Vendredi 28 juin 1872

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

original de la lettre 1872-06-28 pages 1-4.jpg original de la lettre 1872-06-28 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann

Vendredi soir[1]

J'aurais à écrire à ces dames mes petites lettres pour joindre à mes envois du cours[2] ; mais je crois plus prudent de commencer par causer avec toi, ce sera plus amusant et plus réveillant ; c'est nécessaire. Il est 10h et la soirée est tellement belle que nous sommes restés avec les enfants[3] au jardin, elles ont épluché les massifs de roses et sauté à la corde, Charles[4] a lu et j'ai un peu travaillé à un gilet de flanelle que je raccommode depuis 4 jours, ce qui te prouve que la couture et moi ne sommes pas souvent de compagnie. Voilà ma journée si cela t'intéresse : Lever avant 6h, petit tour dans la maison, déjeuner à 7h avec Charles, puis pendant que les fillettes déjeunaient j'ai terminé une lettre à ma belle-sœur[5] pour lui recommander une femme de chambre, ensuite à la cave, j'avais le plaisir de trois hommes à la cave ; 3 pièces de vin que je voulais faire tirer avant mon départ, la besogne est presque terminée, puis ma matinée entière prise pour faire faire les concours à Marie et à Émilie et copier les indications. Midi dîner, je n'avais pas eu le temps de passer ma robe ce qui se fit à 1h ; au jardin avec Charles en attendant le maître de musique qui ne vient plus qu'à 2h Émilie a encore mal au poignet et ne prend pas de leçon, c'est ennuyeux, ces sorte de misères sont quelquefois longues, je tâcherai de demander l'avis de M. Gosselin. Après la leçon de musique j'ai pris mes deux chéries et nous sommes allées aux deux orphelinats et à l'hôpital, mais on est toujours plus longtemps qu'on ne croit et ne sommes rentrées qu'à six heures juste pour fermer la porte de la cave à mes trois individus qui ont eu soin de goûter ce qu'ils mettaient en bouteille afin que nous ne soyons pas empoisonnés.

Les enfants auraient voulu prendre leur premier bain froid, mais l'eau était trop basse. Voilà ma journée, à cela j'ajouterai l'arrivée de ta lettre ; tu fais bien d'écrire franchement ce que tu comptes faire ; je croyais en avoir fait autant dans mes deux lettres afin de tâcher que vous vinssiez plus tôt que vous n'en avez l'intention avec nous ; mais puisque je vois que cela ne se peut pas, et j'approuve complètement tes raisons, et pense comme toi, et pour meilleure preuve que nous comprenons, c'est que nous allons agir de la même façon, c'est à dire nous arranger pour que Charles reste le plus avec nous puisque nous croyons bien d'aller à la mer cette année. Voilà donc ce qui a été décidé aujourd'hui.

Nous vous arriverons le 9 ou le 10 au matin avec l'intention de ne rester que quelques jours à Paris puisque maman[6] veut bien nous accompagner à Launay et que Charles y a affaire ; nous y resterions jusqu'au 24 ou 25 pour aller de là à la mer et nous vous reviendrons à Paris vers le 22 Août pour vous emmener avec nous en Alsace. Car la 1re combinaison aurait pour conséquence de vous faire venir tous beaucoup trop tard chez nous ; car si Charles se décide à opter, ce qui est possible, (un jour on dit oui, un jour on dit non) au 1er Octobre chacun aura soin de ne pas être chez soi en Alsace puisqu'on vous compterait comme Prussien alors.

Et tu dois comprendre que je ne parte pas en décidant que je resterai loin, Juillet, Août, Septembre et peut-être Octobre !! Charles étant obligé de rentrer. Aussi il est bien convenu que vous ferez ce que vous pourrez, comme vous notre plus grand plaisir est d'être réunis, mais avant tout il faut faire chacun ce que l'on croit devoir faire, nous ne nous accuserons pas de ne pas faire ce que nous pouvons pour être ensemble, nous dirons de part et d'autre : « Ils ont cru faire pour le mieux, ainsi c'est bien. »

Vous ne devez pas être étonnés que conservions pour une saison moins chaude le séjour de Paris, puisque nous avons toujours l'espérance de vous y faire une visite en hiver. Cette lettre renferme dans le vous maman et vous tous.

Est-ce que tu n'as pas reçu la lettre que je t'écrivais avant d'aller à Colmar ? est-ce que je ne t'avais pas priée de m'envoyer les tableaux polonais ? je n'ai rien reçu ; je suis assez pressée de mon côté pour ne pas t'en vouloir de ce que tu ne te rappelles pas ce que je t'écris.

Pour répondre à tes questions étoffes il faut que j'aie la note, j'irai la chercher au bureau demain. Quant au calicot il restera ici et je te reporterai tes 67 F.

Beaucoup de bonheur à M. Camille[7] et à M GrandDidier[8] que je ne connais pas.

Bonsoir, ma chérie, bonne nuit, dors bien, embrasse maman pour moi. Et nos amitiés à papa[9], Alfred[10] et Alphonse[11]. Il est 11h je suis réveillée, mais il n'est plus l'heure de continuer la correspondance quand on veut se lever de bonne heure

EM.

La maison dont tu me parles pour le petit garçon de Louise[12] me paraît devoir être ce qui conviendrait le mieux ; les maisons agricoles comme celle que nous avons vue ensemble est bien moins dans les idées de ce pauvre M. Pavet[13], et après tant de douleur on aime à suivre les idées de ceux qui ne sont plus.

Vous ai-je dit que la pauvre belle-sœur de Georges[14] est morte il y a 8 jours.

Écris-moi encore pour me dire tes impressions, je voudrais pouvoir entrer dans vos idées et je ne sais comment faire.


Notes

  1. Lettre non datée, à situer avant la fixation définitive du voyage estival.
  2. Le cours par correspondance des dames Boblet.
  3. Marie et Émilie Mertzdorff.
  4. Charles Mertzdorff.
  5. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
  6. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  7. Antoine Camille Trézel qui épouse Louise Ida Martineau.
  8. Alfred Grandidier épouse Jeanne Louise Marie Vergé.
  9. Jules Desnoyers.
  10. Alfred Desnoyers.
  11. Alphonse Milne-Edwards.
  12. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  13. Daniel Pavet de Courteille (†).
  14. Georges Heuchel.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 28 juin 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_28_juin_1872&oldid=60686 (accédée le 10 octobre 2024).

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