Dimanche 27 janvier 1878

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1878-01-27 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-01-27 pages 2-3.jpg


Paris 27 Janvier 1878.

Mon Père chéri,

Il est 3h de l’après-midi et je t’assure que je n’ai pas encore fait grand-chose c’est qu’en effet il y a juste 12 heures je ne faisais que me fourrer dans mon lit.
Je vais te raconter en détail comment mon amusante soirée s’est passée, et pour remonter au commencement je vais te parler d’abord de notre journée des plus remplies ; nous avons été au cours d’Émilie[1] pendant lequel j’ai terminé mon devoir de littérature puis tante[2] est venue me chercher pour aller faire visite à Marie Des Cloizeaux enfin nous avons été au cours d’anglais[3]. Si bien qu’en me mettant à table je n’avais pas eu encore un instant pour penser que c’était le Jour du fameux bal de Mme Gaudry[4].
Alors seulement l’agitation a commencé ; chacun était préoccupé de quelque chose ; M. Edwards[5] allait à sa 1ère séance de l’Association[6], oncle[7] à la société philomatique dont il vient d’être nommé président, enfin tante et moi nous avions l’amusante perspective de nous habiller et d’être suppliciées par la coiffeuse. La petite Cendrillon seule n’avait rien avait à faire et en a profité pour bien étudier son piano. Enfin à 10h1/4 nous étions prêtes ; j’étais superbe, ma robe réarrangée et garnie de volants était complètement neuve. Nous avions une voiture si rapide que nous y sommes allées rue des Saints-Pères en moins de 10 minutes il était 10h juste au moment où nous montions l’escalier ; quelqu’un arrive derrière nous ; nous nous retournons, c’était oncle. Il était difficile d’avoir plus de chance. Il n’y avait encore que les personnes de la famille, les jeunes dames Labbé[8]. M. et Mme Gaudry ont été extrêmement aimables et ont dit que c’était très mal de n’avoir pas amené Émilie. Étant les 1ers nous avons pu choisir une excellente place et un instant après nous [M.] Brongniart[9] et Jeanne sont arrivés ; Charles est très souffrant en ce moment il a une jaunisse et est obligé de garder le lit.

Jeanne s’est assise auprès de moi et je t’assure que nous n’avons pas été fâchées du voisinage. Il y avait beaucoup de monde, mais cependant pas trop car les appartements sont énormes, tout était admirablement décoré ; il y avait un excellent orchestre ; j’ai dansé tout le temps sans rien laisser passer, encore étais-je invitée d’avance au moment où nous sommes parties c'est-à-dire à 2h du matin. Il y avait beaucoup de danseurs surtout des officiers d’artillerie et des élèves de l’école de Fontainebleau[10] qui dansaient généralement très bien.
Jeanne comme moi a énormément dansé mais elle avait un grand désavantage, c’est qu’elle était toujours invitée 2 ou 3 danses d’avance, de sorte que son carnet fonctionnait toujours et qu’il lui arrivait souvent de se perdre dans ses comptes ce qui me divertissait beaucoup car je l’aidais à se rappeler tout et à trouver des déterminations pour ses nombreux danseurs ; il y en avait un certain dont le col était si à la mode qu’il formait deux petites ailes sous ses oreilles nous l’avions surnommée Mercure. Un autre lui a inve évité toute peine en lui épelant son nom d’un bout à l’autre comme dans un magasin il nous a bien amusées. J’ai retrouvé beaucoup de jeunes filles de connaissance ; Mlles Gosselin[11], Régnier[12] Bureau[13] ; Hélène Hache cousine de Jeanne Brongniart et ancienne élève du cours et Marie Barbier cousine de Paulette[14].
Tu vois mon Père chéri, que je me suis beaucoup beaucoup amusée et qu’il ne me manquait qu’une chose c’était d’apercevoir mon papa chéri dans le petit salon entre oncle et M. Brongniart, c’est pour le coup que je me serais amusée. La figure de M. B. faisait plaisir à voir, je crois qu’il s’est autant amusé que sa fille qu’il ne quittait pas des yeux. Il a été bien aimable pour moi, m’a emmenée plusieurs fois avec Jeanne au buffet, il avait toujours peur que je n’aie froid, &&.

Émilie ne s’est pas réveillée à notre retour ; depuis 2 jours elle est très enrhumée. Par contre elle s’est levée avant moi sans que je l’entende, devine à quelle heure je me suis réveillée parce qu’on est entré dans ma chambre ? A 11h !!! Nous n’avons été à la messe de 12h1/2.
Tante est allée à Chevilly voir les enfants[15] et nous nous avons eu Jeanne[16] toute la journée.

Adieu, mon petit Papa chéri, pardon pour cette lettre qui ne te dit pas probablement autant de choses que tu en voudrais savoir, mais tu sais un lendemain de bal il faut m’accorder une dose supplémentaire d’abrutissement.
Je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime mon cher petit Père.
ta fille qui va peut-être devenir trop mondaine.
Marie


Notes

  1. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie (« la petite Cendrillon »).
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Cours d’anglais donné par Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  4. Isabelle Hittorff, épouse d’Albert Gaudry.
  5. Henri Milne-Edwards.
  6. Probablement l’Association scientifique de France.
  7. Alphonse Milne-Edwards, fils d’Henri.
  8. Probablement Berthe Marie Céline Allou, épouse de Louis Paul Labbé et Cécile Labbé.
  9. Édouard Brongniart et son épouse Catherine Simonis, parent de Jeanne et Charles Brongniart.
  10. L’École de Fontainebleau, créée en 1794, est une école militaire et une école d’application de l’École polytechnique, transférée de Metz à Fontainebleau après la défaite de 1870.
  11. Adrienne Gosselin.
  12. Il s’agit probablement de Marguerite Reynier.
  13. Louise Bureau.
  14. Paule Arnould.
  15. Les garçons Pavet de Courteille.
  16. Jeanne Pavetde Courteille.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 27 janvier 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_27_janvier_1878&oldid=62129 (accédée le 18 décembre 2024).

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