Vendredi 7 décembre 1877

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1877-12-07 pages 1-4.jpg original de la lettre 1877-12-07 pages 2-3.jpg


Paris 7 Décembre 77.

Mon cher Papa,

Voilà deux fois déjà que je laisse Emilie[1] prendre ma place, c’est très mal aussi vais-je aujourd’hui tâcher de me rattraper. Je commence par te remercier de ta bonne lettre mais d’après elle je vois que tu n’es pas complètement débarrassé de ton mal de pied ce qui m’ennuie bien ; c’est si ennuyeux d’être retenu par un mal quelconque surtout retenu par le pied ; je trouve que pour un homme il est plus agréable d’avoir les mains prises ; il peut aller et venir les mains prises ; il peut aller et venir et se distraire de la sorte ; pour une femme c’est le contraire, elle s’occupe plus facilement chez elle et tient plus à ses doigts. Et puis tu es un peu je crois, mon petit père chéri, comme le médecin tant-pis ; et je suis sûre bien que tu ne l’avoues pas, que rien qu’à cause de ce pauvre petit mal de pied tu te vois déjà goutteux et impotent. C’est comme M. Edwards[2] qui veut toujours nous prouver qu’il a une infirmité quelconque.
Vilain petit Père, c’est très mal d’avoir des pensées comme celles-là. Mais je te les prête seulement peut-être ne les as-tu jamais eues ; et puis c’est très mal à une fille de faire la leçon à son père, je te demande bien pardon et pour me faire pardonner plus facilement je t’embrasse de toutes mes forces comme je t’aime et tu sais si c’est fort.

Je reprends notre journal où nous l’avons laissé (Quel malheur que l’histoire de notre vie ne soit pas plus intéressante ; car elle va exister au grand complet). Mercredi Emilie me laissait je pense à la Sorbonne nous avons eu deux leçons très intéressantes, la Chimie cependant a été plus aride que la dernière fois : c’était la nomenclature, ce pauvre M. Riche[3] avait l’air très fâché d’être obligé de nous dire des choses si ennuyeuses mais je il nous l’a expliqué si clairement que je suis sûre qu’avec un peu d’étude je finirai pas m’y retrouver dans les -iques et les -eux.

En sortant du cours j’ai été avec tante[4] faire visite à Mme Bert[5]. Tu sais quelles sont les opinions de cette famille ; ils n’ont l’air occupé que de politique. M. Bert quoique malade depuis 8 jours a dû faire un grand effort pour aller demain à la Chambre. Ils sont si préoccupés qu’ils n’osent même pas faire commencer des cours à leurs petites filles[6] et sa sœur ne pense plus à étudier son chant. En dehors de ses idées et de la part active qu’elle prend à la politique Mme Bert est une femme charmante, une petite anglaise qui a avec elle une partie de sa famille entre autre sa sœur qui est très gentille et très instruite mais qui a encore tout à fait l’accent étranger. Ses petites filles aussi sont gentilles et m’ont fait penser aux petites Tachard[7].

Nous sommes rentrées pour trouver Mme Lima[8] qui a été plus intéressante que de coutume ; puis enfin à 6h1/2 Paule[9], Mathilde, Edmond et Louis sont arrivés et nous avons eu un dîner des plus amusants, après le dîner nous avons pris notre ouvrage Paule et moi et la jeunesse (garçons et filles) s’est mise à jouer dans l’antichambre ; mais au bout d’un instant nous avons voulu voir ce qu’ils faisaient et nous les avons trouvés au milieu d’une partie de colin-maillard tellement amusante que nous n’avons pas hésité à nous en mêler. Les petits Arnould sont très drôles et très gentils, malheureusement à 9 heures il a fallu nous séparer à cause du collège le lendemain.

Tante Cécile[10] est de nouveau dans son lit depuis 3 jours avec un fort mal de tête et des douleurs dans le dos simplement parce qu’elle a eu un peu froid ; c’est désolant elle a une mine affreuse et ne mange pas.

Hier j’ai eu mon cours d’histoire[11] et de beaux-arts[12], à ce dernier il n’y avait que moi je te le raconterai au prochain numéro, en ce moment nous partons chez Mme Roger[13] je n’ai que le temps de t’embrasser bien bien fort ainsi que bon-papa et bonne-maman[14].
ta fille qui t’aime de tout son cœur
Marie


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Henri Milne-Edwards.
  3. Alfred Riche.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Joséphine Clayton épouse de Paul Bert.
  6. Joséphine Clayton et Paul Bert ont trois filles : Henriette, Pauline et Léonie (encore bébé).
  7. Possiblement Marie et Adèle Tachard ?
  8. Mme Lima, professeur d’allemand.
  9. Paule Arnould avec sa sœur aînée Mathilde et ses petits frères Edmond et Louis Arnould.
  10. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  11. Cours d’histoire donné par M. Pasquier.
  12. Cours de beaux-arts donné par Mademoiselle Magdelaine.
  13. Pauline Roger, veuve de Louis Roger, professeur de piano.
  14. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 7 décembre 1877. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_7_d%C3%A9cembre_1877&oldid=60493 (accédée le 15 novembre 2024).

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