Jeudi 22 et vendredi 23 juin 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Jeudi 22 Juin 7 h ½
Vendredi 23 1 h.
Mon cher Charles,
A mon arrivée à Montmorency, hier soir, ma première pensée a été de t'écrire, mais la faim et le sommeil l'ont emporté ! oh honte, le triomphe de la bête sur l'autre ! enfin, je vais tâcher de réparer cette faiblesse avant l'heure de la poste.
La lettre d'oncle Georges[2] du 20 m'est arrivée hier, elle m'a fait bien plaisir en me donnant de ses nouvelles et de celles de la tante, et en nous parlant de notre Vieux-Thann (comme il dit où il fait si bon de vivre.) mais j'ajouterai : en famille, lorsqu'on y est tous réuni. Je crains que tu te fatigues trop en notre absence, profitant de ta liberté, pour faire des excès de travail, mais de temps en temps notre souvenir te reviendra et te sera un bon conseiller.
La pluie et l'orage continuent à s'établir comme si le mois de Juin devait leur appartenir tout entier ; Comment allez-vous faire avec tous les foins à couper et sécher. Les potagers par contre profitent, ici les légumes continuent à être très abondants sans que les jardiniers aient besoin d'arroser, je pense qu'il en est de même à la maison et que vous avez l'embarras des richesses potagères ! Même embarras du côté des pièces à blanchir mais plus réels et plus profitables.
Je t'ai quitté hier au moment d'aller avec maman[3] chercher dans les livres de Julien[4] ce qui pouvait convenir à l'Instruction de nos fillettes[5]. Nous avons trouvé les liasses étiquetées de sa main et j'ai mis de côté bon nombre d'atlas que déjà le cher Ami avait préparé avec des cahiers pour apporter à Vieux-Thann. Maman est contente que je me serve de tout ce qui peut m'être utile ; et cette bonne mère est bien courageuse ; ces jours-ci je la trouve mieux ; notre présence redonne de la vie dans la maison, et malgré sa course d'hier à Paris elle n'est pas trop fatiguée.
Nos petites filles vont très bien et ont très bonnes mines, elles sont heureuses à Montmorency, qu'elles trouvent bien plus joli que Paris, mais Vieux-Thann encore le superlatif ! C'est hier soir en descendant du chemin de fer qu'on m'a fait cette déclaration, à laquelle j'ai donné mon assentiment.
Toujours même pénurie de voiture dans la capitale brûlée, aussi perd-on son temps d'une façon désolante ; hier après avoir fait visite à Mme Trézel[6] nous avons pris à 5 l'omnibus du Jardin, mais arrivées à la Tour St Jacques impossible de trouver place, et après 20 minutes d'attente je me suis décidée à gagner à pied le chemin de fer du Nord avec mes 2 fillettes, laissant Maman et Cécile[7] attendre l'omnibus. Notre course s'est très bien faite, et nous sommes arrivées à Montmorency les premières. Nos chéries étaient enchantées de ce petit voyage à nous 3. J'ai rencontré Mme Dollfus[8] qui a été bien aimable, je pense, tout à l'heure, en portant ma lettre à la poste aller la voir avec les fillettes. Marie travaille à ses petits ouvrages, Emilie écrit à Hélène[9] et maman est occupée avec ses ouvriers
Papa[10] est resté à Paris. Demain Aglaé Alfphonse[11] viendront ; et M. Edwards[12] Dimanche. La salle à manger s'arrange, François[13] a fait le bois pendant nos 2 jours de Paris et Alphonse nous a bien recommandé de préparer les bordures et papier, pour qu'il puisse coller[14].
J'ai cherché à revoir Mme Duméril[15], mais je ne l'ai pas rencontrée, tu pourras dire à bonne-Maman[16] qu'elle doit encore passer quelques jours à Paris, m'a dit M. Defonte l'emballeur.
Edgar[17] doit être à Paris je ne l'ai pas rencontré, c'eut été hasard !
Adieu, mon cher Ami, j'espère une lettre de toi, et en attendant je t'embrasse de tout cœur pour le trio qui est tien.
Toute à toi
Eugénie M.
Maman ne cesse de dire comme il est bon ce Charles de vous laisser un peu avec moi, et comme malgré mon malheur, je dois encore remercier Dieu de vous avoir donné de si bons maris qui sont mes enfants[18].
Pourrait-on réclamer la balle envoyée le 12 grande vitesse rue Cuvier 57. Elle n'était pas encore arrivée hier.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Georges Heuchel, époux d’Elisabeth Schirmer.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers (tué au fort d’Issy en janvier 1871).
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Noémie Martin, veuve de Frédéric Dollfus.
- ↑ Hélène Berger.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ François, domestique chez les Desnoyers.
- ↑ La famille Desnoyers restaure la maison de Montmorency après l’occupation des Prussiens.
- ↑ Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
- ↑ Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril, à Morschwiller.
- ↑ Edgar Zaepffel, époux d’Emilie Mertzdorff.
- ↑ Charles Mertzdorff et Alphonse Milne-Edwards, époux de ses filles Eugénie et Aglaé Desnoyers.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Jeudi 22 et vendredi 23 juin 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_22_et_vendredi_23_juin_1871&oldid=51749 (accédée le 21 novembre 2024).
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