Vendredi 11 et samedi 12 octobre 1872

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Launay)


original de la lettre 1871-10-11 pages 1-4.jpg original de la lettre 1871-10-11 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann   

Vendredi soir

Ma chère petite Gla,

Papa et maman[1] nous ont quittés aujourd'hui, j'ai été les reconduire à Mulhouse avec les enfants[2] et nous sommes rentrées à 8h. J'espère qu'ils arriveront bien à Paris, ils ont préféré voyager de nuit, ils étaient seuls au départ, dans leur compartiment et ils allaient étaler manteaux et couvertures dans l'espoir de conserver leur banquette pour s'étendre. Maman a bonne mine, n'a pas eu mal à la gorge, et a été bien moralement, mais tout cela à condition de ne pas marcher et de ne pas prendre de fatigue. Pour avoir emballé des poires avec moi, elle était brisée Mardi, puis ça a passé. Elle a besoin aussi de ne pas rester vis-à-vis d'elle-même. Elle regrettait de partir avant ton retour[3] mais elle a craint que le froid n'arrive et ne la retienne.

Papa a été bien, mais il s'est enrhumé des derniers jours, il a bien grand besoin aussi d'être occupé, heureusement qu'il a toujours quelques recherches nouvelles à faire.

Léon[4] est comme tu le sais à Paris, il nous a écrit ne pas avoir eu le plaisir de te rencontrer. On ne sait pas combien de temps il devra rester absent ; on dit qu'on laissera rentrer sans difficulté mais que pour les Alsaciens l'option sera nulle.

Nous avons reçu une lettre de Bruyère des plus polies mais qui est un non positif[5] basé sur la position faite à ceux qui habitent l'Alsace depuis cette triste annexion. Les parents de Morschwiller[6] et nous n'en sommes pas fâchés, il y aurait toujours eu à craindre une mauvaise influence dans ce jeune ménage. Maintenant on va s'occuper de la Demoiselle dont Mme Auguste[7] avait parlé. Léon a le temps de prendre lui-même ses renseignements.

Nos grandes récoltes de poires et de raisin sont faites ; bon débarras. Lundi on commence les vendanges ; le temps est peu agréable, le baromètre baisse encore, la récolte sera peu abondante.

Êtes-vous bien à Launay ? Vous promenez-vous beaucoup, Alphonse[8] se trouve-t-il mieux depuis qu'il a un peu laissé la travail. Nous sommes très contents de vous savoir à Launay, pour toutes choses agissez en propriétaire, je n'ai aucune recommandation à vous faire ; Charles[9] veut écrire à Alphonse.

Bonsoir, je vais me coucher, je sens que je prends froid.

Samedi 1h  Bonjour, ma Chérie,

J'aimerais bien savoir comment vous allez, comment vous vous trouvez à Launay ? Si vous avez beau temps ? et si vous prolongerez un peu votre séjour. Cécile[10] me recommande de te prier de demander à la mère Michel[11] la graine des haricots qu'on a trouvés si bons et que la mère Michel désignait sous le nom de (), nous prendrons ces graines quand nous irons à Paris. Je continue à être très contente du nouveau jardinier[12], il plait à maman. Maman te remettra ma souscription pour le cours Charrier[13]. J'ajoute comme commission de faire faire dès ton retour un manteau imperméable à maman (noir) de la forme de mon vieux, c'est la forme la plus commode et la plus distinguée. (Nous pourrions lui offrir à nous deux ?)

J'ai eu mal à la gorge cette nuit. Maintenant ça va bien mieux, et preuve, c'est que j'ai circulé toute la journée après le raisin pour les corbeilles à donner. Il pleut et il fait assez froid. Le Rossberg a son capuchon blanc.

Je vais tâcher d'organiser une course à Mulhouse par semaine (le Mercredi) pour les leçons de musique, de dessin et d'Anglais, je ne sais si j'y arriverai.

Nanette[14] est à Colmar pour la journée, les fillettes en ont profité pour faire la cuisine, nous avions 3 espèces de gâteaux ! Quel dommage que Jean[15] n'ait pas été là pour déguster la cuisine de ses amies.

Marie[16] doit t'écrire tous les jours ; tu ne t'en aperçois pas. Je crois que je te répète les mêmes choses qu'hier soir, ça ne fait rien, je ne sais si je t'ai dit que nous t'aimons beaucoup ainsi que ton mari et que tous les quatre nous vous embrassons.

Charles est toujours bien embarrassé pour savoir que faire après le 1er Janvier, il aimerait bien se débarrasser de ses fabriques, on dit que les Allemands achèteront les établissements, il y a déjà une fabrique de vendue à Mulhouse. On ne sait pas ce qui adviendra. Parmi les crédules la nouvelle du jour est que la semaine prochaine nous serons de nouveau français ! Nanette doit payer le drapeau tricolore si la nouvelle est vraie !!!

Adieu, ma Gla, écris-nous et crois à toute notre affection

Eugénie M.

Nos bons parents[17] doivent être rentrés chez eux. Nous serons contents de les savoir arrivés, à leur âge, on est toujours un peu préoccupé de les savoir loin de leur maison.


Notes

  1. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
  2. Marie et Emilie Mertzdorff (« les fillettes »).
  3. Aglaé est à Launay, pas à Paris.
  4. Léon Duméril, qui vivait à Morschwiller.
  5. Projet de mariage de Léon Duméril.
  6. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril, parents de Léon.
  7. Eugénie Duméril, veuve d’Auguste Duméril.
  8. Alphonse Milne-Edwards.
  9. Charles Mertzdorff.
  10. Cécile Besançon, bonne des petites Mertzdorff.
  11. Louise Jeanne Françoise Peltier, épouse de Louis Michel Pieaux.
  12. Édouard Canus, arrivé au mois de mars.
  13. Le cours des dames Boblet.
  14. Annette, cuisinière chez les Mertzdorff.
  15. Jean Dumas.
  16. Marie Mertzdorff.
  17. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 11 et samedi 12 octobre 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Launay) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_11_et_samedi_12_octobre_1872&oldid=60308 (accédée le 19 avril 2024).

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