméril et Delessert entretiennent des relations qui relèvent à la fois de la parenté, des affinités et des intérêts économiques. Lorsque André Marie Constant Duméril présente sa future femme, Alphonsine Delaroche, à ses parents en 1806, il prend soin de souligner les avantages de son alliance avec les Delaroche (le père est médecin en chef de l'hôpital Saint Martin, sa clientèle distinguée essentiellement composée de Suisses est preuve de réussite sociale, sa participation à l'encyclopédie de Panckoucke signale sa proximité avec le monde scientifique). Cette affinité professionnelle est aussi présentée comme un point d’ancrage dans un réseau complexe qui offre de solides perspectives d’avenir dans le négoce et dans la banque. En effet, comme le souligne André Marie Constant Duméril, le frère d’Alphonsine, Michel Delaroche, est associé à la maison Delessert et chef de deux maisons de commerce à Nantes et au Havre ; il a épousé Cécile Delessert (1786-1852), cousine germaine des banquiers associés de Paris dont il est également l'ami très intime. Il s’avère que les alliances matrimoniales vont de pair avec l’amitié qu’entretiennent les mères de Cécile et de Michel, Marie Suzanne Massé et Marie Castanet.

Ce réseau de parenté et d’intérêts mêlés illustre la solidarité des familles de protestants qui se sont exilées après la révocation de l’édit de Nantes. Ce fut le cas de l’ancêtre, Benjamin Delessert (1690-1765) qui revient s'installer à Lyon en 1725 pour fonder un commerce de soies et d’indiennes. Vers 1730, il épouse Marguerite Brun, fille d’Étienne Brun, banquier à Lyon, et de Marie Sabatier. Leur lignée compte plusieurs personnages qui ont laissé des traces dans l’histoire du XIXsiècle et sont cités dans cette correspondance.

Dans un contexte d’effervescence économique (innovations dans le textile, mise au point du raffinage de la betterave, fondation de banques et autres établissement financiers), et grâce à leur fortune, les Delessert exercent une sorte de mécénat scientifique tout en s’impliquant dans la vie politique. Les descendants tirent largement profit de cet ancrage dans la banque et le négoce. En particulier, la maison Delaroche du Havre accueille, forme et associe divers membres de la famille : Auguste (1778-1849) et Armand (1780-1859 ; l'une de ses filles est Ida Delessert), frères de Cécile Delessert – épouse Delaroche ; Ernest (1817- ) et Alexandre (1821-1900), neveux du côté maternel ; Louis Daniel Constant Duméril (1808-1888), autre neveu du côté paternel. Les lettres mentionnent également François Étienne Duroveray, négociant au Havre, qui épouse Élisabeth Delessert en 1816. De leur côté, les banquiers associés Delessert, souvent reçus à la table d’Alphonsine, interviennent à maintes reprises dans des transactions financières entre Auguste Duméril, administrateur des hôpitaux de la Grande Armée et le ministre de la guerre. C’est au carrefour de tous ces réseaux, que se croisent, s’allient et se reçoivent les familles Delessert, Delaroche et Duméril.


Etienne Adolphe Delessert (1735-1816)

Troisième fils de Benjamin Delessert, Étienne Adolphe se fixe à Paris en 1777. Il fonde une banque, contribue au développement de l'industrie des tissus de gaze, forme la première compagnie d’assurances contre l'incendie, crée en 1782 une Caisse d’escompte sur laquelle se greffera la fondation de la Banque de France. Il s’intéresse également à l'agriculture en faisant introduire en France un troupeau 6 000 mérinos. Amateur éclairé des arts, il forme une galerie de tableaux, agrandie par ses fils, et riche en chefs-d'œuvre des écoles hollandaise et flamande. Son épouse Madeleine Catherine Boy de La Tour, fille d’un négociant neuchâtelois, entretient des relations d’amitié avec l’écrivain Arnaud Berquin (1747-1791), le savant Benjamin Franklin (1706-1790), le géologue Jean André Deluc (1727-1817) et Jean-Jacques Rousseau qui lui dédie, à elle et à sa fille Madeleine (1767-1839), ses Lettres sur la botanique.


Benjamin Delessert (1773-1847)

Aîné des huit enfants d’Étienne Adolphe, (Jules Paul) Benjamin voyage beaucoup en Angleterre durant sa jeunesse et fait connaissance de personnalités telles que Adam Smith dont il suit les cours ou James Watt qui lui fait une démonstration de sa machine à vapeur. Il rencontre aussi Jean André Deluc à Windsor qui l’initie aux nouveaux développements de la géologie. De retour en France, il étudie à l’école d’artillerie de Meulan et entre dans la Garde nationale. Il sert en Belgique et participe à plusieurs campagnes militaires notamment au siège de Maubeuge (1793). Il est rappelé en 1795 par son père qui lui confie la direction de sa banque. En 1802, il devient régent de la Banque de France et le restera durant 45 ans. Il fonde, à Passy, une des premières filatures mécaniques de coton en France, puis une raffinerie de sucre.
Benjamin Delessert devient membre libre de l’Académie des sciences. Botaniste amateur et collectionneur acharné, il consacre une part de sa fortune à l’achat de grands herbiers, en particulier celui de Desfontaines. Par ailleurs, il reçoit des spécimens des plus grands naturalistes de son époque (Alexander von Humboldt (1769-1859), Aimé Bonpland (1773-1858), Robert Brown (1773-1858), Augustin Pyramus de Candolle (1778-1841), Joseph Paul Gaimard (1796-1858), Charles Gaudichaud-Beaupré (1789-1854)), et de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Son herbier finit par réunir 250 000 spécimens représentant 87 000 espèces. Delessert permet à de très nombreux scientifiques de venir étudier ses collections. Il fait paraître de 1820 à 1846 les cinq volumes des Icones selectatae plantarum contenant 500 planches en couleur, qui ont été décrites par Augustin Pyramus de Candolle. Son intérêt ne se limite pas aux végétaux. Il constitue une très riche collection de 100 000 coquillages représentant 23 000 espèces. Il fait paraître en 1842 un Recueil de coquilles inédites, décrites par Lamarck dans son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres et non encore figurées et dont le texte est signé Jean-Charles Chenu (1808-1879). Ses collections sont notamment enrichies par l’acquisition de celles de Jean Baptiste Lamarck (1744-1829), de Louis Dufresne (1752-1832), de Pierre François Keraudren (1769-1858), de Jacques Teissier (1780-1814). Delessert ne limite pas là son action en faveur des arts et des sciences. Il soutient activement les travaux anatomiques du docteur Jean Baptiste Marc Bourgery (1797-1849). Par ailleurs, il rachète les ouvrages ou les revues détenues par des scientifiques démunis, enrichissant ainsi sa bibliothèque et offrant une aide matérielle à ces savants.
Benjamin Delessert, également préoccupé par la misère de son temps, multiplie les initiatives philanthropiques. Dès 1795, il est administrateur du bureau de bienfaisance du quartier du Mail à Paris. En 1800, il crée le premier fourneau économique Rumford, l’ancêtre des soupes populaires. En 1801, il fonde la société d’encouragement pour l’enseignement industriel, puis, en 1802, la Société philanthropique dont le but est de promouvoir des innovations sociales susceptibles d’aider les pauvres : création de dispensaires, patronages de sociétés de secours mutuels, etc. Il siège au Conseil Général des hospices et à ce titre intervient en faveur de André Marie Constant Duméril (lettre du 31 janvier 1813), à la Société royale pour l’amélioration des prisons et se bat pour l’abrogation de la peine de mort. Dès les débuts de la Restauration, il fait partie des initiateurs de diverses méthodes d’enseignements populaires, il siège au Conseil de Perfectionnement des Arts et Métiers. En outre, il importe d'Angleterre l'institution de la Caisse d’épargne (1818), qu’il dirige durant près de vingt ans. Il est député de la Seine de 1817 à 1824, puis de 1827 à 1842. Il a épousé sa cousine Laure Delessert en 1807. Auguste Duméril signale la mort de Benjamin Delessert en 1847 dans son journal.


François Marie Delessert (1780-1868)

Troisième de la fratrie, François Marie conjugue ses activités de banquier avec celles de philanthrope. Il est président de la Chambre de commerce et acquiert l’hôtel Lauzon au 27 de la rue Raynouard. Il épouse sa nièce Julie  Sophie  Gautier (1796-1877), fille de sa sœur Madeleine Delessert (1767-1839) et de Jean Antoine Gautier (1756-1800), banquier à Paris. Le couple a trois enfants.

- L’aînée, Caroline Delessert (1814-1880), épouse en 1832 le baron Jean Henri Hottinguer (1803-1866).
Dès l’âge de 15 ans, Jean Henri Hottinguer part étudier en Angleterre où il est hébergé par la famille de sa mère, à Londres. Il part pour les Amériques en 1826. De retour à Paris en 1832, il épouse Caroline Delessert. Il est banquier, directeur (1835) puis vice-président (1863) de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance, et Régent de la Banque de France à la suite de son père de 1833 à 1848. C'est également en 1833 qu'il prend la succession de son père à la tête de la banque familiale. Il se lance aussi dans l'aventure du chemin de fer, et sa famille reste très présente dans les conseils d'administration des différentes compagnies de chemin de fer qui précèdent la SNCF.
C’est son père Jean-Conrad Hottinguer qui a francisé le nom de famille d’Hottinger, originaire de Zurich au moment où, en 1796, de retour en France après un exil en Angleterre, il a créé la Société Hottinguer et Cie.
- Deuxième fille de François Marie Delessert et de Julie Sophie Gautier, Madeleine Delessert (1831-1910) épouse en 1850, le baron Frédéric Henri Bartholdi (1823-1893).
- Le troisième enfant est François Benjamin (1817-1868) qui est banquier, juge au Tribunal de Commerce de Paris et député de la Seine en 1849. Il épouse Blanche de Triqueti, fille du sculpteur Henri de Triqueti.


Gabriel Delessert (1786-1858)

Quatrième de la fratrie Delessert, Gabriel (Abraham) fait ses études à Genève durant la Révolution. Tout en étant associé à la gestion de la banque de son père, il est nommé adjudant-commandant dans la garde nationale de Paris et prend part en 1814 à la défense de la capitale. Après la Révolution de 1830, il se range aux côtés de Louis-Philippe et fait partie de la commission chargée de préparer la réorganisation des gardes nationales du royaume. Maire de Passy de 1830 à 1834 et général de brigade de la garde nationale, il se signale dans la répression de l'émeute des 5 et 6 juin 1834. Nommé préfet de l’Aude, puis d’Eure-et-Loir, il devient ensuite préfet de police de Paris en 1836. Il travaille en particulier à l’amélioration des transports, de la voirie, des prisons et des services de secours. Il occupe une position de premier plan sous la Monarchie de Juillet, renforcée par le prestige du salon de sa femme, Valentine de Laborde (1806-1894), qu’il a épousée en 1824. Celle-ci, qui est notoirement connue comme l’égérie de Mérimée, reçoit dans son hôtel de Passy les principales figures de la génération romantique : Chateaubriand, Thiers, Delacroix, Girardin, Musset, Minghetti, Montalembert, Marie d’Agoult, et plus tard, la comtesse de Castiglione qui devient sa meilleure amie. Après la Révolution de 1848, le préfet de police reste fidèle à la famille d’Orléans et refuse de servir l’Empire.


Cécile Delessert (1825-1887)

Fille aînée de Gabriel Delessert, Cécile Delessert est aquarelliste. Elle épouse en 1847 Alexis de Valon (1818-1851), archéologue et voyageur, qui meurt accidentellement. Un an plus tard, elle se remarie avec le colonel Sigismond du Pouget de Nadaillac, fervent légitimiste proche du comte de Chambord. Sous le Second Empire, elle devient dame d'honneur de l’impératrice Eugénie, qui a été une de ses camarades de jeux lorsqu'elles étaient enfants, et l'accompagne régulièrement à Biarritz où elle réalise de nombreuses aquarelles de paysages et natures mortes. Elle est également à ses côtés pour l'inauguration du canal de Suez en 1869, dont elle rapporte un cahier d'illustrations.


Édouard Delessert (1828-1898)

Fils de Gabriel Delessert, Édouard Delessert est peintre, archéologue et pionnier de la photographie avec son cousin germain François Benjamin Delessert (1817-1868). Il commence par entreprendre des études de droit avant d'accompagner, en 1850, Félicien de Saulcy dans son voyage à la Mer Morte et en Syrie, puis de visiter la Turquie, la Grèce, la Sardaigne et l’Italie. Collaborateur de la Revue de Paris de 1851 à 1858, fondateur de la revue critique L'Athenaeum, il se lance dans les affaires où il engloutit une grande partie de sa fortune. Prosper Mérimée, qui a été l'amant de sa mère, est son mentor en littérature et développe, dans les lettres qu'il lui adresse, quelques-uns de ses principes esthétiques. Edouard Delessert est l’auteur de Voyage aux villes maudites, 1853, Une nuit dans la cité de Londres, 1854, Six semaines dans l'île de Sardaigne, 1855, et d’un album de quarante photographies intitulé Ile de Sardaigne : Cagliari et Sassari, 1854.



Pour citer cette page

« Delessert, Benjamin (1690-1765) et ses descendants », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), URI: https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Delessert,_Benjamin_(1690-1765)_et_ses_descendants&oldid=57345 (accédée le 19 mars 2024).

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