Samedi 6 juillet 1872 (A)
Copie, par lui-même, d’une lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à M. Gerbault
Copie d'une lettre de Charles Mertzdorff à M. Gerbault
Vieux-Thann 6 Juillet 72
Mon cher Monsieur
Comme je vous l'ai promis je viens résumer en quelques lignes la conversation que nous avons eue ensemble sur diverses questions.
Mon beau-frère Léon[1], tant qu'il a été chez ses parents[2], n'a eu que de faibles appointements, un intérêt de 3% pendant quelques années, enfin depuis 3 à 4 ans l'intérêt a été porté à 10%.
Il a chez moi environ 60 000 francs qui seront augmentés par l'inventaire de fin de ce mois : j'aurai donc peu de chose à ajouter pour compléter la somme de cent mille francs qu'il aura en se mariant.
Quant à sa position future, voici ce que j'avais rêvé.
Mes deux beaux-frères[3] devenaient mes associés dans un temps très court pour après prendre pour eux l'affaire que j'ai créée, désirant peu à peu me retirer.
Léon me restant seul, depuis qu'une bombe prussienne nous a enlevé notre jeune frère bien-aimé : c'est donc bien sur lui seul que je compte & puis compter n'ayant pas de fils qui puisse me succéder[4].
En prévision des circonstances nouvelles que la guerre nous a faites, n'ayant plus en vue pour le moment qu'un seul collaborateur, j'ai dû chercher à changer un peu mon industrie.
Les constructions de Morschwiller simplifièrent considérablement les affaires de cette usine. M. Duméril[5] suffira seul à gérer cet établissement, tandis que Léon viendra à Vieux-Thann qui réclamera tous ses soins.
S'il se marie, il sera mon associé & je ne doute pas que par nos efforts réunis nous ne sachions vaincre les difficultés d'un nouveau marché.
En ce moment, il ne peut être question pour Léon de prendre l'affaire pour son propre compte ; elle est beaucoup trop lourde pour lui seul ; j'y resterai donc forcément encore.
Mais si, comme je l'espère, nous réussissons à conserver à l'établissement son activité rémunératrice, je compte conserver toute facilité à me retirer des affaires.
Mon industrie sans être trop difficile demande beaucoup de travail, n'a pas chance de bien gros bénéfices, comme souvent l'on rencontre en industrie, mais elle est à peu près exempte de pertes. Ce qui est acquis ne l'est pas sans peine, mais reste acquis : c'est là un grand repos pour l'avenir & m'a toujours fait considérer ma position dans l'industrie comme l'une des plus enviables.
Il est toujours difficile de scruter l'avenir d'une affaire, mais je crois qu'avec la constitution robuste & solide de l'Industrie Alsacienne, avec sa place qu'elle a acquise à force de travail dans le monde entier ; elle ne saurait périr & restera toujours un centre qui s'impose : nous pouvons avoir 2 ou 3 années difficiles mais notre place est faite & se conservera.
Décidé, jusqu'à présent du moins, à rester Alsacien en n'optant pas, je ne vois pas quelle difficulté mon beau-frère peut éprouver en restant français & si, contre l'impossible, il devait en être autrement, il trouvera toujours en France chaussure à son pied : mais je ne crois pas à cette extrémité
Je ne sais si j'ai répondu à toutes les questions qui intéressent nos amis ; je désire vivement que ma franchise puisse les convaincre, comme je le suis moi-même, que l'avenir de Léon est assuré, s'il en a la volonté. Si ces conditions toutes matérielles que je donne sont agrées, il ne reste plus que les conditions morales à étudier & ceci n'est plus de ma compétence & espère bien un bon succès mérité[6].
Pardonnez mon long verbiage & croyez-moi, mon cher Monsieur, votre tout dévoué
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 6 juillet 1872 (A). Copie, par lui-même, d’une lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à M. Gerbault », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_6_juillet_1872_(A)&oldid=35640 (accédée le 18 décembre 2024).
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