Dimanche 20 juin 1875

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Paris le 20 Juin 1875.

Mon petit papa mignon,

Il n’y a cependant pas bien longtemps que je t’ai écrit[1] et cependant j’ai bien des choses à te dire. D’abord la plus grande nouvelle de toutes c’est qu’hier soir tes filles[2] ont été très mondaines et ont été avec leur tante et leur oncle[3] dîner chez M. et Mme Grandidier[4]. Il n’y avait absolument que nous et cependant le dîner a été assez somptueux car tout chez eux est élégant quoiqu’ils soient de caractère aussi simple que possible.

Nous nous sommes extrêmement amusées avec le petit Guillaume[5] qui est le plus gentil petit enfant que l’on puisse s’imaginer il a une petite figure ravissante qui rit toujours et une si bonne mine, est si gros et si gras qu’il fait plaisir à regarder, je crois que son papa et sa maman en sont fous cependant ils ne le gâtent pas du tout et sont même assez sévères avec lui. Après dîner nous avons passé quelques temps au salon à jouer avec bébé qui nous amusait beaucoup puis à notre grande surprise on est sorti et on nous a menées devine où ? au cirque des Champs-Élysées[6] où nous nous sommes extrêmement amusées c’était vraiment bien aimable. Ainsi donc petit père tandis qu’hier au soir tu te promenais dans la vallée de Wattwiller ou bien que tu faisais un tour dans le jardin de Vieux-Thann en fumant ton cigare tu pensais peut-être à tes filles et tu te les figurais dormant paisiblement et bien pas du tout en entrant au cirque tu les aurais vues assises devant toi regardant de tous leurs yeux 1° un petit cheval savant qui après plusieurs tours s’assoit comme un chien sur ses pattes de derrière puis on lui apporte une petite table et un singe habillé en marmiton lui apporte tout son dîner en marchant sur ses petites pattes de derrière ; 2° des clowns qui font je ne sais combien de culbutes ; 3° un homme qui monte à cheval ; 4° 2 chevaux qui [passent] qui valsent et qui se tiennent pendant très longtemps debout sur leurs pattes de derrière ; 5° toujours 2 clowns qui jouent du violon et qui sans s’arrêter un instant comme sans jouer faux sautent sur le dos les uns des autres et font toutes sortes de culbutes ils sont vraiment extraordinaires ; 6° une quantité d’hommes [et] de jeunes gens qui sautent à une très grande hauteur en faisant le saut périlleux, [ ] un cerf remarquable qui saute par-dessus 2 chevaux ; 7° enfin (et c’est ce qui nous a le moins plu) un quadrille de dames à cheval puis un quadrille d’une quantité de tout tous petits enfants costumés [comme] de toutes les façons possibles on nous a dit que c’était la présentation des costumes de toutes les mauvaises pièces qu’on joue actuellement ; tous ces petits enfants étaient ravissants seulement cela faisait vraiment peine de les voir là si jeunes. Tel est le programme plus ou moins exact et bien raconté de notre soirée d’hier, nous étions couchées à 11h ½. Mais si je te parle de nos folies du soir et de nos plaisirs il faut aussi que je te narre nos aventures de la journée.

Nous devions être à 4h rue de Madame pour prendre notre leçon de piano mais il fallait nous habiller avant pour le dîner mais nous avons commencé trop tard et malgré toute la célérité que nous avons déployée nous sommes arrivées chez Mme Roger[7] de 20 minutes en retard et nous n’avons pu prendre qu’une heure car au bout de ce temps une autre jeune fille est arrivée pour prendre sa leçon de chant, nous partons et comme nous avions encore quelques temps nous prenons l’omnibus qui nous dépose place de la Concorde nous descendons, mais ô désespoir comment se fait-il je porte le rouleau de musique et Emilie le porte aussi ils sont identiquement pareils mais un seul nous appartient ! Dans notre zèle nous avons pris le nôtre et celui que de la pauvre demoiselle qui venait d’arriver et qui en avait absolument besoin pour prendre sa leçon puisque toute sa musique était dedans. Que faire ? retourner ? nous n’avons qu’une demi-heure et une voiture nous dit qu’il lui faut environ 1 h pour nous y conduire et nous ramener rue de Berri. Nous voilà donc en quête d’un commissionnaire mais nouvel obstacle où en trouver ? Après plusieurs démarches inutiles nous en happons un et l’expédions au plus vite sera-t-il arrivé à temps ? c’est ce que nous ignorons encore. Mon pauvre père je te plains bien va d’avoir des filles aussi étourdies qui chaque jour oublient quelque chose.

Vendredi nous avons eu Paulette[8] pendant un bon bout de temps elle devait amener Marie Flandrin mais au moment de partir elle avait été un peu souffrante, nous avons reconduit Paule jusque chez elle.

Aujourd’hui nous devions aller faire une grande promenade avec oncle et tante du côté de Fontenay, mais nous n’avons été à la messe que tard puis chez tante Louise[9], la pluie menaçait et il a été décidé que nous passerions la journée ici. Il est 3h ½ Emilie joue avec Marthe[10] à la poupée près de la fenêtre de la bibliothèque, tante lit et oncle travaille. Je viens il y a un instant de te quitter pour aller faire avec oncle une visite à nos pigeons[11] qui vont bien, Emilie s’en occupe beaucoup et nous allons je pense en avoir de nouveaux ils sont en ce moment au nombre de 6 plus 2 tourterelles et un gros pigeon à oncle qui arrive de la Nouvelle-Calédonie et est tout déplumé.

Je crois n’avoir plus rien à te dire mon père chéri et il vaut mieux garder mon bavardage pour un jour où je n’aurai pas grand’chose à te dire. A revoir donc mon bien-aimé petit père je t’embrasse de tout mon cœur, et te prie de distribuer à bon-papa et à bonne-maman[12] une partie des nombreuses amitiés et caresses que cette lettre renferme.

Ta fille qui t’aime beaucoup

Marie Mertzdorff


Notes

  1. Lettre du vendredi 18.
  2. Marie et Emilie Mertzdorff.
  3. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
  4. Alfred Grandidier et son épouse Jeanne Louise Marie Vergé.
  5. Guillaume Grandidier.
  6. Le Cirque des Champs-Élysées ou Cirque d'été fonctionne de 1841 à 1898.
  7. Pauline Roger, veuve de Louis Roger.
  8. Paulette, Paule Arnould.
  9. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  10. Marthe Pavet de Courteille.
  11. Pour les pigeons, voir les lettres des 22 février, 25 février et 28 février.
  12. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Dimanche 20 juin 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_20_juin_1875&oldid=39479 (accédée le 7 octobre 2024).

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